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IA & créations : quels risques légaux et comment se protéger ?

Gérard HAAS, avocat

Maître Gérard Haas, Docteur en droit et Avocat spécialiste en PI et protection de données, Haas Avocats, interviendra lors de la 20ème édition de la conférence Tendances Communication mardi 26 novembre à Paris (et en visio) sur le thème : « La communication à l’épreuve des enjeux juridiques de l’IA générative ! »

A l’ère de l’IA, comment un communicant peut protéger ses créations d’un point de vue légal? Quelles sont les principales obligations à suivre pour les créateurs de contenu?

À l’ère de l’intelligence artificielle (IA), le communicant se retrouve face à un paradoxe qui pourrait presque s’apparenter à une réplique dostoïevskienne : la technologie qui le libère de certaines contraintes devient également celle qui le confine dans un labyrinthe juridique. Comment un créateur peut-il protéger ses œuvres, générées en partie ou totalement grâce à l’IA, dans un cadre où les lois peinent encore à s’adapter au rythme effréné de l’innovation ? C’est là tout le défi qui se pose à nous, à l’image d’un monde en transition permanente, où éthique, créativité et droit doivent coexister.

Tout d’abord, il convient de noter que l’Union Européenne a entrepris de réglementer l’utilisation de l’IA par le biais de l’IA Act, avec l’intention affichée de garantir une utilisation responsable de cette technologie aussi révolutionnaire qu’ambivalente. L’IA est classée par niveaux de risques – inacceptable, élevé, limité, minimal. Chaque classe est soumise à des réglementations et des exigences différentes pour les organisations qui développent ou utilisent des systèmes d’IA.

Un point capital en droit demeure : seules les œuvres créées par des auteurs humains peuvent être protégées par le droit d’auteur. Et c’est là où la machine – aussi intelligente soit-elle – semble se heurter à une barrière infranchissable. Les créations issues uniquement de l’IA, sans intervention humaine substantielle, restent à ce jour des œuvres sans protection au sens du droit d’auteur. La loi se montre ici presque anthropocentrique : elle exige de l’intention, de l’âme, du « je », là où la machine ne produit qu’un effet d’engrenage, une émulation. Or, la nuance se fait plus subtile lorsqu’un communicant utilise l’IA comme un simple outil, participant activement à la création. Dans ce cas, la protection pourrait, sous certaines conditions, être revendiquée. Encore faut-il prouver l’intervention humaine, démontrer une valeur ajoutée singulière.

Cette approche se trouve perturbée par la lecture des conditions générales des fournisseurs de systèmes d’intelligence artificielle (SIA). Prenons l’exemple de Midjourney : la société cède les droits d’auteur aux utilisateurs payants pour les œuvres générées, mais conserve un droit d’usage. Imaginez la scène : « Je vous confie mes droits, mais je garde la possibilité de les utiliser à ma guise. » Cela traduit une approche audacieuse, et presque paradoxale : il y a don et maintien du lien, propriété et non-propriété à la fois alors que le droit n’existe pas.

C’est aussi le cas chez OpenAI, dont la politique de contenu autorise les utilisateurs de ChatGPT à être les propriétaires des résultats qu’ils obtiennent, qu’ils soient textuels ou visuels. Tout est réutilisable, vendable, monétisable. L’IA ici ne revendique rien, mais elle se dérobe également des responsabilités. En cas de litige sur un éventuel plagiat, elle ne saurait être accusée directement. Les créations reposent sur des données ingurgitées et régurgité dans des quantités si gigantesques qu’il devient impossible de déterminer précisément les contenus sources ayant inspiré une production particulière. De fait, l’entraînement d’une IA est une sorte de pot commun des imaginaires, sans frontière claire, sans distinction tangible entre l’original et la copie.

À ce stade, les obligations pour les créateurs de contenu sont simples dans leur formulation, complexes dans leur mise en œuvre : il leur faut conserver des preuves tangibles du processus créatif, ajouter de la valeur humaine à la production, et respecter scrupuleusement les droits d’autrui. La chaîne des droits, qui autrefois passait par une procédure d’évaluation de la conformité (crédits, licences, autorisations), devient ici un labyrinthe de données,d’algorithmes, de traces diffuses. La notion même d’auteur se réinvente, et avec elle, l’obligation d’une vigilance accrue. Remarquons que se prémunir de cette insécurité juridique, OpenAI a même lancé un service de « Copyright Shield », une sorte de bouclier contre les poursuites pour violation des droits d’auteur. Mais ce bouclier ne s’adresse qu’aux clients de ChatGPT Enterprise et aux développeurs, laissant de côté les utilisateurs standards de la version gratuite ou Plus. Un rappel que dans ce nouveau monde, tout est à plusieurs vitesses : la création, la loi, et même la protection légale.

En définitive, le communicant, tel un funambule entre inspiration et doute, doit porter haut le flambeau de l’humanité. Face à la froide clarté de l’algorithme, il est l’artiste qui insuffle l’âme à la matière, transformant le chiffre en poésie. Car si la machine peut imiter, elle ne peut créer. C’est dans cette faille que l’homme, forgeron de l’émotion, trouve sa force.

