Durant la pandémie, la formation professionnelle a été largement plébiscitée par le gouvernement comme l’un des moteurs de la relance de l’économie Française. En effet, investir dans la formation revient à accompagner la montée en compétences de ses salariés afin de réinventer ou d’optimiser l’ offre ou les services d’une entreprise pour permettre de relancer l’économie.
D’ailleurs, l’aide à la formation du Fonds national de l’emploi (FNE) a été mis en place pour faciliter la continuité de l’activité des salariés face aux mutations économiques et en cas de changements professionnels.
A l’heure où les responsables formations sont en pleine construction de leur plan de développements des compétences, Claire Pascal, Directrice générale de Comundi et Vice-présidente à la FFP revient sur les impacts de la pandémie et nous dévoile les enjeux 2021 pour le secteur de la formation professionnelle, lors d’un podcast réalisé par les Editions Tissot* en partenariat avec Culture RH.
1/ C’est la période des plans de développement des compétences, voyez-vous un impact sur celui-ci du fait de la crise sanitaire ?
Les entreprises préparent leur Plan de développement des compétences 2021 avec la plupart du temps, peu de visibilité en termes de business et souvent des coupes budgétaires. On a pu constater :
- Le plein effet de la Loi avenir Pro qui a supprimé la mutualisation et donc fragilisé les budgets des entreprises de 50 – 300 salariés,
- Le développement de l’intérêt du distanciel ou digital mais le plus souvent en mode synchrone / asynchrone de la part des entreprises même si beaucoup restent attachées aux modalités présentielles : c’est une tendance qui est vraiment liée à la crise sanitaire même si elle s’appuie sur des tendances qui avaient déjà été constatées.
2/ Sentez-vous un intérêt plus marqué de la part de la direction, des élus et/ou des salariés quant au prochain plan de formation ? Plus d’attente ?
On a beaucoup parlé de formation pendant ce confinement mais surtout d’accompagnements individualisés et de CPF mais pas forcément de Plan de développement des compétences. On a aussi beaucoup utilisé le FNE pour former les salariés en chômage partiel mais il faut revenir aux vrais besoins des entreprises.
- Les entreprises comprennent que la formation professionnelle est un levier pertinent pour accompagner les évolutions des besoins en compétences qui s’accélèrent avec la pandémie et que c’est aussi un moyen pertinent pour reconstituer le lien social mis à mal avec le Télétravail généralisé et le confinement. Restaurer la performance collective est un sujet important pour les entreprises et est un sujet central dans leur Plan de développement des compétences.
- En 2021, le remplacement du Plan de formation par le Plan de développement des compétences rentre en période de croisière et les entreprises y voient la possibilité d’y loger toutes les démarches à visée apprenantes réalisées en leur sein, comme par exemple l’AFSET. Les possibilités d’abondement du CPF pour des projets co financés entre l’entreprise et le salarié, depuis septembre, sont aussi une nouvelle opportunité pour les entreprises.
Si on ne sent pas forcément plus d’intérêt pour le Plan de développement des compétences, on constate une prise de conscience de l’intérêt de se saisir de la formation comme outil de relance et les nouvelles contraintes financières et opportunités pédagogiques liées aux dernières évolutions réglementaires.
3/ De nombreuses formations ont été annulées dans le courant de l’année du fait des confinements successifs. Est-ce lié à un manque de confiance des entreprises dans le digital learning ? Un manque de digitalisation des organismes de formation ?
Il faut bien différencier ce qui s’est passé au premier confinement et lors du second.
Si le premier confinement a été vécu comme une parenthèse après laquelle tout allait rependre comme avant, générant de nombreux reports et annulations, le second a marqué une plus grand maturité dans la mise en œuvre du distanciel et du digital. Les entreprises ont intégré cette modalité, qui a défaut de pouvoir remplacer complétement le présentiel, encore très prisés (90 % des formations en présentiel avant la crise), s’est révélé comme un substitut intéressant et commode.
De leur côté les Organismes de formation ont eu le temps de digitaliser une partie de l’offre et de la passer à distance. On voit qu’une installation du Digital learning s’est fait à la faveur de ces 2 confinements et qu’on ne reviendra pas en arrière. Mais la répartition entre présentiel et distanciel devrait se rééquilibrer en 2021 si la pandémie recule.
Les entreprises et les Organismes de formations ont aussi fait face aussi aux problèmes d’équipement et de connexion qui ont rendu parfois difficile voire impossible le passage au digital. La digitalisation des Organismes de formation et la formation des formateurs aux techniques digitales est un sujet de frein à la diffusion de la culture digitale en formation professionnelle. Le plan de relance prévoit d’ailleurs un montant de 370 M € dédié à cet accompagnement.
4/ Est-ce qu’une formation digitale est aussi performante qu’une performance en présentiel ? Qu’en disent les études ?
Ce qui ressort est une grande inégalité des apprenants en situation d’auto formation. C’est pourquoi, ce qui semble le plus performant sont les formats en blended learning qui mixent des formations asynchrone et synchrones (que ce soit en présentiel ou en classe virtuelle ) afin de ne pas laisser les apprenants livrés à eux-mêmes ; et de leur proposer un accompagnement formatif et des possibilités de regroupement entre apprenants.
