Plus d’un an après le début de la pandémie de Covid-19, Amy Edmondson, professeure de leadership et de management à la Harvard Business School livre en exclusivité aux « Echos » ses réflexions sur les transformations du monde du travail et les leçons à tirer de cette crise.
Amy Edmondson est l’une des expertes les plus influentes en matière de ressources humaines et de diversité . Les travaux de recherche de cette professeure de leadership et de management à la Harvard Business School sont particulièrement pertinents au moment, où nombre d’entreprises et organisations s’engagent dans des démarches plus inclusives.
Le concept de sécurité psychologique est au coeur de votre réflexion. En quoi est-il crucial au développement des entreprises, tout particulièrement en cette période ?
Il y a deux raisons à cela : d’abord, les entreprises qui instaurent un climat de sécurité psychologique sont moins à risque d’échecs puisque les collaborateurs sont suffisamment en confiance pour évoquer spontanément les problèmes qu’ils rencontrent. Des solutions peuvent donc être trouvées plus rapidement. Ensuite, parce que ces organisations permettent aussi plus facilement à la créativité des équipes de s’exprimer, et donc à l’innovation de voir le jour.
La sécurité psychologique au travail implique de créer un environnement de sincérité dans lequel tous les collaborateurs, à toutes les échelles de l’entreprise, se sentent suffisamment en confiance pour oser s’exprimer, prendre la parole, proposer des idées, poser des questions ou encore débattre, sans avoir peur d’être mis à l’écart ou blâmés. Il s’agit fondamentalement de remettre la franchise et le dialogue bienveillant au cœur des relations de travail, pour bâtir des organisations innovantes et résilientes . La sécurité psychologique est fondamentale pour la croissance et la performance des entreprises, pour les aider à résister aux crises comme celles que nous vivons.
Mais avec la pandémie de Covid-19, la sécurité psychologique s’est globalement dégradée…
Tous les secteurs ont été touchés et la sécurité psychologique est fragilisée, à tous les niveaux, dans toutes les entreprises. Mais les problèmes ne sont pas les mêmes partout. Pour les secteurs d’activité au contact du public (grande distribution, commerce, médecine, enseignement…), le début de la pandémie a souvent été marqué par un climat d’insécurité psychologique. Les travailleurs craignaient pour leur santé, mais dans de nombreux cas ne se sentaient pas toujours en mesure de l’exprimer.
Pour ceux qui pratiquent le télétravail, les problématiques sont un peu différentes. Le fait de travailler en visioconférence, notamment, peut impliquer plus de difficulté à se faire entendre lors des réunions, à s’exprimer de manière spontanée . Il est courant de se sentir moins connectés à ses collègues et de rencontrer plus de difficultés à travailler en équipe. De plus, une étude de Stanford aux Etats-Unis a montré que la « zoom fatigue » – la fatigue liée à la communication en visio – est un phénomène réel qui a des causes bien concrètes.
Vous avez justement beaucoup écrit sur le télétravail à l’heure du Covid et sur la nécessité de préparer l’avenir du travail hybride. Pouvez-vous nous en dire plus sur les défis que vous avez identifiés ?
Je pense qu’il va falloir être très attentifs à bien tirer les bonnes leçons de cette crise. Un an après son début, nous nous félicitons d’avoir rapidement mis en place des modes de travail à distance et d’avoir réussi à continuer à avancer dans une période aussi incertaine. Mais ce n’est pas parce que les choses ont fonctionné au cours de l’année écoulée qu’il est souhaitable de conserver ce paradigme de travail à distance à long terme, dans toutes les entreprises. Il faut faire un vrai bilan de ce qui a fonctionné ou pas, pour chaque entreprise. Un mode d’organisation hybride qui marche pour une organisation ne marche pas forcément pour une autre.
Afin de préparer l’après-pandémie et le retour au travail, il faudrait avoir une réflexion centrée sur le produit, le service ou la raison d’être de chaque organisation , afin de déterminer quels modes de travail conviennent pour continuer à créer cette valeur.
La crise du Covid-19 est une disruption qui permet de repenser l’organisation du travail pour continuer à favoriser la collaboration et la créativité. L’organisation des modes de travail hybrides ne doit pas nécessairement être laissée au hasard – chaque salarié revenant en présentiel le jour qui lui convient – mais en fonction des impératifs du travail en équipe, de l’importance donnée à la spontanéité et des besoins de liens sociaux.
De quelles qualités les dirigeants doivent-ils faire preuve pour manœuvrer au mieux pendant cette crise ?
Afin de guider leurs équipes, les dirigeants doivent surtout faire preuve de transparence et d’humilité. Ils doivent être en mesure d’expliquer les décisions qu’ils prennent dans cette période instable, mais aussi d’exprimer les doutes qu’ils peuvent avoir. Ils n’ont pas réponse à tout , et doivent se sentir eux aussi en confiance pour le dire.
« Un mode d’organisation hybride qui marche pour une organisation ne marche pas forcément pour une autre. »
Il ne faut pas hésiter à se tourner vers les collaborateurs qui peuvent être force de proposition pour construire l’avenir. Il faut aussi se rappeler qu’avant de trouver un mode de travail qui convient à tous, dans ce contexte instable, il sera sûrement nécessaire de tester plusieurs solutions. On pourra donc envisager de faire des bilans réguliers avec les équipes pour voir ce qui fonctionne ou non, pour affiner ces nouvelles manières de travailler ensemble.
Certaines études ont pointé du doigt un risque de régression en matière de diversité et d’inclusion dans les entreprises, à la faveur de la pandémie. Qu’en pensez-vous ?
J’ai l’espoir que nous puissions continuer à avancer sur ces sujets. Si en 2020, les sujets d’inclusion et de diversité n’ont pas toujours été la priorité, ils n’ont toutefois jamais disparu du devant de la scène. Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas simplement de recruter des collaborateurs femmes ou issus de minorités. Encore faut-il que ces personnes sentent réellement qu’elles font partie de l’entreprise. Et qu’elles aussi aient un sentiment de sécurité psychologique, afin de contribuer au développement de leur organisation.
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Par Léna Sanchez