Tendance – Développer les capacités numériques et cognitives des salariés, stimuler leurs compétences sociales et émotionnelles, et choisir des scénaristes plutôt que des stratèges… En entreprise, la gestion de talents repose sur de nouveaux paramètres pour relever les nombreux défis post-crise sanitaire à venir.
Le monde Vuca des environnements volatils, incertains, complexes et ambigus, n’est donc pas qu’un concept des sciences de gestion.
« Ce que l’on disait être le nouveau champ de bataille des organisations s’est matérialisé avec la crise sanitaire et a révélé un monde où tout devient possible du jour au lendemain, forcément difficile à anticiper », analyse Hervé Borensztejn, qui dirige la zone EMEA du département de conseil en leadership du cabinet Heidrick & Struggles.
Pour qu’entreprises et salariés sortent leur épingle du jeu dans un tel contexte, plusieurs compétences, pour la plupart non techniques, sont en passe de devenir des incontournables.
Une étape préalable, pour les organisations, précise Sébastien Lacroix, associé senior de McKinsey à Paris, consistera « à déterminer les changements de comportement de clients qui ont des conséquences sur le modèle d’affaires et d’identifier les compétences immédiatement nécessaires pour naviguer pendant cette phase de transition ».
Les ressources peuvent être déjà présentes : une partie du déficit de compétences, notamment digitales, que craignaient, il y a encore un an, 87 % des dirigeants interrogés par McKinsey, a pu être comblée dans l’urgence, parfois en « mode commando ».
La question, pour les entreprises, est aujourd’hui d’éviter l’essoufflement et de prendre des dispositions, notamment en matière de formation, pour transformer l’essai.
L’adaptation des compétences aux méthodes de travail post-pandémiques sera cruciale pour renforcer la résilience de leur modèle opérationnel, selon McKinsey.
Pour relever les défis qui s’annoncent, « les entreprises doivent élaborer une stratégie en matière de talents qui développe les capacités numériques et cognitives des salariés, leurs compétences sociales et émotionnelles, ainsi que leur adaptabilité et leur résilience », explique le cabinet de conseil . Passage en revue :
1. La dextérité digitale pour adopter le virtuel
« La dextérité digitale dont il était utile de disposer devient un impératif absolu », résume Hervé Borensztejn. Elémentaire ? Pas tant que cela.
« La dextérité digitale est une capacité à se mouvoir dans un monde qui peut du jour au lendemain devenir totalement virtuel », souligne le consultant. Une compétence qui doit donc se déployer au quotidien, au-delà de l’aisance, indispensable, vis-à-vis des outils et des processus digitaux.
La dextérité digitale, c’est encore s’interroger sur ce qu’est un leader ou un manager digital.
En pratique, pour ces derniers, elle consiste, par exemple, à être en mesure de conduire une réunion virtuelle et d’interagir avec les interlocuteurs, salariés ou clients, en adoptant de nouveaux codes.
« Une proportion des équipes savait déjà interagir à distance, mais ce qui a vraiment changé, c’est l’échelle et la vitesse du basculement, fait valoir Sébastien Lacroix. Et la question essentielle est de savoir comment on arrive à mobiliser l’ensemble des collaborateurs, dont certains travaillent encore à domicile, pour opérer cette montée en compétences. »
Le management à distance est l’un des volets de cette dextérité digitale : « La crise a exacerbé les qualités et les manques des managers, estime Hervé Borensztejn. Ceux qui s’occupaient avec bienveillance de leur équipe ont continué à le faire à distance, ceux qui ne le faisaient pas, ne l’ont toujours pas fait, mais c’est beaucoup plus visible aujourd’hui. » A défaut de proximité géographique, il est en effet nécessaire d’entretenir une proximité émotionnelle.
2. L’intelligence émotionnelle pour recréer de la proximité
Comprendre l’état psychologique des troupes et développer la capacité d’écoute des managers ne sont pas des exigences particulièrement marquées des entreprises lorsque tout le monde est au bureau et qu’aucune menace ne plane.
Mais « les lacunes qui étaient tolérées le sont beaucoup moins à la lumière de la crise, et on entend désormais de la part de nos clients une demande très nette pour que la qualité du leadership et du management s’améliore »,confie Hervé Borensztejn.
Dans un environnement volatil, les entreprises veulent améliorer l’intelligence émotionnelle de leurs leaders, mais aussi de leurs salariés .
Chez McKinsey, Sébastien Lacroix préfère, lui, parler d’« aptitude aux interactions interpersonnelles ».
« Dans le secteur bancaire, explique-t-il, le nombre de requêtes adressées aux centres d’appels a été multiplié par trois pendant la période de confinement. Il s’agissait, dans la plupart des cas, de clients inquiets sur leur épargne et le paiement de leurs crédits. Empathie, écoute et réassurance étaient requises dès les premières minutes, des compétences qui n’étaient pas centrales dans les modèles de formation traditionnels des conseillers clientèle. »
3 & 4. La résilience et l’agilité pour gagner en avantages concurrentiels
La capacité à résister aux chocs, à apprendre de ses erreurs – fréquente lorsque le contexte est instable -, mais aussi à les reconnaître pour en tirer des leçons devient une compétence majeure du dirigeant. Une résilience à double entrée :
- « Les leaders les plus résilients ont une compréhension fine des raisons pour lesquelles ils travaillent et cela renvoie vers des notions de réflexions dans la durée – et donc de questionnement sur la durabilité des actions – et de raison d’être », explique Hervé Borensztejn.
- Autre enjeu de la résilience : s’adapter à un environnement mouvant, c’est aussi privilégier la rapidité au regard de l’on tient pour un état de perfection. Cette capacité à se mobiliser et agir promptement s’est parfois révélée au cours des dernières semaines, sous la contrainte :
« Un dirigeant m’a confié qu’en l’espace de deux jours, ses équipes avaient réglé un problème sur lequel elles travaillaient depuis deux ans », rapporte Sébastien Lacroix.
5. La vigilance pour être en mesure d’anticiper
Hervé Borensztejn insiste par ailleurs sur la nécessité, pour les dirigeants, d’adopter une « posture de vigie ». « La vigilance est une notion peu utilisée en management mais c’est l’une des compétence de demain », assure-t-il.
Et alors que la stratégie exige un horizon à moyen et long termes, à peu près prévisible, les entreprises vont pouvoir se passer de quelques stratèges au profit de prévisionnistes et scénaristes du futur.
L’année dernière, les services du ministère des Armées ont lancé un appel d’offres pour recruter des auteurs de science-fiction et des futurologues, en mesure de leur écrire des scénarios de guerre.
Pour anticiper, il faut penser autrement, réfléchir à l’impensable et agir en conséquence.
VALERIE LANDRIEU