La holding animatrice est l’une des questions les plus importantes en matière de fiscalité patrimoniale pour les personnes physiques associées de groupes de sociétés. C’est aussi l’une des plus délicates, bien que la jurisprudence en ait récemment clarifié certains aspects. Jean-François Desbuquois, Intervenant Comundi et Avocat, Directeur technique national du département Droit du patrimoine répond à nos questions sur le sujet.
1/ Pouvez-vous nous préciser la notion et les enjeux de la holding animatrice ?
Les holdings, lorsqu’elles exercent seulement le rôle d’associé vis-à-vis de leurs filiales, ont une activité de nature civile. Elles ne sont dès lors pas éligibles de façon directe aux nombreux dispositifs fiscaux spécifiques aux entreprises, dont le champ d’application est défini, le plus souvent, par l’exercice d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
Certains dispositifs prévoient toutefois aussi une possibilité de mise en œuvre indirecte qui consiste à neutraliser l’existence de la holding, considérée comme étant une « société interposée », pour permettre d’apprécier les conditions sur les titres de ses filiales exerçant une activité éligible.
Il existe toutefois une exception au profit d’une catégorie particulière de holdings, dites « animatrices de groupe», qui regroupe toutes celles participant activement à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales et leur fournissant, le cas échéant, certaines prestations de services.
L’exercice d’une activité de « direction stratégique » de son groupe par la holding animatrice est alors assimilée fiscalement à celle d’une entreprise : ses parts ou actions peuvent dès lors se voir appliquer directement les dispositifs fiscaux propres aux entreprises.
La question de la qualification de la holding animatrice est donc cruciale pour l’associé car elle conditionne le mode de mise en œuvre, soit direct, soit indirect, des nombreux dispositifs fiscaux spécifiques qu’il pourra être amené à revendiquer au fil du temps (Dutreil, exclusion ou exonération d’IFI, plus-values). Elle conduira à positionner les conditions d’application soit sur la holding, si elle est animatrice, soit sur ses filiales, si elle ne l’est pas. Une erreur d’appréciation sur la qualification d’une holding animatrice pourra entrainer la remise en cause du dispositif alors même qu’il aurait pu s’appliquer sans difficulté sur ses filiales.
Pour les conseillers juridiques, il est donc essentiel d’alerter les clients sur l’importance et les enjeux d’une juste analyse de la qualification de la holding en amont des opérations.
2/ Quelle actualité récente ?
Jusqu’à une époque très récente, les conseils juridiques pouvaient se trouver confrontés à deux types de difficultés de nature très différente.
– Nouveaux critères non écrits :
Depuis quelques années, l’Administration prétendait ajouter des conditions supplémentaires, non écrites, à la définition traditionnelle de la holding animatrice rappelée ci-dessus, sur trois points principaux :
- d’une part, une holding animatrice ne pouvait pas détenir une filiale foncière ;
- d’autre part, elle devait animer la totalité de son portefeuille de participations ;
- et enfin, il n’était pas possible qu’un groupe soit animé conjointement par plusieurs holdings
« co-animatrices », car seule celle qui en était la principale associée pouvait exercer le contrôle.
Cette première série de difficultés vient d’être largement résolue par le rejet des exigences de l’Administration en jurisprudence.
La Cour de cassation a ainsi confirmé que peut être considérée comme animatrice de son groupe, la holding dont l’activité principale consiste à animer certaines participations, même si elle détient par ailleurs une autre participation non animée (Cass. com., 19 juin 2019, n°17-20.556).
Elle a aussi jugé qu’une holding, qui n’était qu’associée minoritaire d’un groupe, pouvait malgré tout être considérée comme animatrice dès lors qu’elle participait à la conduite de la politique et au contrôle des filiales, conjointement avec l’associé majoritaire, dans le cadre d’un pacte d’associé conclu entre eux à cet effet (Cass. com., 31 janvier 2018, n° 16-17.938). Ceci affaiblit l’argument, sur lequel l’Administration fonde son refus de la coanimation, rappelé ci-dessus.
Le Conseil d’Etat n’a pas hésité, enfin, à reconnaître qu’une holding qui détenait notamment les titres d’une SCI, propriétaire de locaux d’habitation donnés en location à des tiers extérieurs au groupe, était bien animatrice (CE AP, 13 juin 2018, n° 395495).
