Ressources humaines

Comment la notation des entreprises bouscule le rapport de force entre employeurs et candidats

La notation des entreprises

Commentaires, notes, avis… Le phénomène de notation est devenu une habitude pour les nouvelles générations de salariés. Une tendance qui oblige les entreprises à s’adapter pour pouvoir recruter.

« Quand j’ai vu les commentaires sur cette start-up à propos de harcèlement moral ou de manque de respect des employés, j’ai tout de suite mis fin au processus de recrutement . Ça ne présageait rien de bon. » Raphaël*, 27 ans, est un utilisateur fréquent des sites de notation d’entreprises. Il en existe plusieurs qui vont d’une simple note à des badges et des certifications, en passant par des commentaires, pour jauger les entreprises et les conditions de travail qu’elles offrent à leurs salariés.

Parmi les plus célèbres, Glassdoor a vu le jour en 2007. Elle permet aux employés de déposer une note globale sur 5 étoiles, de donner leur salaire, de dire s’ils approuvent ou non le PDG de l’entreprise, et de décrire les avantages et les inconvénients de travailler au sein de la société. Le tout de façon anonyme. Le moteur de recherche d’emploi Indeed, né en 2004, dispose d’un outil similaire, avec la possibilité également de consulter l’avis des candidats sur le processus de recrutement des entreprises.

« Je suis dans un secteur où je reçois beaucoup d’offres d’emploi, une à trois par semaine. Logiquement, je regarde de plus en plus les notations pour choisir où postuler », explique Raphaël, data analyst depuis trois ans. « Pour moi, le plus important c’est évidemment le salaire et les horaires de travail, mais pour les offres que je reçois, cela répond à peu près toujours à mes attentes sur l’aspect financier. Donc je regarde les commentaires à propos de l’ambiance et du rythme de travail », précise-t-il.

Si le phénomène de la notation n’est pas nouveau, il semble avoir de plus en plus d’impact sur les choix des travailleurs. Michael Obadia, directeur du cabinet de recrutement Upward, a vu ce phénomène se développer déjà un peu avant le Covid. « L’essor de LinkedIn et des plateformes de notation y a contribué. Et la tendance s’est renforcée au fur et à mesure que le marché de l’emploi des cadres s’est tendu. Plus on est sollicité, plus on est exigeant, et les cadres ont besoin de faire un tri préalable entre les propositions », résume-t-il.

Les dernières années ont vu de nombreuses évolutions dans la perception du travail par les salariés, en particulier chez les nouveaux arrivants. Le salaire et le rythme de travail ne sont plus les seules conditions que le postulant met sur la table lors des négociations. L’émergence des start-up a favorisé l’envie d’une plus grande flexibilité, d’un management plus horizontal et de la reconnaissance au sein des équipes.

La vague #MeToo a quant à elle favorisé le rejet et la dénonciation des comportements inappropriés et toxiques . Enfin, la crise sanitaire a davantage bouleversé les attentes des salariés : télétravail , confiance, importance des engagements humains et environnementaux, et surtout quête de sens au travail. Autant d’éléments venus progressivement peser dans la balance de la recherche d’emploi et qui sont de plus en plus vérifiables par les commentaires et les certifications des entreprises, accessibles sur Internet en quelques clics.

Question de fiabilité

Dès lors, certaines entreprises brillent par leur bonne réputation, tandis que d’autres ont des avis très pénalisants. Car c’est aussi le biais de ce système de notes, auquel les jeunes sont habitués avec l’ubérisation de leur quotidien : il y a une surreprésentation des mauvais avis. « On a tendance à noter plus facilement lorsque l’on a des reproches à faire », souligne Michael Obadia. Un travers humain pouvant coûter cher à l’entreprise qui ne soigne pas suffisamment sa réputation.

Mais au-delà de commentaires excessifs, il y a aussi un manque de fiabilité qui peut amener les utilisateurs à douter des sites de notation. « Je trouve que les infos sont relativement peu fiables sur les salaires par exemple, souvent ça ne correspond pas à la réalité de l’offre pendant l’entretien », juge Edouard*, analyste financier à Londres. « C’est le genre de sites auxquels je crois moyennement, mais je dois dire que je regarde quand même », finit-il par lâcher.

Pour ce jeune travailleur de 26 ans, c’est la quantité de commentaires qui garantit la fiabilité, mais il regrette qu’il n’y ait souvent pas assez de retours d’anciens salariés. « Après, si je vois que l’entreprise est dans le Top 10 de Glassdoor ou qu’elle a un badge certifié d’un site connu, je me dis que c’est un bon indice », souligne Edouard.

Démarche des entreprises

Certains sites ont flairé les limites de la notation anonyme et ont lancé des « certifications » internes aux entreprises, valorisées pour la communication de la « marque employeur ». C’est le cas par exemple de Great Place To Work.

« Nous faisons une sorte de prise de sang de l’entreprise, à sa demande, pour évaluer le taux de confiance des collaborateurs », explique Jullien Brezun, son fondateur. L’idée est de faire remplir un questionnaire à tous les employés et d’en tirer des conclusions sur l’ambiance interne de la société ainsi que sur le ressenti des salariés.

« Les entreprises le font pour trois raisons : la dimension réputationnelle de la marque, la possibilité de se comparer aux autres sociétés et enfin l’analyse de la data, qui permet d’induire des changements internes en fonction des résultats », explique le dirigeant. A la clé, un badge « Great Place To Work » que l’entreprise peut mettre en valeur auprès des futurs employés.

Même son de cloche du côté de ChooseMyCompany, une entreprise française créée en 2012 qui interroge les employés des entreprises sur leur bien-être au travail et la perception de leur environnement. « Nous avons arrêté de récolter des avis spontanés et anonymes, car il y avait une sorte de chantage à la réputation qui est apparu », souligne son cofondateur Laurent Labbé, un ancien DRH chez L’Oréal. « L’idée maintenant, c’est d’offrir de vraies solutions aux employeurs pour améliorer les relations de travail », expose-t-il.

Phénomène en croissance

Dans ces deux cas, ce sont les employeurs eux-mêmes qui engagent une démarche d’ analyse de la confiance de leurs salariés, avec des avis certifiés donc. Une manière de prendre la température et de valoriser les entreprises, où les salariés sont les plus engagés et motivés par leurs missions et leur environnement de travail.

Cependant, force est de constater qu’un badge ou un classement sur un site de notation d’entreprise ne fait pas tout. « Disons que ce phénomène de notation par les travailleurs oblige les entreprises à se réinventer, mais on est encore loin d’une révolution profonde », analyse Michael Obadia.

Il note que la consultation de la « réputation » des entreprises est très fortement corrélée avec l’âge des postulants. « Lors du premier emploi des cadres, les notes et commentaires sont décisifs pour le choix de la part du futur salarié. Pour ceux qui ont entre trois et sept ans d’expérience, et qui sont extrêmement sollicités par les recruteurs, les sites permettent plutôt de faire le tri en amont entre plusieurs offres attirantes. En revanche, les profils plus seniors ne cherchent pas la même chose, ils sont plutôt regardants sur le salaire, les perspectives de prise de responsabilité, vers des fonctions dirigeantes, et les mobilités internes », complète-t-il.

Mais il assure aussi qu’il y a fort à parier que les générations entrant sur le marché du travail, très connectées et habituées à noter au quotidien, vont adopter le réflexe de consultation des avis sur les entreprises, et le garderont sans doute tout au long de leur carrière.

* Les prénoms ont été modifiés.

Par Joséphine Boone

 

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