Christophe Lachnitt est consultant indépendant, spécialisé dans l’optimisation de la stratégie, de l’organisation et de l’adoption de l’intelligence artificielle générative des directions de la communication. Il est aussi l’auteur du mini-média Superception.fr (blog, newsletter, podcast) consacré aux enjeux de perception. Il va présider la vingtième édition de la conférence Tendances Communication mardi 26 novembre prochain à Paris. Dans cet entretien, il nous livre quelques réflexions sur l’impact de l’intelligence artificielle générative sur les stratégies, activités et métiers de communication.
Commençons par un état des lieux général. Quel regard portez-vous sur les développements et l’adoption de l’intelligence artificielle générative ?
Technologiquement, nous assistons notamment à une course à la miniaturisation des modèles d’intelligence artificielle pour les rendre moins couteux, moins gloutons en énergie et en eau, plus rapides, plus protecteurs des données privées et plus faciles à opérer sur des équipements grand public tels que les smartphones.
Sur le plan concurrentiel dans les applications grand public, OpenAI bénéficie d’un double avantage en matière de notoriété et de nombre d’utilisateurs. Mais il faut garder à l’esprit trois éléments au moins :
– L’Entreprise n’a pas une avance nette en matière technique et applicative, au sens où elle n’a conçu ni une technologie ni une “killer app“ la plaçant largement au-dessus de ses concurrentes. En d’autres termes, OpenAI n’est pas, avec ChatGPT, dans la position que Google Search conféra à Google il y a plus de vingt ans.
– Si l’on en croit les informations révélées par The Information cet été, les pertes opérationnelles d’OpenAI sont supérieures de plusieurs milliards de dollars à son chiffre d’affaires, ce qui pourrait évidemment obérer son expansion future.
– Nous ne sommes qu’au tout début de cette vague d’innovation et des concurrents avec des moyens bien plus importants (Google, Microsoft…) que ceux d’OpenAI et/ou des stratégies très différentes (Meta) pourraient émerger dans quelques années comme les vainqueurs de ce secteur, sans même considérer l’irruption d’une entreprise pas encore identifiée à ce stade. Steve Jobs nous a appris qu’il est plus déterminant d’être le meilleur que le premier sur un marché. Ce principe est d’autant plus vrai que, dans le cas de l’intelligence artificielle générative, nous ne savons pas encore si, in fine, elle sera une technologie banalisée intégrée dans l’ensemble de nos fonctionnalités numériques (comme semble le penser Apple) ou si elle donnera naissance à une nouvelle classe de plate-forme.
Sur le plan économique, nous sommes clairement dans une bulle qui, si elle n’a pas l’ampleur de la bulle des dot.com du tournant des années 2000, est malgré tout significative : plus de 1 200 startups actives dans les nouvelles technologies – certes pas toutes dans l’intelligence artificielle – valent plus d’un milliard de dollars à travers le monde, alors que, il y a seulement quelques années, on s’inquiétait que cette catégorie en comptât quatre-vingt. Au-delà de ses potentiels excès, cette spéculation rend compte d’une réalité réjouissante : nous vivons de nouveau, dans l’univers numérique, “des semaines où des décennies se produisent“, selon la célèbre expression de Lénine.
Quel est le niveau d’engagement des communicants autour de l’IA générative ?
Parmi les entreprises et institutions que j’accompagne, je sens ce niveau fortement progresser depuis le début de l’année 2024. Après une phase d’observation et de questionnement naturelle, il me semble que nous sommes entrés dans une phase de mobilisation : le nombre de formations que j’anime a, depuis quelque temps déjà, dépassé celui des conférences que je donne, ce qui reflète que les directions de la communication sont passées de la volonté de comprendre l’impact de l’intelligence artificielle générative sur la communication aux travaux pratiques pour tirer parti de son potentiel et se préparer à traiter les risques qu’elle induit.
Justement, quelles sont les opportunités et les risques portés par l’IA générative eu égard à la communication ?
