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Cessez de vouloir convaincre, donnez plutôt envie

Cessez de vouloir convaincre, donner plutôt envie

Le changement est un processus social. La résistance au changement peut cacher une « réaction immunitaire ».

Dans un monde d’incertitude et de surprises, la nécessité pour les entreprises de se transformer en profondeur pour survivre est largement admise. C’est un effort stratégique porté au plus haut niveau. Et pourtant, beaucoup de ces efforts sont décevants.

Les plans sont annoncés en fanfare, mais ne débouchent pas sur grand-chose. Lorsqu’on leur demande ce qui explique ces difficultés, les dirigeants mettent le plus souvent en avant la « résistance au changement » et la difficulté qu’ils éprouvent à convaincre leurs collaborateurs de changer.

Réaction immunitaire

Et si c’était plutôt eux le problème ? Car, derrière l’idée de convaincre se cache un modèle mental qui peut se traduire ainsi : « J’ai raison et si je leur explique ils comprendront, donc ils seront d’accord avec moi, et donc ils feront ce que je leur demande. » Autrement dit, la logique de l’argument suffirait à convaincre. C’est oublier qu’une organisation est une collection d’individus avec leurs intérêts, souvent légitimes, et leurs propres modèles mentaux.

Par exemple, cette ETI peine à mettre en place une gestion de la relation client (CRM) parce que les commerciaux s’y opposent. Pourquoi ? Parce que leur modèle mental est qu’un commercial « possède » sa clientèle, et qu’il n’est pas concevable de la mettre dans le pot commun, même si cela semble logique. Ce modèle mental est constitutif de l‘identité même des commerciaux . Le remettre en question, c’est attaquer non pas ce qu’ils font, mais qui ils sont. Cela ne peut que provoquer une réaction immunitaire. Elle sera qualifiée de « résistance au changement », mais en fait elle est naturelle et légitime.

Essayer de convaincre, c’est attaquer de front les modèles mentaux constitutifs de l’identité du groupe. C’est profondément perturbant pour les individus et pour l’organisation, et nécessite une énergie considérable avec une faible chance de réussite. Quelqu’un qui l’a compris, il y a bien longtemps, est le pharmacien et agronome français Antoine Parmentier.

Parmentier, un génie

L’histoire est connue. Nous sommes dans les années 1770 et la disette continue de sévir régulièrement en France. Parmentier est un ardent promoteur de la pomme de terre. Très nutritive, facile à cultiver et se conservant bien durant l’hiver, elle est pour lui la solution idéale. Pourtant, les Français la boudent, bien qu’elle soit déjà consommée en Europe.

Tubercule souterrain, la pomme de terre est considérée comme un légume « inférieur », donc réservée aux animaux. On l’accuse en outre de provoquer des maladies et l’appauvrissement des sols. Comment convaincre les Français de l’essayer et de l’adopter ? Le génie de Parmentier est précisément de ne pas essayer de les convaincre. 

Au contraire, il va envisager de populariser sa consommation : il commence avec les grands du royaume en organisant des dîners, où sont servies des pommes de terre. Un fameux coup. Il suscite ainsi l’envie et donne au légume le statut de produit de prestige.

Son champ de la plaine des Sablons, où il cultive ses pommes de terre, est gardé le jour, mais pas la nuit. Sans garde la nuit, les vols ne manquent pas de se produire. En quelques années, la pomme de terre devient universelle en France. On peut ainsi tirer une leçon générale de l’approche de Parmentier.

Conviction versus intérêt

Le changement est un processus social qui réussit lorsqu’un nombre croissant de parties prenantes s’engage dans le projet, et elles le font plus facilement par envie et par intérêt.

Alors que l’approche par conviction est hiérarchique – j’ai raison, tu as tort ou tu es ignorant, et je vais te convaincre -, l’approche par intérêt est collaborative et donc respectueuse : je fais quelque chose qui va t’intéresser, veux-tu te joindre à moi ?

Si vous voulez changer votre organisation, cessez d’essayer de convaincre et donnez plutôt envie.

Philippe Silberzahn (Professeur à l’EM Lyon)

 

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