Les lames successives des programmes de réduction des coûts ont réduit la taille des équipes et créé souvent des trous d’expertise sur le terrain.
Bénédicte Tilloy, ex-membre du comex de la SNCF, est la cofondatrice de 10 h 32 et de Ask For The Moon.
Vous avez sûrement déjà entendu cette jolie formule : « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. » On la doit à l’écrivain et ethnologue Amadou Hampâté Bâ, qui l’a prononcée dans un discours célèbre à l’Unesco en 1960. Il s’agissait pour lui d’attirer l’attention des nations sur la nécessité de conserver les traditions orales africaines, au même titre que les monuments de Nubie qui venaient d’être sauvés.
Transposée dans l’entreprise, l’image a aussi du sens. Quand un collaborateur expérimenté s’en va, le risque est grand que son savoir-faire s’en aille avec lui. Parce qu’il en a acquis une grande partie par l’expérience, il n’est pas toujours conscient de l’étendue de ce qu’il sait, ce qui ne facilite pas la conservation de ce patrimoine immatériel. Et pourtant, la transmission dans l’entreprise de ces connaissances tacites est un enjeu stratégique. Plus personne n’en doute vraiment, mais personne n’a encore vraiment trouvé la bonne méthode pour y parvenir.
Trous d’expertise sur le terrain
Car il ne s’agit pas d’un simple sujet de formation. Si tel était le cas, on pourrait l’organiser. Il s’agirait alors de faire passer les experts au tableau devant autant d’équipes que nécessaire. Cela coûterait évidemment quelques précieuses heures de travail des uns comme des autres, mais ce ne serait pas insurmontable.
En l’espèce, cela ne fonctionnerait pas malheureusement, car l’expérience ne se transmet utilement qu’en situation. L’idéal, c’est d’apprendre en même temps qu’on fait. Non seulement on comprend immédiatement comment progresser dans ce qu’on est en train de faire, mais ensuite on retient bien mieux ce qu’on a appris.
Dans un monde parfait, il y aurait dans chaque équipe opérationnelle un collaborateur expérimenté qui pourrait, chaque fois que nécessaire, enseigner son tour de main et s’assurer qu’il est maîtrisé par tous.
Cela arrive encore. Mais c’est de plus en plus difficile à réussir. Les lames successives des programmes de réduction des coûts ont réduit la taille des équipes et créé souvent des trous d’expertise sur le terrain.
Solliciter de l’aide, poser des questions
Le numérique peut aider à pallier ces difficultés. Il offre potentiellement le don d’ubiquité aux experts pour leur permettre de diffuser leur savoir-faire chaque fois qu’un opérateur est confronté à une situation délicate ou inédite. C’est la vocation des outils numériques de knowledge management opérationnel. Quand ils sont bien faits, les salariés peuvent poser une question à un expert de leur entreprise en temps réel et obtenir une réponse très documentée aux problèmes qu’ils rencontrent.
On tombe alors sur un autre type de défi : encourager les salariés à solliciter de l’aide et à poser leurs questions. Cela n’a l’air de rien mais c’est en fait un sacré challenge ! « Celui qui pose une question a peur de passer pour un sot, celui qui n’en pose pas est sûr de le rester. » La formule de Confucius est souvent partagée dans sa première partie, mais pas toujours dans la deuxième ! Il faut se sentir en confiance pour poser des questions, car cela peut être interprété comme un aveu de faiblesse, et ce particulièrement dans les organisations verticales et/ou très silotées.
Chaque fois qu’un salarié ose poser une question, il offre l’occasion à un autre de lui apporter une réponse, il rend explicite un savoir-faire tacite qu’on peut alors capitaliser et diffuser. Plus elles posent de questions, plus le savoir-faire circule, plus les équipes sont performantes.
Chers dirigeants, posez des questions et apprenez à vos salariés à en poser dès leur arrivée dans l’entreprise, vous initierez un cercle vertueux de performance.
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Bénédicte Tilloy