La première opportunité évidente concerne la production de contenus. En dépit de ses déficiences actuelles (biais, hallucinations, enjeux de propriété intellectuelle et de sécurité…), les capacités de l’intelligence artificielle générative en matière de production de contenus sont aussi spectaculaires que connues. Mais, au-delà de la productivité quasi frénétique qu’elle offre, la portée révolutionnaire de l’IA générative tient à mon sens au fait que l’augmentation de la productivité créative qu’elle engendre va permettre aux marques non seulement d’optimiser leurs activités opérationnelles, comme dans le cas de tout gain d’efficacité, mais aussi de déployer de nouvelles stratégies (e.g. ultra-personnalisation) qui ne leur étaient pas accessibles jusqu’à présent. La différence de degré d’ordre productif crée donc pour la communication une différence de nature sur le plan stratégique.
Pour autant, je voudrais souligner deux pièges :
– Le premier a trait à l’exploitation effrénée de la capacité productive de l’intelligence artificielle générative pour concevoir encore plus de contenus. Je pense que ce serait une erreur stratégique majeure, alors que les marques produisent déjà trop par rapport à ce que leurs publics peuvent et ont envie de digérer sur ce plan de leur part.
– Le second piège consiste à se concentrer sur l’impact de l’IA générative en termes de production et d’occulter les enjeux qu’elle pose en termes de consommation de contenus. Quand nous, communicants, nous focalisons uniquement sur la capacité productive de l’intelligence artificielle générative, nous nous regardons le nombril sans nous intéresser à nos parties prenantes, alors que cette empathie devrait être notre priorité de chaque instant. Pour envisager l’IA générative sous l’angle des audiences, il faut se demander ce qu’elle change en termes de consommation de contenus et non seulement de production.
Quels enjeux voyez-vous dans ce domaine ?
Sans même évoquer les problématiques éthiques et juridiques, je formule sept enjeux de communication majeurs suscités par l’avènement de l’intelligence artificielle générative, enjeux que j’aborderai plus en détail dans ma présentation lors de la Conférence « Tendances Communication » mardi 26 novembre prochain comme dans mon livre à paraître sur ce thème. Ils relèvent du risque de neutralisation des marques, de la complexité croissante de leur médiatisation, de la massification des opérations de désinformation, de l’écrasante inertie de la surinformation, des mirages de la personnalisation, des nouvelles vertus de l’influence et de l’indispensable réinvention de la communication interne.
Incidemment, l’importance de ces enjeux met en lumière une deuxième opportunité représentée par l’intelligence artificielle générative pour les communicants : elle (re)place leur rôle au cœur des dynamiques stratégiques de toutes les organisations.
Pour terminer, pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’avenir des communicants dans ce contexte ?
Demain, les communicants ne risquent pas d’être remplacés par une intelligence artificielle générative. Mais ils pourraient être remplacés par des communicants qui maîtrisent mieux cette technologie qu’eux.
Or, nous sommes face à une technologie exponentielle, dont les progrès, même s’ils se ralentissent relativement, restent très rapides par rapport à ceux de technologies classiques. L’enjeu, pour les communicants, est donc d’apprendre de nouvelles compétences et de nouvelles manières de travailler – individuellement et collectivement – au bon rythme. Il ne faut pas se cacher qu’il y aura des perdants et des gagnants en termes d’employabilité. Même si le rôle des directeurs de la communication pour favoriser la mise à niveau de leurs équipes doit être souligné, la bonne nouvelle est que chacun d’entre nous peut décider, seul, d’être gagnant ou perdant en consacrant les efforts requis par l’appréhension et la maîtrise de ces nouvelles pratiques. Après tout, ce sont des outils accessibles gratuitement au grand public : il n’y a aucune barrière à l’entrée logistique ou financière à leur découverte.
C’est un aspect d’autant plus encourageant que l’intelligence artificielle générative est une chance unique pour nous, communicants, de (re)positionner notre métier au centre du jeu stratégique et de gagner du temps sur les tâches les plus rébarbatives, que nous pouvons lui déléguer, pour nous consacrer aux activités les plus intéressantes. Mais, pour ce faire, il faut que nous apprenions à travailler avec elle.
La balle est dans notre camp.
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Retrouvez Christophe Lachnitt qui présidera la Conférence Tendances Communication mardi 26 novembre 2024 à Paris (et en visio). Il interviendra également sur plusieurs sujets passionnants :
- Quels enjeux et défis à relever pour les communicants en 2025 ?
- L’IA générative, nouvelle révolution des stratégies, activités et métiers de la communication. Comment s’adapter à cette technologie qui remet en cause certains de nos fondamentaux ?