Rarement les avocats français, et en premier lieu les avocats fiscalistes, auront été confrontés à l’arrivée d’une norme communautaire ayant un tel impact sur leur pratique. DAC 6 est à de nombreux égards l’aboutissement d’un immense chantier qui doit permettre aux Etats membres d’adapter leur législation nationale pour mieux lutter contre des pratiques considérées comme fiscalement agressives.
Pour atteindre cet objectif, DAC 6 dépasse en réalité souvent son but premier, ce qui n’est pas sans poser de questions sur l’articulation de sa mise en œuvre dans les Etats membres avec le respect de plusieurs principes fondamentaux, et en premier lieu l’indépendance des avocats et le respect de leur secret professionnel.
Plus généralement, la transposition française de DAC 6 a un gout d’inachevé tant la compréhension des dispositions issues de la directive est souvent rendue difficile par le manque de clarté de la directive elle-même et des textes qui ont assurés sa transposition en France. Espérons que l’administration française pourra apporter des précisions utiles dans ses commentaires finaux du dispositif attendu le mois prochain.
1- Présentation du cadre général de DAC 6
Depuis une ordonnance du 21 octobre 2019, la France a transposé dans son droit national la directive n° 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018, plus connue sous le nom de « DAC 6 ». DAC 6 est la sixième et dernière version de la directive communautaire relative à la coopération administrative[1].
Bien que ses objectifs soient multiples, cette directive vise en premier lieu à procurer aux administrations fiscales des États membres de l’Union européenne des informations complètes et pertinentes sur les opérations de planification fiscale agressives mises en place par les contribuables afin de lutter plus efficacement contre ces schémas.
A ce titre, la directive s’insère dans l’évolution plus générale de la fiscalité internationale qui tend depuis plusieurs années vers des objectifs de transparence et de lutte contre les structures fiscales agressives. DAC 6 s’inspire d’ailleurs directement de l’action 12 du projet de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (projet « BEPS ») qui s’intéresse aux règles de communication obligatoire d’informations.
En pratique, DAC 6 rend en effet contraignant la communication d’informations à l’administration fiscale, sous peine de sanctions pécuniaires[2]. Devront ainsi être déclarés par un intermédiaire et/ou un contribuable les dispositifs transfrontières comportant certaines caractéristiques, appelées « marqueurs ».
Si ces critères peuvent paraître restrictifs au premier abord, une rapide lecture de leurs définitions fait immédiatement réaliser que des opérations habituelles, qui ne présentent pas a priori de caractère fiscalement agressif, pourraient entrer dans le champ de l’obligation déclarative.
Sur la notion de dispositif, l’administration fiscale française a retenu une définition très large de ce concept qui n’est étrangement pas défini par la directive elle-même. Dans ses commentaires soumis à consultation publique[3], l’administration indique qu’il peut s’agir aussi bien d’un accord, d’un montage ou d’un plan ayant ou non force exécutoire.
Ce dispositif devra être transfrontière, c’est-à-dire qu’il devra concerner plusieurs États membres ou un État membre et un pays tiers (sont donc notamment exclus les dispositifs domestiques) et que les participants devront répondre à une condition de résidence ou d’activité dans deux Etats distincts.
Tous les dispositifs transfrontières ne seront évidemment pas à déclarer puisque le dispositif devra revêtir un caractère potentiellement agressif sur le plan fiscal, caractérisé par la présence d’au moins un marqueur qui indique un risque potentiel d’évasion fiscale.
Ces marqueurs sont classés en catégorie (A à E) et ils peuvent être simples ou doubles. Ils sont doubles quand ils doivent en plus satisfaire un test, qui est celui de l’avantage principal[4]. Ils sont simples quand ils se suffisent à eux-mêmes et que le test de l’avantage principal n’a pas à être réalisé.
Par exemple, un dispositif pour lequel le contribuable concerné ou un participant au dispositif s’engage à respecter une clause de confidentialité à l’égard d’autres intermédiaires ou de l’administration fiscale (marqueur A.1) devra en plus satisfaire le critère de l’avantage principal pour être déclarable. Au contraire, l’utilisation d’une chaîne de propriété artificielle à caractère transfrontière dissimulant l’identité des bénéficiaires effectifs (marqueur D.2) est considérée comme suffisamment porteur d’une caractéristique agressive sur un plan fiscal pour ne pas nécessiter la réalisation du test de l’avantage principal.
Lorsque ces conditions sont réunies, une déclaration doit être transmise à l’administration fiscale[5]. Les déclarants auraient dû en principe commencer à déclarer ces dispositifs, pour leur plus grande partie, à compter du 1er juillet 2020. Toutefois, la Commission européenne a permis aux Etats membres de reporter de six mois de la mise en œuvre de DAC 6 pour tenir compte des contraintes générées par la crise du Covid-19 qui ont empêché les contribuables et les administrations fiscales des Etats membres de se préparer convenablement.
La plupart des Etats membres ont utilisé cette faculté (à l’exception de l’Allemagne, la Finlande et la Pologne).
