Elle inquiète autant qu’elle fascine les entreprises, trop souvent persuadées qu’un manager en sweat-baskets, un baby-foot et des poubelles de tri devraient suffire à attirer et fidéliser les moins de 25 ans qui arrivent sur le marché du travail. Voici dix idées reçues sur la «GenZ» à battre en brèche.
Les lieux communs se multiplient lorsque l’on parle de ceux qui sont respectivement les petits frères et soeurs de la génération Y et les enfants de la génération X.
Il est, du reste, toujours délicat de réfléchir en matière de tranches d’âge : comme toujours, la jeune génération est affublée des nouveaux maux de la société… Les clichés (la GenZ ne jure que par le distanciel, les hiérarchies horizontales, les congés à rallonge…) viennent souvent tronquer l’analyse, alors même que beaucoup de facteurs individuels et intrapersonnels viennent pondérer ces caractéristiques.
Certains traits communs et paradoxes – symptomatiques d’une génération marquée par les confinements et l’âge d’or du numérique – émergent néanmoins à travers dix idées reçues à battre en brèche.
Une population loin d’être homogène
Souvent sont mis en avant, pour illustrer la génération Z, des profils atypiques, surdiplômés, issus de grandes écoles, dont la vision n’est finalement pas représentative de toute une génération.
Prudence ! Il s’agit, ici, de jeunes dont encore peu sont entrés sur le marché du travail : il paraît ainsi difficile de faire coïncider les fantasmes qu’alimente une génération avec une réalité du monde de l’entreprise.
Un désir de repenser le travail pour… plus d’épanouissement
« Le travail, ce n’est pas toujours une partie de plaisir ! » leur ont dit leurs parents – issus de la génération X -, prompts à brocarder les « lubies » d’une jeune génération qui aspirerait à concilier vie professionnelle et loisirs permanents.
« On est en plein dans ‘l’époque du job instagrammable’ », estime Emmanuelle Pays, la directrice des ressources humaines (DRH) et de la communication de la société Extia. La crise sanitaire aurait bien davantage brouillé les frontières entre les vies professionnelle et personnelle : « Les gens ont commencé à importer leur bureau chez eux », observe-t-elle. Et les réseaux sociaux participent à une « déréalisation du monde de l’entreprise » : qui ne rêverait pas de télétravailler depuis Ibiza ? !
Alors certes, les moins de 25 ans tendent à redéfinir le travail et à se détacher de la vision contraignante, identitaire, voire sacrificielle, de leurs parents. Néanmoins, tout le paradoxe réside ici : pour la génération Z, le travail est aussi le levier le plus efficace à l’épanouissement.
Une quête de bonheur au travail… pas pour tous
Existe aussi l’excès inverse qui voudrait faire de la vie professionnelle un « otium », une zone grise entre travail et loisir. Selon Jasmine Manet, directrice générale de YouthForever, cette option peut se révéler une source d’angoisse pour les jeunes, une forme « d’injonction au bonheur », une façon de « travailler sans avoir l’air de travailler ».
C’est, encore une fois, donner une place trop grande aux surdiplômés et aux plus aisés parmi les GenZ et faire fi des préoccupations matérielles qui touchent beaucoup de jeunes : le travail n’est pas toujours vocationnel, il peut être – et est souvent – alimentaire pour beaucoup.
Une « Génération Zapping » à gérer différemment
Pour Michael Kienle, vice-président en charge du recrutement chez L’Oréal, les mouvements et changements de poste chez les jeunes ne sont pas particulièrement un problème : « De même qu’on ne peut pas attendre d’un étudiant, tout droit sorti de ses études, de savoir précisément ce qu’il veut faire, on ne peut pas lui demander qu’il s’engage à faire la même chose toute sa carrière », affirme le dirigeant.
A travers une formation par rotations, L’Oréal permet aux jeunes professionnels d’exercer, s’ils le souhaitent, plusieurs métiers pendant douze à dix-huit mois. Par la suite, le groupe met l’accent sur les « RH de proximité », qui accompagnent les employés et ont la responsabilité de « détecter des signaux » – une baisse de motivation, des questionnements, etc. – afin d’éviter ce qu’il convient désormais communément d’appeler la démission silencieuse ou le « quiet quitting ».
Un peu de hiérarchie quand même, mais pas trop
Avec la génération Z, on passe donc d’une hiérarchie verticale à un format plus horizontal, n’est-ce pas ? « Oui, mais… non ! » répond le sociologue Ronan Chastellier.
Certes, les GenZ ne sont pas friands des styles de management traditionnels, très pyramidaux. Mais en pleine perte de repères, les moins de 25 ans expriment paradoxalement un désir de « figure d’autorité » : « quelqu’un qui tienne le cap », indique Ronan Chastellier.
Management : le respect, ça se mérite !
