En multipliant les « interdits d’être », la culture d’entreprise risque de taire les malentendus, d’étouffer les petites confrontations, quitte à générer à terme des conflits plus explosifs.
Dans les processus de recrutement, la culture d’entreprise est devenue un élément déterminant, que mettent en avant les employeurs. Le modèle des valeurs de l’organisation, affichées aux murs des bureaux et distribuées sur des stickers aux clients, candidats et collaborateurs, a peu à peu dicté les règles de la sélection à l’embauche.
La pression du turnover lié aux ratés de l’intégration, considéré comme coûteux et problématique lorsque « la greffe ne prend pas », incite à rechercher des profils types, sur mesure pour l’organisation et l’image qu’elle souhaite projeter. Or, les enjeux de « perfect match » et de « culture fit » sont traversés de grandes contradictions.
Une invitation faite aux semblables
Quelle est cette culture d’entreprise à laquelle il est fait référence ? Un socle de valeurs ? Une identité ? Est-elle voulue, constatée ? Est-ce une ambition affichée ou un objectif à atteindre ? Est-elle soumise à des mises à jour ?
Plus ou moins forte selon les organisations, cette culture – histoire, méthodes, événements, valeurs partagées – et ses composantes informelles – jargon, code vestimentaire – est à la fois une source de cohésion et de performance des équipes, mais aussi le moyen d’attirer les talents par une promesse de l’employeur.
Le fait est que leur intégration sera d’autant plus rapide qu’ils partageront, sinon la culture interne de l’entreprise, du moins ses valeurs clefs. Il est donc raisonnable de la prendre en compte dans le processus de sélection. Toutefois, à travers le message envoyé aux futurs talents, que l’on peut résumer par : « Ici, voici ce que vous devrez partager », la culture d’entreprise est une invitation faite à des « semblables ».
C’est peut-être là que le bât blesse aujourd’hui.
Un sourire plutôt que de la compétence
« Nous voulons un candidat qui partage nos valeurs », entendent souvent dire les chasseurs de talents. Pourtant, lorsqu’il faut énumérer celles-ci, il n’est pas rare que, même à la DRH, personne ne s’en souvienne très bien ! Innovation ? Créativité ? Quoi encore ?
Ces valeurs restent souvent vagues ou très génériques dans leur formulation : authenticité ? C’est-à-dire ? Comment cette authenticité est-elle véritablement incarnée dans l’entreprise ? De même, lorsqu’il s’agit de la « convivialité » ou encore de « l’éthique ». De quoi parle-t-on ? Comment les mesurer ? Comment identifier chez un candidat son adhésion aux valeurs ? Qui les a définies ? Qui les incarne ?
Citons l’exemple d’une enseigne, attachée à la qualité de l’expérience client, qui n’hésite pas à réclamer des candidats dont la compétence principale est d’être… souriants. Elle va jusqu’à préciser que le sourire est, dans ce cas, plus important que les compétences professionnelles elles-mêmes !
Faut-il rater le candidat le plus « pro » pour une question de sourire ?
Risque de consanguinité
Moteurs pour une organisation, la culture et les valeurs qui lui sont associées doivent conserver une certaine souplesse. Une culture d’entreprise qui imposerait un « collaborateur type », à laquelle tous les membres adhéreraient pleinement sans jamais s’en démarquer, affecterait au final, les transformations et la bonne évolution de la structure.
Il n’est pas rare que de grands groupes s’emploient à trouver le candidat qui saura leur insuffler un « esprit start-up », tout en exigeant de lui un profil et des attitudes contraires à ces attentes ! La culture d’entreprise est à la fois une force et une faiblesse. Elle peut très vite impliquer une fermeture aux autres et à la différence, rendre aveugle aux opportunités ou ignorant des virages à prendre. Enfin, il faut préciser que la culture de l’entreprise est, en réalité, rarement unifiée.
Dans de nombreuses organisations, il existe en fait plusieurs cultures liées aux fonctions, aux métiers, à l’ancienneté, ou aux nationalités. Elles peuvent engendrer des incohérences internes, des besoins spécifiques en recrutement pour lesquels l’adhésion des candidats aux valeurs de l’entreprise n’est pas primordiale. L’expertise passe alors avant le… sourire ou le souci de l’environnement.
Ne pas multiplier les « interdits d’être »
Dans un contexte où l’activité subit des transformations, où les technologies bouleversent la donne concurrentielle, où les clients évoluent, où les produits et leur circuit de distribution se transforment eux aussi, une culture trop forte ou trop stable peut desservir le recrutement des talents qui feront la différence et donneront une impulsion nouvelle à l’activité. Car sans éléments perturbateurs ou sans collaborateurs ressemblant aux clients, les processus en place ne sont jamais remis en cause.
Certes, la visibilité donnée à la culture de l’entreprise a rendu de grands services. Elle a diffusé de nouveaux modèles, motivants, moins hiérarchisés et propres à attirer de jeunes talents. Elle ne saurait pourtant être perçue comme un socle clair de valeurs et attitudes écrites au fronton de la société et devrait pouvoir intégrer la différence. En multipliant les « interdits d’être », la culture d’entreprise risque simplement de taire les malentendus, d’étouffer les petites confrontations, quitte à générer, à terme, des conflits plus explosifs.
Le processus d’intégration ne passe pas seulement par l’adoption pleine et entière du dogme de l’employeur. Pourquoi ne pas inviter le nouvel entrant à contribuer, à sa façon, à l’avenir de l’entreprise ? Pourquoi ne pas l’inviter à faire partie de son devenir en trouvant une place qui lui appartienne en propre ? Ne serait-ce pas là, finalement, la meilleure attitude à adopter pour favoriser une intégration optimale ?
Emmanuel Stanislas
Emmanuel Stanislas est fondateur de Clémentine, cabinet de recrutement spécialiste des talents de l’IT et du Digital. Sur Twitter : @ClementineJobs