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L’organisation hybride : l’angoisse d’un bon nombre de managers

Le management hybride

En dépit de 18 mois de grande autonomie pour tous et de télétravail pour cause de Covid, beaucoup restent convaincus que l’essentiel de leur rôle réside dans du « faire agir » et le maintien de règles plus ou moins rigides. Or le travail hybride, pour être efficace, nécessite un subtil management collaboratif.

Les modes de travail évoluent, pas leurs credo. Les managers abordent cette rentrée, rassurés par une économie française qui fait mieux que prévu , mais en position difficile. Il ne s’agit pas de ces cadres de grands groupes internationaux qui savent depuis longtemps combiner travail à distance et sur site, mais d’autres qui, à l’heure de mettre sur pied une organisation hybride, apprécient de voir leur rôle gagner en importance mais goûtent guère d’être priés de changer du tout au tout leur manière de faire pour redoper le collectif de travail et retenir les talents.

« Beaucoup restent convaincus que l’essentiel de leur rôle réside dans du ‘faire agir’ et le maintien de règles plus ou moins rigides. Pis, ils pensent même se discréditer en n’agissant pas de la sorte », déplore Pierre Ygouf, auteur de « L’entreprise mâture » publiée par L’Harmattan.

Réorienter leur énergie

« L’accord de télétravail que nombre d’entreprises ont signé et la reconfiguration des bureaux qui suit ne suffisent pas. Il faut désormais répondre à deux questions : Quel modèle de collaboration instaurer ? Et quelle flexibilité, compatible avec le système opérationnel, donner ? », prévient le directeur des ressources humaines d’un groupe du SBF 120. « C’est le moment de revoir le contenu du travail et la nature des tâches de chacun », ajoute Marie-Pierre Fleury, ex-DRH devenue consultante . Aussi « de monitorer l’engagement et le moral des collaborateurs », d’après un webinar animé par la DRH de la Société Générale Caroline Guillaumin et le professeur de management à HEC Michael Segalla, fin juin. Et « de redéfinir la raison d’être du bureau », poursuit la professeure britannique de management Lynda Gratton , dont le dernier opus porte sur « la plus grande transformation du monde du travail depuis un siècle ».

« L’occasion est donnée aux managers de réorienter leur énergie vers l’accompagnement effectif de leurs équipes, au lieu de l’épuiser dans un mode dégradé de leur puissance d’être : des jeux politiques internes et tout un mimétisme entre pairs qui pousse à observer une même façon de s’imposer, de parler, de ne pas trop sourire ou encore de froncer les sourcils, s’agace le spinoziste Pierre Ygouf. A charge, pour eux de faire vivre les « soft skills » au-delà des sessions de formation. Autrement dit, d’interroger et d’écouter les collaborateurs, de les inviter à l’initiative et à l’innovation, de lutter contre la bureaucratie via la création de petites unités autorégulatrices, de partager leur vision stratégique avec les équipes, de maintenir – à coup de « feedbacks » – un climat d’encouragement, de reconnaissance et de confiance et de réinstaller des moments collégiaux. Ne dit-on pas que des employés bien managés favorisent la satisfaction des clients ? A ceux qui le redouteraient, lâcher du lien managérial ne les placera pas, du jour au lendemain, sous le principe de : « La règle ? Pas de règles ! » cher à Netflix. Cela les incitera plutôt à donner quitus à, comme le dit le professeur au CNAM Christophe Dejours, tous ces « inattendus » constitutifs du travail : un contournement temporaire, mais légal, de règles pour retenir un client ou encore une décision basée sur l’intuition, née de l’expérience.

Equité et staff hétéroclite

Et ce n’est pas tout. Alors que les impératifs liés aux enjeux business continuent de courir, les managers, en parallèle, doivent aussi s’évertuer à encadrer un « staff » hétéroclite : des télétravailleurs et des collaborateurs qui ont été mis au chômage partiel de retour au bureau, du personnel permanent sur site et même une minorité demeurée à distance, qui ne repointe plus son nez. Quid de l’équité entre ces salariés, des conditions équilibrées du télétravail, de la gestion de la santé mentale des collaborateurs ou d’éventuelles tensions entre vaccinés et non vaccinés ? « Et des compétences à rechercher ou à fidéliser ? Celles de profils qui ont beaucoup d’attentes en termes, outre de salaire, d’utilité, de conditions de travail, de possibilités de mobilité interne et de télétravail, de valorisation de l’engagement… » relève Marie Bouny, codirectrice de la practice stratégie et performance sociale, au sein du cabinet LHH. Des profils, du reste, récemment mis en exergue par une étude de Pauline de Becdelièvre et François Grima, deux chercheurs de l’ENS Paris-Saclay, qui démontre le lien étroit entre Covid-19 et réflexions sur le sens du travail.

« Pour être efficace, l’organisation hybride doit s’établir sur un socle de valeurs et de principes de gestion cohérents avec sa raison d’être, connus et respectés par toute la ligne hiérarchique », conclut Philippe Masson, ancien partner de McKinsey et cofondateur de MyDev et de la plateforme Inergens. « Pour la faire vivre, ses leaders doivent cultiver un climat de confiance en assortissant la délégation de pouvoir d’un droit à l’erreur et en pratiquant des retours d’expérience ; il leur faut prendre en compte la diversité des parties prenantes à impliquer pour tirer parti de processus de management collaboratif ; et instaurer des rituels d’échanges et de célébration autour de la progression d’un projet porteur de sens », énumère-t-il. « L’efficience organisationnelle passe aussi par la réduction d’un certain nombre d’irritants, des plannings insuffisamment flexibles à l’amélioration d’équipements individuels et collectifs », ajoute Natalène Levieil, directrice de projet chez LHH. En supprimant bien des entraves et jouant ainsi un rôle de facilitateur, les managers peuvent significativement contribuer à doper l’engagement de tout un chacun et, dans la foulée, la performance et la productivité collectives. Mais, pour cela, ils ont besoin d’aide : aux dirigeants les plus haut placés de les soutenir et de rendre cette transition managériale effective.

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Muriel Jasor

 

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