Emmanuelle Blons, autrice du livre « L’IA au coeur de l’entreprise* », explique que l’intelligence artificielle accélère le besoin de développer des capacités proprement humaines. Les voici.
L‘évolution des compétences et des emplois face à l’IA constitue un champ d’investigation stratégique pour les directions des ressources humaines. « Les approches de formation basée sur la connaissance d’il y a 200 ans mèneraient nos enfants à l’échec car ils ne pourront jamais rivaliser avec les machines. Il faut enseigner aux enfants des compétences de « savoir-être » ( soft skills en anglais) comme l’esprit critique et la collaboration » explique Jack Ma, fondateur d’Alibaba, géant chinois de l’e-commerce.
Une étude du forum économique mondial de Davos montre une modification de l’ordre des compétences clés en un très court laps de temps : la pensée analytique, l’apprentissage actif et les capacités à résoudre des problèmes complexes ravissent les premières places. On note aussi la présence de la pensée critique et de la créativité. Avec l’arrivée de l’IA, on assiste à un bouleversement de la hiérarchie des compétences : les compétences transversales, sociales et situationnelles deviennent clés.
De façon très claire, il s’agit principalement de développer massivement les compétences humaines complémentaires de l’intelligence artificielle, ou tout au moins « non substituables ». Ainsi, le déploiement de l’IA accélère le besoin de développer des capacités proprement humaines (créativité, dextérité manuelle, pensée abstraite, résolution de problèmes).
L’étude du conseil d’orientation pour l’emploi (COE) confirme ces analyses : elle montre ainsi que les compétences sociales (travail en équipe, intelligence sociale) et situationnelles (autonomie, apprendre à apprendre) sont en moyenne toujours plus sollicitées dans un environnement de travail numérisé. […]
Les soft skills, des compétences majeures
Début 2021, Netlegis, Todoskills et Legisocial ont mis en place le premier baromètre national des soft-skills en s’appuyant sur une liste de 48 compétences classées en six catégories. Les catégories regroupent la majeure partie des soft-skills et ont été réalisées à partir de la liste des compétences les plus souvent mentionnées par les chercheurs et les classements internationaux.
– Communication : les compétences relevant du domaine d’échange d’informations avec autrui ;
– Compétences interpersonnelles : les compétences relevant du domaine de l’interaction avec les autres au sein d’un groupe social ou d’un collectif ;
– Leadership : les compétences relevant du domaine de l’influence positive qu’un individu exerce sur ses collaborateurs ;
– Apprentissage : les compétences relevant du domaine des mécanismes d’acquisition des savoirs ;
– Compétences intrapersonnelles : les compétences relevant du savoir-être et des attitudes orientées vers et pour soi-même ;
– Réflexion et imagination : les compétences nécessaires à la résolution de problèmes. Ces compétences permettent de trouver des solutions astucieuses, logiques ou créatives.
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La curiosité, un facteur de valeur dans la nouvelle ère numérique
En 2019 et 2020, la créativité a pris une place prépondérante dans la liste des compétences non techniques demandées par les entreprises. Dans leur récent ouvrage, The Curious Advantage, Paul Ashcroft, Simon Brown et Garrick Jones affirment que « la curiosité est le plus grand facteur de valeur dans la nouvelle ère numérique ».
La curiosité est au coeur des compétences requises pour naviguer avec succès dans nos vies numériques, alors que l’avenir est incertain. Cette créativité permet d’imaginer des solutions nouvelles à des problèmes complexes, elle permet de s’adapter collectivement dans le nouveau monde du travail. Dans un autre registre, les auteurs Paul R. Daugherty et H. James Wilson, dans Human + Machine, expliquent que la collaboration homme machine requiert le développement de huit compétences de « fusion » (fusion skills).
Chacune de ces compétences renforce la fusion entre l’homme et la machine pour améliorer les résultats d’un processus métier. Ce qui diffère des ères précédentes, c’est justement l’interaction homme machine : la machine apprend de vous et vous apprenez d’elle, créant ainsi un cercle vertueux d’amélioration des processus.
Ces fusion skills sont les suivantes :
· Réhumaniser le temps : la capacité à utiliser son temps disponible pour des tâches de socialisation, création, prise de décision ;
· Normalisation responsable : être capable de normaliser, de façon responsable, les objectifs et la perception des interactions homme machine quand elles concernent les individus, la société et les affaires ;
· Développement de son jugement : la capacité à décider d’une ligne de conduite quand la machine est incertaine sur la tâche à effectuer ;
· Interrogation intelligente : savoir quelle question poser à l’IA, avec différents niveaux d’abstraction, pour obtenir les réponses dont on a besoin ;
· Autonomisation grâce aux robots : être capable de travailler avec des agents intelligents pour étendre ses capacités, accélérer les processus métiers et le développement de sa carrière professionnelle ;
· Fusion holistique : la capacité de développer des modèles cognitifs robustes pour maximiser les résultats des agents intelligents. C’est par exemple le cas lorsque vous éprouvez le sentiment d’utiliser un outil aussi facilement que si c’était une extension de votre corps ou de votre esprit ;
· Apprentissage réciproque : (i) l’utilisateur performe des tâches à côté de l’intelligence artificielle pour qu’ils puissent tous deux apprendre, (ii) la formation des salariés permet de mieux travailler avec des IA ;
· Imagination permanente : la capacité à créer de nouveaux processus et de nouveaux modèles à partir de zéro, plutôt que de simplement automatiser d’anciens processus.
Cette dernière compétence reflète l’essence même de la collaboration homme machine. Il serait totalement inutile d’insuffler de l’IA en calquant nos anciens modes d’organisation du travail. Il convient de se servir de l’opportunité que nous offre l’IA pour tout réinventer et créer de nouvelles façons de travailler.
L’empathie, un aspect qui reste le privilège de l’humain
Dans un futur très proche, les entreprises et les individus vont devoir se différencier sur un aspect qui reste le privilège de l’humain et qu’aucun algorithme ne peut recréer : l’empathie . En psychologie, l’empathie désigne la capacité à ressentir les émotions de quelqu’un d’autre, arriver à se mettre à la place d’autrui, se représenter ce qu’il ressent et/ou pense. On distingue l’empathie cognitive et l’empathie émotionnelle. L’empathie cognitive consiste à se représenter les états mentaux d’autrui et l’empathie émotionnelle à ressentir l’état émotionnel d’autrui.
L’auteur Stéphane Mallard, dans son ouvrage Disruption, explique que pour répondre à ce besoin d’empathie, les entreprises doivent se préparer et « devront recruter et former à l’excellence émotionnelle. Elles devront travailler avec des psychologues, des philosophes, des artistes et d’autres professionnels des soft skills, pour apprendre à se mettre à la place de leurs clients et créer cette relation exceptionnelle. »
*Ce texte est extrait de « L’IA au coeur de l’entreprise » publié aux éditions EMS, 204 pages, 22 euros.
Emmanuelle Blons