Le juge des loyers commerciaux est-il compétent pour la fixation des loyers binaires ?
Lors de la conclusion d’un bail commercial, bailleur et preneur ont toute latitude pour fixer le montant du loyer. En pratique, ils se réfèrent à la valeur locative du local (surface, état…), à sa destination (utilisation qui en est faite), à leurs obligations respectives, aux facteurs locaux de commercialité (attractivité de la ville ou du quartier, moyens de transport à proximité…) et aux prix pratiqués dans le quartier.
En outre, les parties peuvent également inscrire au bail une « clause-recettes » prévoyant un loyer en partie variable en fonction du chiffre d’affaires dégagé par le preneur et une partie fixe, appelée le loyer minimum garanti (LMG).
Surtout pratiqué dans les centres commerciaux, ce loyer binaire a longtemps posé questions car il déroge au statut des baux commerciaux concernant les règles de fixation du montant du loyer. C’est ainsi que, dans les années 90, depuis le célèbre arrêt « Théâtre Saint Georges », en cas de désaccord des parties sur le montant du loyer en renouvellement, les juges ont estimé que le principe de la fixation de celui-ci à la valeur locative du bien était inapplicable et échappait à leur compétence.
Ils renvoyaient alors les parties à leur propre convention. Conséquence : les clauses relatives au loyer devaient être correctement rédigées. À défaut, le loyer risquait de ne pas évoluer. Les bailleurs institutionnels (personnes morales gérant un parc de biens immobiliers) réadaptaient ainsi, au fil du temps, la rédaction des clauses de loyer binaire selon l’évolution de la jurisprudence.
Le recours au juge des loyers commerciaux
Et la pratique a progressivement opté pour des clauses prévoyant la fixation du LMG du bail renouvelé à la valeur locative du bien. Parallèlement, les parties stipulaient une clause reconnaissant au juge des loyers commerciaux le pouvoir de déterminer la partie fixe du loyer en cas de désaccord entre elles.
Ainsi, d’un côté, les bailleurs se plaçaient en dehors du statut des baux commerciaux en prévoyant un loyer variable binaire pour échapper à l’application de certaines règles et, d’un autre, elles souhaitaient revenir dans le giron de ce statut afin de donner compétence au juge pour fixer le montant du loyer.
Mais deux arrêts de cours d’appel ont suscité un certain remous au sein des bailleurs institutionnels en 2014 et 2015. Ils ont en effet précisé que le statut des baux commerciaux n’envisageant pas un loyer composite, le juge des loyers commerciaux lié à l’application de ces règles statutaires ne pouvait pas être compétent pour fixer un loyer doté d’une structure binaire.
C’était néanmoins sans compter un arrêt de la Cour de cassation du 3 novembre 2016 reconnaissant au juge le pouvoir de fixer le LMG à la valeur locative en présence d’une clause lui donnant compétence pour le faire !
Jurisprudence qui a semblé mettre un terme aux laborieuses controverses portant sur le loyer variable mais qui n’a cependant pas été suivie par la cour d’appel de Versailles dans son arrêt du 19 septembre 2017 ! En effet, les juges ont adopté une position assez extrême en considérant comme nulle la clause qui donne compétence au juge des loyers alors que le bail prévoit un mode binaire de fixation du loyer.
Cet arrêt ayant toutefois fait l’objet d’un pourvoi, on espère qu’il donnera peut-être l’occasion à la Cour de cassation d’apporter le fin mot à cette histoire…
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