2- Difficultés soulevées par la mise en œuvre de DAC 6 en France
Malgré ce report, les incertitudes auxquelles sont confrontées les déclarants demeurent nombreuses. Les précisions apportées par l’administration fiscale dans ses commentaires soumis à consultation publique ne répondent pas toujours aux questions soulevées par la mise en œuvre pratique de la directive. A ce titre, les commentaires définitifs qui sont annoncés pour mi-octobre sont attendus avec impatiente.
En premier lieu, se pose la question de l’articulation du respect du secret professionnel des intermédiaires qui y sont soumis avec les dispositions de la directive.
Bien que la directive prévoit la possibilité pour les États membres d’aménager les obligations des intermédiaires qui seraient soumis au secret professionnel, la France a fait le choix de ne pas dispenser les intermédiaires soumis au secret professionnel de l’obligation déclarative. Une procédure spécifique a été mise en place : l’intermédiaire soumis au secret professionnel doit demander l’accord de son client pour procéder à la déclaration et à défaut d’accord du client, la notification doit être faite à un autre intermédiaire ou, à défaut, au client lui-même.
Prenons l’exemple de l’avocat : son indépendance est à coup sûr amoindrie puisqu’il devient dépendant de la volonté de son client de lever ou non le secret professionnel. Par ailleurs, avec cette procédure, l’avocat pourrait être amené, selon l’administration, à divulguer à un autre intermédiaire, avec qui il n’est pas nécessairement en relation, des informations couvertes par le secret professionnel.
Ensuite, de nombreuses difficultés d’application pratiques apparaissent. L’ordonnance de transposition et les commentaires de l’administration n’indiquent pas clairement la procédure à suivre dans le cas où l’intermédiaire ne travaille pas seul mais appartient à une structure (e.g., avocat collaborateur d’un cabinet) : l’obligation déclarative repose-t-elle sur la structure ou sur l’intermédiaire ?
Dans ses commentaires, l’administration précise que lorsqu’une personne physique est salariée d’une entreprise et agit au nom de l’entreprise, c’est l’entreprise qui est considérée comme intermédiaire.
Toutefois, la doctrine étant d’interprétation stricte, peut-on étendre ce raisonnement à tous les types de structures ? Selon nos informations, la réponse serait positive mais le point mérite d’être explicitement confirmé.
Sur le champ de l’obligation déclarative, on peut se demander si des simples projets de dispositifs devraient être déclarés ?
En l’état actuel des textes, un dispositif qui serait encore non abouti mais dont les principales caractéristiques sont définies serait potentiellement déclarable, ce qui rendrait potentiellement la tâche déclarative immense. Là encore, nous comprenons que la dernière version des commentaires administratifs devrait permettre de confirmer ce point mais nous restons dans l’attente.
Pour déclarer, encore faut-il avoir conscience et connaissance de l’existence d’un dispositif déclarable. L’administration fiscale pourrait-elle reprocher à l’intermédiaire de ne pas avoir entrepris toutes les diligences nécessaires pour rechercher si le dispositif était déclarable ou l’intermédiaire est-il protégé par une forme de droit à l’ignorance ?
En principe, les intermédiaires déclarent les informations dont ils ont connaissance, qu’ils possèdent ou qu’ils contrôlent mais ces termes ne sont pas clairement définis et leur interprétation pourraient être à géométrie variable en fonction de la qualité de l’intermédiaire. L’administration s’est voulue dernièrement rassurante à cet égard mais il faudra que ce point soit plus clairement couvert.
Avec cette première vision, qui n’a d’autre ambition que celle de présenter brièvement certains des principaux concepts de DAC 6, chacun comprend aisément que les questions qui demeurent sans réponses sont nombreuses.
La conférence « Nouvelles obligations déclaratives issues de la directives DAC » qui se tiendra lors du Carrefour du Droit le 20 novembre prochain sera l’occasion de donner quelques éléments d’analyse et d’échanger plus longuement sur les principes de cette nouvelle obligation déclarative, ses conséquences pratiques pour l’ensemble des professionnels et sur l’apport des commentaires définitifs de l’administration fiscale.
De Alexandre Ippolito, Intervenant Comundi et Partner, White & Case LLP.
[1] DAC 7, qui visera plus spécifiquement les plateformes numériques, est déjà en préparation.
[2] En France : amende de 10.000 € en cas de défaut de déclaration, qui peut être ramenée à 5.000 € en cas de première infraction au titre de l’année civile en cours et des trois années précédences et dans une limite globale pour un même intermédiaire ou un même contribuable de 100.000 € par année civile.
[3] BOI-CF-CPF-30-40 et suivants.
[4] En application de l’article 1649 AH du Code général des impôts, ce critère est rempli s’il est établi que l’avantage principal ou l’un des avantages principaux qu’une personne peut raisonnablement s’attendre à retirer d’un dispositif, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, est l’obtention d’un avantage fiscal.
[5] Selon des délais variables, cette obligation pesant sur l’un des intermédiaires et, en cas d’empêchement (par exemple, pour cause de secret professionnel) sur le contribuable lui-même (ou en cas d’empêchement sur le client de l’intermédiaire empêché).