Pour fidéliser la génération dite « Zapping », ce sont sur les managers et leur équipe que les entreprises vont miser. C’est en effet à eux que les GenZ vont être fidèles , plus qu’à l’entreprise.
Pour eux, la valeur de la collaboration est primordiale. Si elle fait défaut, adieu ! « Pour cette génération, le respect se mérite, confirme Michael Kienle, ce que je trouve plutôt sain. »
Le rôle du manager consiste à « mettre en place un cadre rassurant, où le jeune peut évoluer sans avoir peur de prendre des responsabilités : c’est un filet de sécurité », poursuit le dirigeant de L’Oréal.
Une soif d’apprendre intense et généralisée
Jasmine Manet va plus loin en mentionnant la conscience d’une génération Z qui « ne peut pas porter la responsabilité du monde seule ».
Les GenZ exprimeraient un désir d’apporter leur pierre à l’édifice, mus par un véritable « impératif d’utilité » et tout en connaissant leur place. Cette génération ne demande qu’à apprendre, affirme Jasmine Manet. « Le pire pour un GenZ, c’est de stagner », confirme Michael Kienle. Donnée marquante, 73 % des jeunes envisageraient de changer d’emploi en 2023, considérant qu’ils n’apprennent plus, nous apprend le rapport annuel d’Amazon.
Une parade : le feedback ou retour d’appréciation. Plébiscité par les jeunes générations, il permet un encadrement continu et horizontal, qui va bien au-delà de la fidélisation, son effet secondaire. Désormais, pour former et faire grandir leurs nouvelles recrues, les entreprises mettent en place des formats davantage axés sur le développement du collaborateur que sur sa performance. Et favorisent les dialogues qui permettent des feedbacks, y compris ceux à 360 degrés. Autrement dit, les retours, cette fois, de l’employé à propos de son manager : mais encore faut-il oser…
Un certain nombre de Z-entrepreneurs
Concilier les fantasmes de liberté d’une génération, et le cadre plus rigide de l’entreprise régie par les réalités économiques : une gageure ? Pas forcément dès lors que l’on prévoit plus d’entrepreneuriat dans le salariat .
« Pour moi, c’est la revendication la plus intelligente de la génération Z, affirme Ronan Chastellier. Ce qui m’intéresse au-delà de toutes les gadgets mis en place par les services RH, c’est cette dimension entrepreneuriale. » Une revendication qui dépasse le paradoxe qui consiste à « dérigidifier » le cadre quelque peu fonctionnarial du travail (fixité des horaires et de l’environnement de travail, flicage des employés) pour y insuffler une autonomie intelligente (travailler plus pour gagner plus, encourager les projets parallèles…).
L’esprit entrepreneurial est au coeur de la culture de certaines entités, comme le cabinet de conseil en tech Extia pour qui l’entreprise doit être « un terrain de jeu professionnel » pour ses employés, selon Emmanuelle Pays. Chaque collaborateur y est libre de porter ses projets : ouvrir une agence à l’étranger, proposer une nouvelle offre… C’est le « paradoxe du collectif : il faut que chacun puisse exister tout en ayant des objectifs communs », pointe la DRH.
Du télétravail, oui, mais pas tout le temps
Le télétravail serait devenu la condition sine qua non au recrutement des GenZ. Mais il serait simpliste de penser que les moins de 25 aspirent à une vie professionnelle intégralement à distance.
Remettons les choses dans leur contexte : le télétravail, ce n’est pas tant une exigence pour la génération Z mais « c’est tout ce qu’ils ont toujours connu », martèle Jasmine Manet. Effectivement, la crise du Covid a marqué l’entrée des premiers GenZ dans le monde du travail. Depuis, le télétravail est devenu monnaie courante pour eux.
Néanmoins, les confinements à répétition ont sérieusement affecté la santé mentale des jeunes : « Vivre derrière son écran, ça va bien deux secondes ! » On retrouve chez les moins de 25 ans une recherche de convivialité et de liens sociaux authentiques. Bref, cette « chaleur humaine de l’entreprise », observe Ronan Chastellier.
D’ailleurs, « les plus jeunes ont été les premiers à revenir au bureau chez L’Oréal », pointe Michael Kienle. Il est vrai que beaucoup ne partagent pas les conditions de vie des plus âgés : la colocation et un frigo vide ne sont pas les meilleurs amis du distanciel.
Des idées criées par les jeunes… et portées par tous
En définitive, ces revendications ne traversent-elles pas la société dans son ensemble ?
Comme toujours, les jeunes sont les vecteurs du changement et si leurs idées sont partagées par d’autres tranches d’âge, ce sont bien les GenZ – experts des réseaux sociaux et conscients de leur pouvoir – à les proclamer avec le plus de véhémence.
Par Inès Le Chatelier