Christophe Lachnitt, Fondateur et Président de la société de conseil en communication et marketing Croisens et Fondateur et Editeur du mini-média Superception.fr (blog, newsletter et podcast) consacré aux enjeux de perception, présidera la conférence Inspirations Marketing 2023 qui se déroulera le 5 juillet prochain (100% visio). À cette occasion, il répond à nos questions dans une interview exclusive.
Pourriez-vous nous présenter les fondements de cette nouvelle version du Web ?
A mes yeux, le web3 recouvre trois révolutions technologiques d’ampleur et nature différentes : l’intelligence artificielle, les métavers et les blockchains.
Il n’est pas nécessaire, je crois, de m’étendre sur les capacités des intelligences artificielles qui font la Une de l’actualité presque chaque jour, en particulier à travers les prouesses des IA génératives.
Le développement des métavers concerna d’abord le secteur des jeux vidéo. Désormais, leur principal vecteur d’expansion semble plutôt avoir trait aux applications corporate et publiques. Par exemple, le recours aux jumeaux numériques (la reproduction virtuelle de processus, de sites industriels, d’infrastructures publiques ou de quartiers entiers d’une ville) va permettre d’optimiser les prises de décision en simulant toutes sortes de situations. Pour le grand public, les activités proposées sur les métavers ne se limitent déjà plus aux jeux. Ils peuvent notamment y faire du lèche-vitrine, tester des produits, réaliser des achats, participer à des événements, créer des expériences et, peut-être surtout, expérimenter de nouvelles manières de communiquer et collaborer avec d’autres internautes.
Les blockchains, au premier rang desquelles Ethereum, sont beaucoup plus exaltantes sur le plan intellectuel que les métavers en raison des principes de fonctionnement révolutionnaires qu’elles induisent pour notre vie numérique. Leur règle cardinale est la décentralisation : les plates-formes et applications y sont construites et détenues par les internautes. Pour ce qui concerne nos métiers, ces mécaniques décentralisées et donc participatives favorisent l’intéressement financier des internautes aux contenus qu’ils créent et même aux applications qu’ils emploient : elles stimulent l’économie de la création dans laquelle les créateurs ne sont plus dépendants d’intermédiaires pour monétiser leur talent.
Il convient de noter que ces trois révolutions technologiques sont largement interdépendantes. Les métavers et les blockchains actuels ne seraient évidemment pas réalisables sans intelligence artificielle. De même, l’immense métavers que l’on nous promet ne sera-t-il possible sans recourir aux blockchains pour assurer la portabilité des identités et biens numériques, ainsi que la répartition, entre les équipements de millions d’internautes, des ressources informatiques nécessaires à son déploiement : les volontaires seront rémunérés en cryptomonnaies pour louer les capacités inutilisées de leurs ordinateurs, tablettes et smartphones.
Quelles répercussions majeures du web 3 en matière de marketing ?
L’intelligence artificielle, les métavers et les blockchains produisent quatre répercussions majeures en matière de marketing qui concernent la création, les relations entre les marques et leurs clients, les médias et les contenus. La meilleure manière de les envisager est de comparer les pratiques en vigueur dans ces quatre domaines aux ères respectives du web1, du web2 et du web3.
Alors que, à l’ère du web1, la création des documents mis en ligne relevait presque exclusivement d’institutions (entreprises, Etats, organisations publiques…), le web2 se caractérisa par l’émergence de contenus générés par les internautes (“user-generated content” ou UGC). Le web3, lui, se démarque par la génération de contenus par des intelligences artificielles. Dans ce contexte, la compétitivité des contenus des marques va devenir un enjeu critique pour elles.
Les relations entre les marques et leurs clients ont également beaucoup évolué depuis le début de la révolution numérique. A l’ère du web1, elles étaient encore monocanal pour l’essentiel. Puis elles sont devenues omnicanal avec la généralisation de l’e-commerce favorisée par le web2. Demain, avec le web3, les relations entre les marques et leurs clients se dérouleront dans un environnement que je qualifie d’isocanal. Si les approches omnicanal visent à proposer des expériences comparables aux clients dans les univers physiques et numériques, les relations isocanal devront leur prodiguer une expérience identique.
