Rendre une entreprise inclusive n’est pas une mince affaire. Dépasser le stade de la diversité est essentiel pour éviter tout tokénisme (« diversitywashing »), passer à l’action opérationnelle et durablement lier collectif varié et fort à performance.
Lancement, mardi 9 mai, du Grand Prix 2023 de la diversité et de l’inclusion à l’Unesco, publication dans la foulée des résultats d’une enquête exclusive BVA People Consulting – AFL Diversity sur cette thématique ; puis, le 10 mai à Paris La Défense Arena, journée Inclusiv Day organisée par le groupe « Les Echos-Le Parisien »… le sujet de la diversité, de l’équité et de l’inclusion (DEI) se fait prégnant cette semaine.
35 % des entreprises interrogées par Workday indiquent encourager la candidature de profils variés, et 30 % soutenir le développement et la promotion de la diversité. Belle avancée ! Cependant, les stratégies tardent à se mettre en oeuvre. Quand 70 % des 2.500 dirigeants récemment sondés par McKinsey déclarent que leurs organisations expriment des aspirations transformatrices en la matière, seulement 47 % jugent disposer de « l’infrastructure nécessaire » pour mener à bien leur politique DEI.
De leur côté, si 60 % des salariés estiment que leur entreprise s’engage sur ces enjeux, 63 % d’entre eux n’y voient que tokénisme (« diversitywashing ») ou pur axe de communication qui peine à s’incarner au quotidien, rapporte l’enquête BVA People Consulting – AFL Diversity.
Pis, 38 % de ces salariés ont personnellement vécu au travail des comportements non respectueux, voire discriminatoires en raison de leurs différences. Que ces dernières (qui peuvent s’additionner) portent sur un âge , un genre , une origine sociale, géographique ou ethnique (55 % de discrimination), une orientation sexuelle (51 % des personnes LGBT + se sentent discriminées), un handicap physique visible ou invisible, un parcours académiques inhabituel ou encore un état de haut potentiel intellectuel ( HPI ).
Pourquoi un tel décalage entre les initiatives des entreprises et la perception qu’en ont leurs salariés ?
Efforts encore insuffisants
Parce que les efforts fournis restent insuffisants au regard de l’importance des besoins en matière d’emploi et de responsabilité sociale d’entreprise ( RSE ). Du reste, « la lutte contre les discriminations et les actions en faveur de la qualité de vie et le bien-être au travail sont au coeur des stratégies RSE et des attentes des collaborateurs aujourd’hui en France », observent Adrien et Fabien FigulaLetort, les fondateurs d’AFL Diversity.
« Bien que des actions soient mises en place dans de nombreuses organisations, […] il y a encore beaucoup à faire pour répondre à ces enjeux et permettre à chacun d’être soi-même en entreprise », poursuivent les créateurs et organisateurs du Grand Prix Diversité & Inclusion en pointant que 73 % des salariés sondés répondent n’avoir jamais été sensibilisés ou formés à ces sujets au sein de leur entreprise.
Les mentalités évoluent sensiblement : un jeune de moins de 35 ans sur deux se dit prêt à démissionner s’il constate que son entreprise traite différemment un ou une salarié(e) en raison de ses différences. « Ne pas coller à la réalité de la société fait courir un risque de réputation, de fort turnover des plus jeunes et de perte d’expertise des plus âgés », pointe Nicolas Janda, directeur des compétences stratégiques chez TH Conseil.
De quoi se dépêcher de convaincre une direction générale de rendre l’organisation véritablement inclusive. Sans oublier d’aborder, avec elle, la question cruciale des moyens humains et financiers à engager pour y parvenir. Car, trop souvent, les budgets alloués en la matière sont limités et les personnes chargées de ces questions inexpérimentées ou marginalisées.
Sachant que le recrutement et l’accès aux postes à responsabilité sont deux temps forts de la discrimination , il importe que le concept d’inclusion imprègne autant les politiques et procédures maison que le mode de leadership et les pratiques professionnelles quotidiennes et rejaillisse sur le climat et la culture internes.
Créer du lien et de la confiance
Aux dirigeants et managers de communiquer sans fard sur ces questions tout au long de la ligne hiérarchique, sans jamais exclure personne de la discussion.
A eux de tout mettre en oeuvre pour rendre la stratégie DEI opérationnelle. Cela passe notamment par un processus d’intégration soigné permettant de familiariser les nouveaux venus aux pratiques d’inclusion maison et aux engagements sociétaux.
Aussi par des sessions de mentorat, du coaching, ainsi que l’élaboration d’un code de comportements acceptables.
Quoique personnel, un sentiment d’appartenance à un collectif peut être développé dès lors que l’entreprise sait créer l’environnement adéquat et les attitudes qui vont le générer.
Mesurer les progrès
Voilà qui nécessite des actions de sensibilisation aux biais inconscients, la constitution de groupes de soutien et de parole, des cycles de formation (fresque de la diversité, certificats et MOOC spécifiques, etc.), une fine observation des uns et des autres (attitudes de retrait ou expression libre d’un avis) et une lutte sans merci contre les préjugés à mener auprès de l’ensemble des collaborateurs et des managers comme des clients, fournisseurs et investisseurs.
Pour mesurer les progrès effectués, les taux d’embauche, d’encadrement et de promotion de personnes issues de la diversité sont quelques indicateurs éclairants. Tout comme, par exemple, les plus qualitatifs niveaux de satisfaction au travail et d’engagement.
Quoi de plus absurde et contre-productif qu’une diversité sans inclusion ? Cela ne peut déboucher que sur du découragement, des départs prématurés et/ou un sentiment d’exclusion. Une sensation d’isolement ou de solitude dont les conséquences sur la santé physique et mentale des personnes concernées coûteraient, aux Etats-Unis selon Gallup, quelque 550 milliards de dollars annuels aux entreprises ! Beau gâchis.
Par Muriel Jasor