Réforme de la formation professionnelle
Formation professionnelle

Formation : une vraie réforme mais pas un big bang

Réforme de la formation professionnelle

Le gouvernement a tenu sa promesse de réformer en profondeur la formation professionnelle. Parler pour autant de révolution serait exagéré. La plupart des décisions inscrites dans la loi envoyée au Conseil d’Etat ne font que prolonger des mesures qui avaient déjà été amorcées.

Lorsqu’ils ont conclu leur négociation sur la formation professionnelle jeudi 22 février, peu avant 4 heures du matin, syndicats et patronat se sont quittés exténués mais satisfaits.

CGT exceptée, tous ont loué des avancées réelles, la plus emblématique portant sur le passage de 24 à 35 heures du crédit annuel sur le compte personnel de formation de chaque salarié. La douche froide n’a pas tardé quand, l’aube à peine levée, Muriel Pénicaud a rendu son jugement : « le compte n’y est pas », a lâché la ministre du Travail sur CNews, avant de promettre de tout remettre à plat.

Procès en conservatisme

Un mois plus tard, le contenu du « big bang » a pris une tournure légale avec l’envoi au Conseil d’Etat du projet de loi pour « la liberté de choisir son avenir professionnel ».

Même s’il faut attendre les nombreux décrets pour disposer de la copie complète, force est de constater que le procès en conservatisme fait aux partenaires sociaux est en partie injuste : la réforme bouge bien des lignes, c’est indéniable, mais elle amplifie aussi, pour une large part, ce qui a été mis en place, accords interprofessionnels après accords interprofessionnels.

Tendance à la personnalisation

Le compte personnel de formation (CPF) sera un droit ouvert non plus en heures mais en euros et sera mobilisable sans passer par des intermédiaires ?

C’est un changement important qui pourrait donner à ce dispositif la même notoriété que celle des Chèques-Vacances. Sauf que le CPF existe depuis 2014 et sa monétarisation n’est que le dernier avatar, avec  ses avantages et ses inconvénients qui n’ont pas fini de faire débat, d’une tendance à la personnalisation des droits à la formation née avec le DIF, il y a près de quinze ans déjà.

Tout comme le CPF, le conseil en évolution personnel, le CEP, qui garantit à chacun de pouvoir être conseillé gratuitement sur sa carrière, figure en bonne place dans les annonces du gouvernement, mais sans qu’il puisse en revendiquer la paternité.

Syndicats et patronat se sont mis d’accord pour corriger son péché originel en le dotant d’un budget, ce que la future loi va entériner. Les partenaires sociaux peuvent aussi se targuer d’avoir sauvé le congé individuel de formation, le CIF, qui finance les reconversions professionnelles, alors que le ministère du Travail voulait le tuer.

Vraie nouveauté

La création de France compétences constitue en revanche une vraie nouveauté. A charge pour cette agence nationale, qui doit normalement être copilotée par l’Etat, les partenaires sociaux et les régions, de mettre en place une certification sans laquelle aucun organisme de formation ne pourra toucher un euro des fonds publics ou mutualisés.

Beaucoup applaudiront à une mesure censée faire taire une fois pour toute les soupçons. Mais une mesure qui, là encore, amplifie plus qu’elle ne bouleverse un mouvement engagé, avec la loi El Khomri notamment.

Le mouvement d’amplification dans la continuité est encore plus notable avec le grand plan compétences, le PIC. Sur la fin de son quinquennat, François Hollande a mis sur la table un milliard pour former un  demi-million de chômeurs . Emmanuel Macron promet d’en consacrer 15 fois plus sur la durée du sien au bénéfice d’un million de jeunes décrocheurs et d’autant de chômeurs de longue durée.

Lettre à La Poste

De là à en déduire que tout cela passera comme une lettre à La Poste, il y a un pas. Le ministère du Travail reconnaît bien volontiers que la période de transition s’annonce délicate, c’est un euphémisme. Parmi les acteurs mis en tension figurent, bien sûr, les 20 organismes paritaires collecteurs agréés, ou OPCA.

On les donnait pour morts, ils restent incontournables. Leur nombre est bien appelé à se réduire selon une logique de filière économique qui reste à préciser mais, là encore, dans la continuité d’un mouvement de concentration engagé depuis 2009.

Qui plus est, s’ils vont perdre leur mission historique de  collecte des fonds mutualisés de la formation au profit des Urssaf, les futurs « opérateurs de compétences » continueront à en redistribuer une partie pour les PME.

Le ministère du Travail leur demande d’aider leurs branches à mieux anticiper les métiers de demain ? Certains le font déjà. Ils sont appelés à développer des services et des conseils auprès des entreprises. Là encore, le pli a été pris avec la fin de l’obligation fiscale de 2014.

Redistribution des rôles

Loin de faire table rase de tout le passé, la réforme, en fait, redistribue les rôles pour que la formation professionnelle obéisse à une double logique, libéralisation du marché (avec la désintermédiation totale du CPF) et, en même temps, retour dans le jeu de la puissance publique.

A ce titre, le rôle dévolu aux partenaires sociaux dans le pilotage de France compétences permettra de juger de la volonté du gouvernement de les garder à bord un peu, beaucoup ou pas du tout au niveau national.

Si rupture il y a, c’est en fait du côté de l’apprentissage qu’il faut la chercher. C’est vrai du futur mode de financement des centres de formation d’apprentis, les CFA. C’est encore plus vrai du système qui préside à l’ouverture de ces mêmes CFA : administré par les régions aujourd’hui, régulé par le monde professionnel demain.

Ou encore de l’écriture des diplômes en alternance, les partenaires sociaux allant tenir la plume avec l’Etat ! « On demande aux entreprises de prendre en charge une partie de la promesse républicaine vis-à-vis de la jeunesse. C’est historique », assume-t-on au sein de l’exécutif.

Alain Ruello

 

Un commentaire

Laisser un commentaire