Benoît MATHIEU, Directeur de The Arcane (cabinet de conseil en gouvernance et en influence) répond à nos trois questions sur les grandes tendances sociétales et leurs impacts sur la communication en 2024.
Comment procédez-vous pour identifier les principales tendances sociétales qui vont impacter les entreprises à l’horizon 2024 ?
Plutôt que de parler de tendances, je privilégie la notion de dynamiques sociétales. La notion de tendance est très vaste et suscite des attentes très différentes suivant les interlocuteurs. De plus, chez The Arcane, nous déployons une approche qui s’inspire largement des travaux de la systémique et notamment de l’approche Iceberg initialement développée par DonellaMeadows, co-autrice du fameux rapport Meadows en 1972. L’idée essentielle est que les dynamiques de société, les tendances, émergent du mouvement et de la confrontation de comportements plus structurels.
Sur le plan opérationnel, nous observons tout d’abord des « megatrends » comme la démographie, les évolutions technologiques, les tensions géopolitiques ou encore la situation de l’environnement et l’accès aux ressources. C’est le socle, l’infrastructure plus ou moins certaine sur laquelle les sociétés s’activent dans la durée. Puis, nous nous intéressons à des éléments plus conjoncturels. C’est à ce niveau-là que nous avons mis au point un cadre d’analyse qui s’inspire de la thermo-dynamique que nous appliquons aux enjeux d’opinion et de société. Nous avons identifié 5 périmètres d’analyse que nous suivons en continu pour en identifier des faisceaux de transformation : les acteurs, la relation au temps, les valeurs et préoccupations, l’information et, également, les éléments d’entropie du système. Enfin, de manière assez classique, nous opérons un monitoring des événements et actualités politiques, économiques, sociales, etc. C’est l’analyse de ces trois « couches » (structurelle, conjoncturelle et d’actualités) qui nous permet d’identifier et de qualifier des dynamiques sociétales, d’en évaluer le potentiel de propagation afin de les soumettre à nos clients.
Pour l’année prochaine, quelles sont celles justement qui risquent d’impacter les stratégies de com’ des entreprises ?
Il ne faut pas être particulièrement visionnaire pour anticiper que l’année 2024 au niveau français sera « sportive ». Paris 2024 va fortement irriguer l’espace informationnel avec son lot de controverses en amont sur l’impact pour le quotidien des franciliens notamment, sur le sport-business avec des polémiques inévitables sur les entreprises sponsors, sur les récupérations politiciennes de l’événement en écho avec les élections européennes du 9 juin 2024, etc. Puis, il y aura le temps des jeux avec très certainement un moment de communion et des demandes en hausse de télétravail !!! Il sera difficile pour les entreprises de se tenir totalement à l’écart de cet événement mondial sous peine d’être perçues comme déconnectées des salariés et des clients. La question sera ainsi de trouver, pour les entreprises non-sponsors, des leviers innovants pour montrer qu’elles sont parties prenantes de ce moment singulier.
Sur un plan plus corporate, les évolutions réglementaires autour des enjeux climat et plus largement ESG – notamment concernant le reporting – vont imposer de nouvelles formes de communication sur les sujets de soutenabilité et plus largement d’engagement des entreprises. Les organisations de la société civile – ONG, syndicats, élus locaux – vont se positionner en évaluateurs des déclarations des entreprises. Dès lors, on peut anticiper que des processus de dialogues, voire des rapprochements, en amont, entre entreprises et société civile vont se multiplier. Les enjeux climatiques, environnementaux et sociaux sur lesquels les entreprises sont attendues, ouvrent des opportunités d’innovations dans la manière de gérer et de communiquer. De nouvelles formes de gouvernance élargie de l’engagement des entreprises devraient émerger. Toutefois, en France et plus largement en Europe, il faudra en 2024 être vigilant à une potentielle importation du débat particulièrement tendu aux États-Unis sur le sujet des investissements ESG en écho avec les élections qui auront lieu en novembre, outre-Atlantique.
Que conseillez-vous aux communicants pour répondre avec justesse à ces nouveaux mouvements de société ?
Je ne voudrais pas faire de suggestion générique car chaque communicant évolue dans un environnement singulier d’organisation avec des historiques, des raisons d’être et des contraintes propres. Toutefois, mon expérience depuis plus de 20 ans dans des agences, m’invite à lancer une invitation. Une invitation à s’extraire d’une posture de capteur de tendances pour adopter un état d’esprit d’innovateur. De plus en plus, derrière des dynamiques sociétales, il y a des entreprises qui impulsent des offres, des idées ou des organisations nouvelles. C’est le fondement de l’influence : anticiper une évolution dans la société, se la réapproprier au prisme de son organisation puis en faire un levier de communication qui permettra d’acquérir un avantage réputationnel.
Benoît Mathieu interviendra en duo avec Stéphane Truchi, Président, Groupe IFOP, lors de la Conférence Tendances Communication, le mardi 28 novembre 2023.