Place à l’inventivité plutôt qu’aux stéréotypes pour transformer le creuset professionnel en un lieu d’échanges, de diversité et de forte créativité.
A l’heure où – sur fond de réforme des retraites et de nouvelles aspirations (quête de sens, de flexibilité, de reconnaissance, de confiance, de bien-être…) – le rapport au travail se modifie sensiblement comme en ont encore récemment témoigné les travaux de l’Institut Montaigne et de la Fondation Jean-Jaurès, la diversité générationnelle en entreprise induit nombre de défis organisationnels.
Des baby-boomers aux générations dites X, Y ou encore Z, la richesse humaine dont disposent les organisations est d’une hétérogénéité sans pareil. « Mais si le lien intergénérationnel est une préoccupation pour 6 entreprises sur 10 (63 %), seules un tiers (31 %) de celles qui s’en soucient a mis en place des actions ad hoc », souligne, récente enquête à l’appui, Isabelle Bastide, présidente régionale de PageGroup France, Espagne et Portugal.
Reconnaissons que l’exercice n’est pas simple. A chaque génération, son type d’éducation, son style de vie, ses références politiques, économiques et culturelles, sa conception de la réussite et ses propres repères, des entichements vestimentaires voire capillaires aux musiques fétiches en passant par les séries et films culte. Et pour toutes celles qui sont en poste, une même organisation où travailler.
Jeune comme plus âgé, chacun aujourd’hui sait quelque chose dont l’autre a besoin mais qu’il ne connaît pas. Pour fédérer les équipes, les entreprises cherchent, en toute logique, à organiser une transmission des connaissances et savoirs par le biais d’un mentoring des plus jeunes par les plus anciens et d’un reverse mentoring sur des problématiques numériques des plus jeunes envers les plus anciens.
Mais, pour engager durablement autant de salariés autour de la performance d’entreprise et de valeurs collectives, le management intergénérationnel doit aller plus loin encore.
Sortir des clichés, manager la diversité
A commencer par dépasser le seul critère de l’âge pour miser sur la diversité des profils, comme on le ferait, en management interculturel, avec un groupe de personnes de nationalités et d’origines différentes ou encore entre hommes et femmes.
« Sortir des clichés liés aux générations en s’inspirant d’autres critères est essentiel », avertit Gilles Verrier , directeur général d’Identité RH en pointant une propension au stéréotype qui ne date pas d’hier : « Déjà était inscrit cette phrase sur une poterie babylonienne datée de 3.000 ans avant Jésus Christ : « (…) Les jeunes gens sont malfaisants et paresseux, ils ne seront jamais comme la jeunesse d’autrefois ». »
«Trop de cadres dirigeants, de responsables ressources humaines (RH), de cadres opérationnels et même de partenaires sociaux s’enferment dans des stéréotypes», déplore Bruno Mettling , président fondateur de Topics. « Il leur faut faire leur aggiornamento », s’agace Gilles Verrier.
Surtout, trop de réponses d’entreprises prennent la forme de politiques ciblées « jeunes » ou « seniors. « Or, en raisonnant par catégories socioprofessionnelles (CSP), il peut apparaître qu’un jeune diplômé ait un mode de pensée plus proche de celui d’une personne de 55 ans dotée d’une formation similaire que d’un professionnel de son âge dont le parcours et l’environnement sont différents
Il est tout aussi inopérant d’appliquer une politique senior unifiée à un professionnel qualifié issu d’un bureau d’ingénierie et à un autre, touché par la pénibilité physique de son travail.
Former tout au long de la carrière
S’attaquer au défaut structurel d’anticipation des enjeux de compétence, d’adaptation et de changement d’emploi s’impose aussi. « Entre 45 et 62 ans, seul un salarié sur dix a suivi une formation, en 2020, via son compte personnel de formation (CPF) et 14% sans, selon l’Ifop et le Club Landoy », pointe Bruno Mettling. Un non-sens quand l’obsolescence des compétences n’en finit pas de s’accélérer.
Les RH n’auront bientôt pas d’autre choix que se dépêcher d’entrer dans une logique de ressources rares pour mieux utiliser celles encore à leur disposition. Et cesser de concentrer l’essentiel de leurs projets sur les seuls « talents », car « si tout le monde ne peut pas être un talent comme l’entendent les services RH, tout le monde a de la valeur », rappelle MaleneRydahl, spécialiste du bien-être et de la performance.
Investir dans la santé au travail
L’âge du départ à la retraite reculant, les précautions pour prévenir les risques psychosociaux et de burn-out, préserver la santé mentale des employés et améliorer les conditions de travail vont redoubler.
« Les entreprises, notamment les PME et TPE, devraient bénéficier, en ce domaine, d’aides ciblées », suggère Bruno Mettling en pointant que, selon Eurostat, 70 % des Suédois et 72 % des Hollandais, de tous âges, anticipent d’être en capacité d’exercer, à 60 ans, le travail qu’ils occupent actuellement quand seulement 49 % des Français se projettent de la sorte, rompant dans la foulée quelque 500.000 CDI.
La distanciation des Français avec leur travail est-elle à son comble ou bien le boude-t-il pour lui réclamer un supplément de sens ?
Dessiner des trajectoires ad hoc
« On a besoin d’une large diversité d’expériences, de séniorité, de jeunes et d’alternants… Le travail du manager consiste à écouter les différences, à capitaliser sur la richesse de chacun et à trouver un socle commun », explique Claire Pedini, directrice générale adjointe, directrice des ressources humaines et de la responsabilité sociale d’entreprise de Saint-Gobain.
Il va donc importer de réfléchir en termes non de ressemblance mais de complémentarités – gérer des équipes ne signifiant pas gérer tout le monde de la même manière – pour multiplier les chemins de carrière et imaginer des passerelles qui valorisent différents savoir-faire.
Ce qui revient à offrir des parcours multiples et dynamiques aux moins de 30 ans, des trajectoires comportant des temps d’accélération et de décélération « à celles et ceux qui doivent intégrer de nouveaux paramètres tels que l’accession à la propriété, la responsabilité d’une famille, et parfois des évolutions horizontales, hors ‘zone de confort’ pour construire une carrure managériale », complète CelicaThellier, cofondatrice de ChooseMyCompany.
Sans compter, en parallèle, les possibilités de créer des espaces de respiration, qu’il s’agisse de mécénat de compétence ou de congés sabbatiques, de temps de soutien pour les salariés aidants ou encore de possibilités d’aménager son temps de fin de carrière. « L’index senior est une invitation à progresser et à segmenter les approches », assure Bruno Mettling, convaincu que le recul de l’âge de la retraite ne favorise l’accroissement systématique du taux d’emploi des seniors.
Rémunérer la seule compétence
Au travail, en définitive, les quatre générations de salariés recherchent les mêmes choses : du sens, des sources d’engagement et de valorisation et, bien sûr, des moyens de rétribution. Autant d’éléments qui sous-tendent une variété de façons de travailler, de formats de rencontre, de modes de communication et de formes inédites de rémunération.
Pour Bruno Mettling comme Gilles Verrier, la question de la maîtrise du flot équitable des rémunérations va, tôt ou tard, devoir passer par l’abandon de tout automatisme basé sur le critère de l’ancienneté. Afin d’éviter tout décalage entre le coût salarial du senior à temps complet et sa contribution effective. Et mettre en avant le seul critère de compétence, autour duquel les équipes, aussi diverses soient-elles, se réunissent volontiers.
Par Muriel Jasor