Il est des moments où le droit s’impose comme un élan vital, une nécessité irrémédiable qui dicte à chacun les limites à ne pas franchir. Les communicateursse trouvent aujourd’hui face à un défi de taille : celui de conjuguer créativité et légalité, d’exprimer des idées sans se faire les otages de la facilité, des raccourcis qui ignorent le droit d’auteur, la vie privée ou la probité intellectuelle. Car, à l’ère du tout-numérique, des contenus générés par des algorithmes et des idées qui voyagent à la vitesse de la lumière, respecter les lois n’est plus une simple formalité, c’est une condition sine qua non de la pérennité de leur rôle, de leur influence, et de leur légitimité.

Quels risques pour lui s’il ne les respecte pas ?

Lorsque le communicant, dans sa quête effrénée de l’impact, outrepasse les règles de l’éthique et du droit, il s’engage sur un chemin périlleux. La violation de la propriété intellectuelle n’est pas une simple infraction, mais un crime contre la création. Les conséquences sont lourdes : poursuites judiciaires, sanctions financières et une mise au ban de la communauté professionnelle, autant de conséquences aussi réelles qu’implacables.

Mais le risque ne s’arrête pas là. Il y a cette arme invisible, puissante, qui fait vaciller les plus solides empires de communication : la réputation. La confiance des publics est une denrée rare et précieuse. Une seule trahison, une seule infraction publique aux règles du jeu, et la réputation se délite, l’image se fissure. À l’ère où chaque action, chaque mot, chaque faux-pas se trouve amplifié, repris, commenté par les réseaux sociaux, une manœuvre hors la loi peut coûter bien plus que des euros : elle coûte la confiance, et donc le pouvoir d’influence.

En outre, il y a les conséquences financières directes. L’utilisation non autorisée de contenus protégés mène bien souvent à des sanctions juridiques, des indemnités à verser, et, dans certains cas, l’interdiction pure et simple d’utiliser le fruit de la créativité volée. Imaginez une campagne publicitaire savamment conçue, qui s’avère être bâtie sur des images ou des textes plagiés, et qui se voit stoppée par un tribunal. C’est un pan entier de la stratégie marketing qui s’effondre, des budgets perdus, des objectifs non atteints.

Respecter le droit, c’est plus qu’une obligation : c’est le fondement d’une communication éthique, responsable et durable. Dans le monde de l’image et du verbe, où chaque pixel, chaque ligne porte en elle le poids de l’intention, la légalité n’est pas une barrière : c’est le socle sur lequel la créativité peut s’élever librement, sans crainte de s’effondrer.

Quelles sont les meilleures pratiques pour minimiser les risques liés à l’utilisation de l’IA générative dans la communication ?

Il y a, dans notre époque, une question presque métaphysique qui se pose à tout créateur, tout communicant, tout responsable de la parole publique : comment se positionner face à ces nouvelles entités qui pensent – ou, du moins, qui simulent si bien la pensée ? L’intelligence artificielle générative, véritable Prométhée digital, promet l’efficacité, l’hyperpersonnalisation, la maîtrise analytique du marché, de la concurrence, de la marque. Elle promet de pousser l’art de la persuasion à des sommets inédits, tout en optimisant les coûts, en rationalisant les investissements.

Le premier impératif, pour éviter que ce prodige technologique ne se retourne contre vous, est de définir les règles du jeu. L’usage de l’IA, à des fins créatives ou communicatives, nécessite de poser clairement la question de la propriété ou du résultat. À qui appartient ce qui est créé par une machine ? La réponse, a priori évidente, devient d’une redoutable complexité lorsque l’humain intervient à un quelconque niveau, même minime. Une retouche, un choix de mots, une sélection de contenu suffisent-ils à attribuer à cet humain la paternité de la réalisation générée ? Ou bien sommes-nous en train de vivre un moment où la création échappe, par nature, à la main de son auteur ? Dans ce jeu trouble, il est nécessaire de prévoir des contrats explicites, précisant qui possède quoi, sous quelles conditions, et avec quelles limites.

Vient ensuite la question de la transparence. La parole, même lorsqu’elle est commerciale, reste un lien entre deux humains. Or, lorsque cette parole est filtrée, modulée, voire entièrement créée par une machine, la relation change de nature. Il devient alors impératif, moral même, d’informer l’interlocuteur de la provenance de cette parole. L’utilisateur final doit savoir s’il dialogue avec une machine ou avec un humain. Cette transparence est aussi un gage de crédibilité : l’opacité crée la méfiance, et la méfiance siphonne la confiance.

