Œuvrant patiemment dans l’ombre, le recruteur a vu son métier davantage exposé à la faveur de la pandémie, devant jongler entre les doléances des entreprises et les nouvelles aspirations des candidats. Confrontés à une intense « guerre des talents », les recruteurs doivent parachever leur mue, quitte à prendre davantage la lumière.
Le candidat est désormais un talent qu’il faut courtiser et traiter avec la plus grande considération ; le recrutement devient, de facto, un processus de « talent acquisition », selon la terminologie consacrée. Après avoir longuement fait office de « travailleur de l’ombre, le recruteur se retrouve propulsé en première ligne à la faveur des difficultés des entreprises à dénicher la perle rare.
« Parfois, je me demande même où sont les gens ? Nous cherchons tous à recruter ; nous n’avions pas toutes ces difficultés avant le Covid », abonde Mathilde Bauret, directrice des ressources humaines chez « 55 », un cabinet de conseil en data marketing digital.
Pesanteur des entreprises clientes
« Le recrutement est devenu un véritable jeu de séduction », surenchérit Kaelig Sadaune, fondateur de l’agence de recrutement « nouvelle génération » Brawo et instigateur de l’étude intitulée « Qui sont les recruteurs ? » Cette dernière met notamment en exergue les pesanteurs inhérentes à l’entreprise qui mettent souvent à mal le travail effectué en amont par les recruteurs.
« Le processus interne des entreprises n’est pas assez rapide et met le recruteur dans une position délicate. Il y a le premier entretien, le deuxième, le troisième… Cela peut prendre parfois jusqu’à huit semaines. Ce sont des délais qui sont hors de la réalité du marché dans lequel nous opérons », confirme Kaelig Sadaune.
Digitalisation de la fonction
Dans ce contexte, le recruteur – un métier de « début de carrière » exercée à 80% par des femmes, selon le portrait-robot du recruteur esquissé par l’étude Brawo – doit faire montre d’une certaine flexibilité face à des situations dont il n’a pas forcément la totale maîtrise. « Il s’agit d’un métier qui évolue notamment par la digitalisation de la fonction et par un marché de candidat qui est très tendu, ce qui impose de la réactivité et de développer de grandes capacités d’adaptation », souligne, pour sa part, Marie Hombrouck, fondatrice du cabinet de recrutement Atorusexecutive.
La réactivité des décisionnaires demeure, en effet, un point clé afin que le recruteur puisse s’accomplir en toute sérénité, d’autant que la nature même des entretiens a évolué. De là à dire que le candidat, ou plutôt le talent, est désormais en position de force… « Je ne dirai pas que le rapport de force s’est complètement inversé. Disons qu’il s’est bien équilibré », nuance Mathilde Bauret de « 55 ». Et d’ajouter. « La difficulté est d’être rapide, savoir saisir les opportunités tout en restant sélectif, qualitatif et exigeant. Il faut convaincre et non plus choisir ».
Montée du freelancing
Autre évolution du métier : son statut qui est, lui aussi, amené à explorer les contrées de l’indépendance. Ainsi, l’étude Brawo signale que la proportion des recruteurs indépendants s’élève à 9%. « Nous observons ce qu’il se passe dans les autres secteurs. Le freelancing a explosé, il y a quatre ou cinq ans, dans les métiers de la communication, du marketing et du digital. C’est maintenant au tour des recruteurs », explicite Kaelig Sadaune. Une assertion qui va également « dans le sens de l’histoire » pour Marie Hombrouck. « Certains recruteurs vont acquérir le statut d’indépendant, se positionner sur les plateformes ou sous-traiter des recherches pour d’autres cabinets. C’est une tendance qui va dans le sens de la flexibilité au travail ».
Toutefois, la fondatrice d’Atorus Executive prévient que l’isolement peut engendrer ce statut si particulier. « Le métier de recruteur ne doit pas non plus être une activité où vous êtes seul(e) dans votre bulle ou face à vous-même ».
Aujourd’hui, comme le rappelle l’étude, le bataillon de freelances dans l’Hexagone dépasse le million d’individus, soit une augmentation de 92% par rapport à 2009. Et le monde – de moins en moins feutré- du recrutement ne devrait pas échapper à « la vague » dans les années à venir.
Méthodologie
Le questionnaire de 23 questions a été diffusé en ligne du 1er juin 2022 au 30 août 2022 à destination des recruteurs. 386 professionnels du recrutement y ont répondu. Ils déclarent tous exercer une fonction de recruteur.
Par Samir Hamladji