Aussi performantes et ludiques que soient les formations digitales, elles ne répondent pas aux mêmes critères d’efficacité pédagogique que les formations en présentielles qui facilitent les rencontrent. Rien ne remplace l’émotion et les dynamiques des groupes qui se rencontrent en réel.
– Néanmoins, le digital permet de développer l’efficacité d’une formation, en fournissant des éléments de connaissance et qui permettent de dédier un temps réduit aux échanges présentiels et au travail en groupe.
– Le digital est donc un moyen de valoriser et de repenser le présentiel. Celui est focalisé sur la production de compétence collective.
– Le digital est un moyen aussi de donner plus de souplesse aux moments formatifs, permettant de s’intégrer plus facilement dans les agendas, avec le risque aussi de diluer l’impact formation dans la journée de travail.
5/ Comment les RH peuvent-elles motiver les collaborateurs à utiliser le DIF avant échéance ? Et pourquoi sont-ils si peu utilisés ?
Le gouvernement a décidé de repousser la date limite de transfert des droits à DIF vers le CPF du 31 décembre 2020 au 30 juin 2021. Il faut rappeler que le CPF est un compte personnel que le salarié peut utiliser sans prévenir ni même informer son employeur. Donc en principe, il y a étanchéité entre le CPF et l’entreprise. C’est bien la philosophie de sa conception.
Néanmoins, il apparaît qu’avec la mise en place d’un système d’abondement facilité pour les entreprises depuis septembre 2020 via la plateforme développée par la Caisse des Dépôts, celles-ci ont intérêt à inciter leurs salariés à optimiser leur CPF en y ajoutant leurs droits acquis au titre du DIF et qui sinon seront perdus.
Par ailleurs, l’employeur via l’Entretien professionnel doit informer le salarié sur les possibilités qui lui sont données pour se former notamment avec le CPF. Donc, il est utile pour les RH de sensibiliser les collaborateurs sur le risque de perte de pouvoir d’achat formation si ce transfert n’est pas fait ; sachant qu’il n’est en aucun cas systématique.
L’entretien Professionnel est un moment adéquat pour le faire surtout si le collaborateur a un projet précis. Une communication générale est également utile mais souvent moins percutante car pas forcément concrète pour les salariés qui ne mesurent pas ce que ce transfert peut leur apporter.
Ces droits sont peu utilisés car les salariés sont soit pas informés soit pas mobilisés si ils n’ont pas un projet précis. Beaucoup attendent encore tout de leur entreprise et c’est une évolution culturelle qui doit progressivement s’installer.
6/ Quelles sont les grandes tendances de la formation pour 2021 ?
- Nous constatons des tendances liées à la restauration du business des entreprises et donc très opérationnelles.
- Il y a aussi un développement des formations commerciales ou relations clients avec qui il faut réinventer une relation, des compétences métiers sur des métiers en fort évolution et bien évidemment des compétences digitales qu’elles soient transversales ou liées à des métiers.
- Des demandes aussi liées au contexte sanitaire comme le télétravail et son optimisation, les RPS dans le contexte de la pandémie qui fleurissent dans beaucoup d’entreprises.
- Mais aussi de nombreuses demandes pour accompagner et renforcer les lignes managériales mises à mal au sein d’organisations bousculées.
- Restent aussi bien sûr les formations soft skills, toujours importantes car perçues comme un socle pour s’adapter à tous types d’évolutions professionnelles.
- Mention spéciale aussi pour les RH très sollicités en cette période de crise et bien sûr les CSE qui jouent un rôle important aussi dans des contextes tendus.
- A ces tendances thématiques, s’ajoutent les tendances en termes de format : des formats plus courts, pour certains demandés directement en distanciel, et souvent en blended learning. Le présentiel restant un choix privilégié par certaines entreprises, remplacé par le distance learning quand il est difficile à organiser.
7/ Pour conclure, quels conseils pratiques pouvez-vous donner aux responsables formation pour préparer l’année 2021 ?
« L’année 2021 est une année de reprise mais aussi une année d’incertitude ».
Je conseille de travailler le plan de développement de compétences en utilisant toutes les nouvelles opportunités de format qui sont dorénavant possibles et que le plan de formation ne permettait pas.
Je suggère aussi aux entreprises de s’approprier les nouveaux formats de formation au poste de travail comme l’AFEST et de regarder comment co construire des dispositifs gagnant-gagnant avec leurs salariés en utilisant l’abondement du CPF. C’est une façon intéressante de faire évoluer des catégories de personnels (ou de les faire monter en compétences, en digital ) de manière impliquante et valorisante.
Enfin, je pense qu’il est utile d’impliquer au maximum les managers dans le choix, l’accompagnement et le suivi des formations de leurs collaborateurs. Si les managers pourraient être évalués sur leur aptitude à évaluer leurs collaborateurs, ils pourraient l’être aussi sur leur capacité à accompagner la montée en compétences de leurs équipes. Enfin ne pas réduire la formation à l’animation, mais prévoir dans les dispositifs formatifs, des modalités adaptées et sur mesure de préparation et d’évaluation.
* les Editions Tissot, sont spécialisées depuis 1972 dans le domaine du droit social.