Mais le plus complexe, et peut-être le plus important, réside dans la conception même de ces systèmes. Une IA, même ultra performante, n’est que le reflet de ceux qui l’ont programmée. Elle porte en elle les biais, les préjugés, les erreurs de ceux qui l’ont nourrie de données. Concevoir une IA générative qui respecte les normes de sécurité et de confidentialité, qui soit éthique, responsable, c’est aussi admettre qu’elle doit être sous contrôle. Un contrôle humain nécessitant une vigilance constante, plutôt qu’un contrôle purement technologique. Ainsi, l’IA générative nous met face à un paradoxe : elle nous donne un pouvoir immense, celui de générer des contenus, de multiplier les perspectives, de donner une voix à l’infini. Mais ce pouvoir est aussi un ultimatum, celui de perdre la maîtrise de notre parole, de laisser l’automatisation s’immiscer là où l’humain seul devrait régner. Minimiser les risques liés à l’IA, c’est, en un mot, se rappeler que la technologie doit servir l’humain, et jamais l’inverse.

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets impliquant l’utilisation d’IA génératives dans la communication ?

Depuis quelques années, l’intelligence artificielle générative est venue se glisser dans les coulisses de notre communication, bousculant les codes, réinventant les formes, bouleversant les métiers. Peut-être sommes-nous à l’aube d’un basculement majeur, une nouvelle Renaissance où l’Homme, avec la complicité des machines, recompose son rapport au langage, à l’image, au récit. Mais à quoi bon se leurrer ? La fascination est toujours accompagnée d’une part d’inquiétude, et la question centrale reste : l’IA nous libère-t-elle vraiment ou est-elle le nouveau piège d’un discours marketé, calibré, prédéfini ?

L’IA au service du marketing : des slogans à la fabrication du désir

D’un point de vue pratique, les applications de l’IA générative en marketing sont aussi nombreuses que déroutantes. Les slogans que nous voyons défiler sur nos écrans, les images d’un monde idéal qui nous sont proposées, l’émotion calibrée qui se dégage de ces visuels… tout cela porte souvent l’empreinte d’une intelligence artificielle. Ces outils ont bouleversé la manière dont les marketeurs conçoivent leurs campagnes, les rendant plus dynamiques, ajustées, et bien plus efficaces pour s’insérer dans le chaos des flux d’information.

Les entreprises qui l’utilisent peuvent maintenant ajuster, au cas par cas, leurs produits ou services en fonction des besoins spécifiques de chaque segment de clientèle. Avec l’IA, la personnalisation est poussée à l’extrême : chaque client devient un « persona », une construction quasi anthropologique, taillée sur mesure grâce à la collecte de données. On parle alors d’une représentation semi-fictive, enrichie de détails glanés çà et là, dessinant les contours d’un être qui, bien que virtuel, devient de plus en plus palpable dans les stratégies marketing.

Mais l’IA ne se contente pas de s’immiscer dans les slogans et les images. Elle pénètre chaque recoin du processus créatif : la mise en place de la stratégie de marque, le choix des noms, le positionnement, la définition des accroches. La publicité elle-même est touchée, avec des campagnes totalement automatisées, adaptées aux différents profils des consommateurs ciblés. Des spots TV aux bannières web, chaque message est calculé, chaque accroche est personnalisée en fonction des désirs supposés de l’audience.

L’idéation ne s’arrête pas à la publicité. Elle s’étend au contenu numérique, où l’IA peut rédiger des articles, créer des scripts pour des vidéos ou des podcasts, générer des posts pour les réseaux sociaux. Elle se retrouve aussi dans les relations publiques : dans la rédaction de communiqués de presse, dans la gestion de crises où chaque déclaration officielle est peaufinée par des algorithmes capables de prédire les réactions du public. Les événements n’y échappent pas non plus : l’IA conceptualise les thèmes, anime les soirées, et propose des expériences immersives.

La frontière entre la machine et l’humain devient trouble lorsque l’IA participe même à la conception des produits, suggérant des idées et des noms, ou encore à la création graphique à travers des moodboards et des visuels. Jusqu’où l’homme sera-t-il maître de son œuvre quand il collabore ainsi avec une entité programmée, sans conscience ni intention ?

Un avenir éthique : besoin de repères, besoin de garde-fous

Face à ces évolutions fulgurantes, il est primordial de se poser la question des limites à imposer à ces pratiques. La loi est encore en chantier, tâtonnante face aux progrès techniques. Comment protéger la créativité humaine, valoriser l’authenticité, quand tout peut être fabriqué, tout peut être optimisé ? Comment éviter l’uniformisation des idées, le danger d’une pensée aseptisée, dictée par des algorithmes dont nous ne maîtrisons ni les intentions, ni les biais ?

Car au-delà de l’efficacité indéniable de l’IA, c’est de notre rapport à l’authenticité, au sens même du langage et de l’image, qu’il s’agit. La fascination pour ces nouvelles technologies ne doit jamais nous faire oublier que la créativité est, avant tout, un acte humain, un acte de liberté.L’IA repousse les limites de la création. Le droit, loin d’être un frein, offre un cadre pour une innovation responsable. Les communicants doivent ainsi concilier audace créative et respect de la loi.

Vous souhaitez en savoir plus ? Retrouvez Gérard HAAS le mardi 26 novembre lors de la conférence Tendances Communication.