En matière de médias, le web1 fut marqué par ce qu’il est convenu d’appeler le marketing de l’interruption, c’est-à-dire l’interruption de la consommation de contenus par un message marketing, approche incarnée par le spot publicitaire télévisé. Le web2 fut, lui, caractérisé par le marketing de la permission, c’est-à-dire l’autorisation donnée par un individu à une marque d’interrompre sa consommation de contenus, méthode incarnée par l’abonnement à la page d’une entreprise sur un réseau social. Le web3 ira encore plus loin en donnant naissance à ce que j’appelle le marketing de l’association, dans lequel les marques collaboreront avec leurs parties prenantes pour créer ensemble des contenus et expériences. Cette dynamique sera notamment permise par le développement de logiques fondées sur les principes de fonctionnement des blockchains. Imaginons par exemple qu’une entreprise veuille créer un réseau social interne ou une application mobile : elle pourra le faire avec celles de ses parties prenantes qui seront intéressées par cette initiative et en deviendront donc en quelque sorte actionnaires. Il est impossible de surestimer les bouleversements induits par cette mécanique dans les relations entre les marques et leurs publics.
Enfin, les contenus diffusés par les marques à leurs parties prenantes l’ont été dans une optique verticale à l’ère du web1 : les entreprises communiquaient vers leurs publics. Elles sont ensuite passées à une communication horizontale à l’ère du web2 qui donnait la parole aux internautes à l’égal des marques : celles-ci communiquaient alors avec leurs publics. Avec le web3, nous allons observer une égalité entre marques et audiences car, sur les métavers et les blockchains, plus aucune audience ne sera passive. Alors que les marques vont devoir frayer avec des fans créateurs et plus seulement des influenceurs, leur capacité à constituer et animer des communautés sera plus importante que jamais : la logique des applications (dApps) et organisations décentralisées (DAO) des blockchains réside en effet dans une création collective des contenus et expériences et non plus individuelle comme c’est aujourd’hui la pratique des influenceurs.
Et quelles conséquences directes pour les professionnels du marketing ?
Ces profondes mutations auront quatre conséquences pour les professionnels du marketing.
La première a trait à la nécessité de toujours apprendre. Cet impératif est plus important pour le marketing que pour tous les autres métiers car aucune profession n’évolue aussi rapidement que la nôtre : le marketing a une obsolescence programmée plus rapide encore que celle de nos smartphones car leur écosystème composé du triptyque technologies-médias-usages change à un rythme effréné. Le triple préalable à cet apprentissage permanent relève à la fois du collaborateur concerné (sa curiosité), de son manager (la mise en oeuvre d’expérimentations au sein de son équipe) et de son entreprise (l’acceptation de l’échec comme un vecteur de progrès) : un collaborateur ne doit être morigéné après un revers que s’il n’en a rien appris ou a reproduit une erreur déjà commise. Dans les autres cas, il vaut toujours mieux faire montre de curiosité à son endroit, pour tirer des enseignements de son expérience, plutôt que de lui faire des reproches.
La deuxième condition du succès des marketeurs à l’ère du web3 réside dans leur polyvalence. Celle-ci est requise pour deux raisons. Tout d’abord, les intelligences artificielles génératives vont assumer des tâches spécialiséeset l’une des valeurs ajoutées des marketeurs consistera donc à avoir une vision globale des projets opérationnels, qui reposera notamment sur leur faculté à en comprendre les différentes composantes. En outre, pour être un stratège (cf. infra), il convient d’être un généraliste.
Notre troisième vecteur de réussite dans l’avenir se fondera sur notre humanité. En effet, les intelligences artificielles génératives ne sont pas encore capables d’imiter l’empathie et les qualités émotionnelles des êtres humains. Les marques les plus sensibles ont donc de beaux jours devant elles. Chaque marketeur va devoir comprendre que la plus grande originalité d’une marque, depuis la rédaction de ses prises de parole publiques jusqu’à ses engagements, sera son humanité. Les logiques B2B, B2C et B2G vont enfin être remplacées par l’approche H2H (human-to-human) dont on nous parle depuis si longtemps. Incidemment, je fais le pari que, alors que toutes les expressions humaines vont pouvoir être copiées (jusqu’à la voix et l’apparence physique avec les deepfakes), les événements vont de nouveau connaître une deuxième jeunesse, après celle qu’ils ont connue à l’ère du web2 alors qu’on les disait dépassés, car ils vont devenir l’irremplaçable théâtre de l’authenticité.
Enfin, le quatrième impératif, pour les marketeurs, concernera leur aptitude stratégique. En effet, de plus en plus, la création de chaque expression d’une marque va être assumée par des intelligences artificielles génératives. C’est pourquoi le marketeur de demain devra être un stratège. Cela ne signifie pas que tous ceux qui ne sont pas aujourd’hui directeurs du marketing n’auront plus de rôle : il existe différents niveaux de contribution stratégique au sein de ces fonctions.
C’est donc une période captivante qui s’ouvre pour les marketeurs, à tel point que je suis convaincu qu’il n’a jamais été aussi passionnant de travailler dans nos métiers qu’aujourd’hui en raison des innovations philosophiques, technologiques et culturelles qui vont les animer dans les prochaines années.