– La preuve du respect des critères traditionnels :
La seconde difficulté en revanche demeure : le redevable qui soutient que sa holding est animatrice doit se préparer à démontrer, en cas de contrôle, qu’elle remplit bien le double critère fondamental rappelé constamment par l’Administration :
- participer à la conduite de la politique du groupe
- et contrôler ses filiales.
En pratique, il succombe souvent faute d’avoir préconstitué des preuves écrites suffisantes.
Sur ce point, nous attirons donc l’attention de nos clients sur la nécessité de respecter les critères fixés par la doctrine administrative et appliqués strictement la jurisprudence.
Il convient également de s’assurer, en amont des opérations, d’avoir constitué un dossier de preuves écrites suffisantes pour pouvoir démontrer à l’Administration ou au juge que la holding conduit effectivement la politique du groupe et contrôle ses filiales. Ceci passe par une analyse fine du processus décisionnel du groupe et sa formalisation dans différents supports.
Par exemple : une convention d’animation, les procès-verbaux des organes sociaux concernés, la mise en place d’un reporting des filiales etc… Encore faut-il que les décisions prises par la holding soient pertinentes au regard du critère de la « conduite de la politique du groupe », ce qui nécessite une bonne connaissance des exigences de la jurisprudence en la matière.
Pour les sociétés que nous ne suivons pas régulièrement, nous préconisons souvent de réaliser un audit préalable pour nous assurer du respect des critères avant de mettre en œuvre le dispositif fiscal recherché par les associés.
Par ailleurs dans de nombreux régimes, la holding doit rester animatrice pendant toute la durée d’application des conditions (souvent plusieurs années après la réalisation de l’opération). Nous avons développé une méthodologie spécifique d’accompagnement durant toute cette période que nous proposons à nos clients, pour leur permettre de consolider définitivement les exonérations.
3/ Quelles sont les évolutions ?
Une question supplémentaire est en train d’émerger, qui dépasse le sujet des seules holdings mais présente pour elles une acuité particulière, il s’agit de l’ « activité mixte ».
Dans la vie économique, il est fréquent en effet que les sociétés exercent simultanément plusieurs activités ;
- l’une, commerciale ou de holding animatrice, est éligible,
- tandis que l’autre, de nature patrimoniale ou civile, ne l’est pas
(il peut s’agir de la détention d’un immeuble loué à un tiers ou bien de la gestion patrimoniale d’une trésorerie excédentaire qui n’est plus affectée au cycle d’exploitation de l’entreprise).
De telles sociétés peuvent-elles encore bénéficier des dispositifs fiscaux réservés aux sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole, ou libérale ?
En général, la loi elle-même ne règle pas la question. La Cour de cassation et le Conseil d’Etat ont jugé récemment que certains de ces dispositifs peuvent s’appliquer à une société qui exerce une activité mixte, mais sous réserve que son activité éligible soit « prépondérante ».
Les juridictions n’ont toutefois pas indiqué de façon précise quels sont les critères concrets permettant d’apprécier la prépondérance, et au contraire le Conseil d’Etat (CE 23 janvier 2020, n° 435562) a annulé les seuls critères chiffrés existants jusqu’à présent, qui figuraient dans les commentaires de l’Administration sur le pacte Dutreil. Les conseils de sociétés exerçant une activité mixte se trouveront donc désormais souvent dans la situation délicate de devoir déterminer, sans référentiel précis, si l’activité éligible est prépondérante ou non.
Et pour les holdings animatrices, l’appréciation de la prépondérance sera souvent encore plus complexe. D’une part, au titre du pacte Dutreil, la question de savoir si le principe de prépondérance s’applique également aux holdings animatrices, ou uniquement aux sociétés opérationnelles, fait l’objet d’un contentieux non définitivement tranché par la Cour de cassation.
D’autre part, de manière plus générale, il faut être attentifs au fait que les holdings se trouvent dans une situation particulière au regard de l’appréciation de la prépondérance par rapport aux sociétés opérationnelles puisque, contrairement à ces dernières, elles détiennent fréquemment un certain nombre d’actifs qu’elles n’affectent pas à leur propre exploitation, mais mettent à disposition de leurs filiales. Ces derniers pourront-ils être retenus comme participant à l’activité éligible sans contestation de la part de l’Administration ?