Les recruteurs observent que de plus en plus de candidats utilisent l’intelligence artificielle pour rédiger leurs lettres de motivation. Une pratique qui fait gagner du temps mais qui divise les professionnels du recrutement.
Qui n’a jamais soupiré avant d’avoir à écrire une énième lettre de motivation pour candidater à un poste ? Des courriers qui seront, en plus, régulièrement lus en diagonale par des recruteurs pressés. L’IA peut-elle nous épargner cette tâche fastidieuse ? J’ai voulu tester la capacité de Chat GPT à générer des lettres de motivation.
Dans un premier prompt, j’ai demandé : « écris-moi une lettre de motivation pour un poste de Community Manager dans une entreprise du BTP ». Quelques secondes plus tard, la lettre sort. Impeccable sur la forme, elle n’est pas vraiment pertinente sur le fond et enchaîne les banalités. « Votre secteur d’activité m’intéresse particulièrement car il représente un domaine en constante évolution, où l’innovation et la qualité sont des valeurs essentielles », écrit par exemple le robot conversationnel.
Si ce résultat n’est pas vraiment satisfaisant, c’est parce que je n’ai pas la bonne méthode, m’explique Olivier Bonnefous, un recruteur passionné d’IA. « Si on donne à Chat GPT des informations sur ce qui nous motive dans le poste, quelles sont nos valeurs et en quoi elles sont compatibles avec celles de l’entreprise, l’IA peut écrire de très bonnes lettres de motivation », assure-t-il.
En suivant ses conseils, je rédige un second prompt. « Agis comme un spécialiste de la lettre de motivation. Mon objectif c’est d’être engagée dans telle entreprise du BTP en tant que Community Manager. J’aime beaucoup telle et telle réalisations de cette entreprise. Sur les réseaux sociaux, j’apprécie leur capacité à montrer toutes les facettes des métiers du bâtiment. Ecris une lettre de motivation qui montre comment mon profil pourrait coller à leurs valeurs ». Bingo. Sans être parfaite, la deuxième lettre est beaucoup plus pertinente et constitue une bonne base de travail.
Un gain de temps pour les candidats
Je suis loin d’être la première à avoir découvert cette astuce pour gagner du temps. « J’ai rédigé une lettre de motivation la semaine dernière en m’aidant de l’IA. Résultat : ça m’a pris deux heures alors que j’en aurais eu pour la journée sinon », raconte Thomas, 40 ans, salarié dans l’aéronautique. Comme Olivier Bonnefous, cet utilisateur de l’IA déconseille de « partir d’une feuille blanche ». « Je lui ai fourni un premier jet et je lui ai demandé de revoir la forme en étant plus percutant », raconte-t-il. « J’ai le sentiment que cette lettre est ma lettre, c’est juste allé beaucoup plus vite pour converger vers ce que je voulais vraiment exprimer », précise-t-il.
Difficile d’obtenir des données chiffrées mais les recruteurs disent recevoir de plus en plus régulièrement des lettres de motivation rédigées par l’intelligence artificielle. « On se pose souvent la question », confirme Alexandre Malarewicz, DRH d’Empowill. « Quand la génération Z et Alpha seront entièrement entrées sur le marché du travail, je pense que ce sera 100 % », prédit de son côté Gwenaëlle Garrigues, consultante associée du cabinet de chasseurs de têtes Solutions & Performances.
En interne, le sujet peut faire débat. « Rien que la semaine dernière, on a reçu une super lettre de motivation hyper personnalisée. On n’arrivait pas à se mettre d’accord pour savoir si elle avait été écrite avec l’IA ou pas. Certains disaient ‘non ce n’est pas possible, ça se voit qu’il y a mis du coeur, d’autres assuraient : ‘avec un bon prompt, je te fais la même’ », raconte Alexandre Malarewicz.
Un exercice qui a toujours été artificiel
Mais est-ce vraiment un problème que la lettre de motivation ait été écrite avec l’IA ? Parmi les recruteurs, les avis divergent. « Il y a vingt ans, il s’agissait d’un vrai exercice de rédaction et de présentation de ses convictions. Le candidat n’avait pas pléthore d’information à croiser en deux clics pour nourrir son discours. Aujourd’hui, la lettre de motivation est morte », assure Gwenaëlle Garrigues. Pour d’autres, l’exercice a toujours été artificiel.
« Déjà il y a dix ans, personne ne lisait vraiment les lettres de motivation sauf celles qui sortaient vraiment du lot. Ces lettres étaient la plupart du temps complètement bateau. Et quelqu’un qui ne savait pas écrire pouvait très bien se débrouiller pour la faire écrire par quelqu’un d’autre… L’exercice n’était déjà pas très fiable », juge Alexandre Malarewicz.
Déjà il y a dix ans, personne ne lisait vraiment les lettres de motivation
Alexandre Malarewicz, DRH d’Empowill
« Je préfère une bonne lettre de motivation écrite avec l’IA qu’une lettre remplie de banalités et rédigée à la main », assure Olivier Bonnefous. « Au pire, celui qui l’a écrite avec ChatGPT montre qu’il sait bien utiliser l’IA ce qui peut être une compétence intéressante aujourd’hui », confirme Alexandre Malarewicz.
Pour Olivier Bonnefous, l’utilisation de l’IA pour les lettres de motivation a un autre avantage : mettre tout le monde sur un pied d’égalité. « Avant, les gens qui ne savaient pas bien écrire étaient désavantagés. Maintenant, l’IA automatise les capacités de rédaction donc on va vraiment pouvoir juger la personne sur ses motivations, se libérer de ce biais », explique le manager en ingénierie.
Face aux progrès de l’IA, d’autres recruteurs ont remplacé la lettre de motivation par un CV vidéo ou encore un « pitch mail » – résumé en 12 lignes, inspiré du pitch. « Chez S&P, nous avons banni la lettre de motivation et préférons demander, après le premier entretien, au candidat de répondre à des questions à l’écrit. L’idée est de lui demander un effort de synthèse de nos échanges et de se projeter en écrivant autre chose que des banalités », illustre Gwenaëlle Garrigues, consultante associée chez Solutions & Performances.
Sarah Dumeau