Alors que le télétravail s’est fortement développé dans la plupart des pays industrialisés après la pandémie du Covid, la France reste à la traîne, selon une étude récente. Les salariés français sont pourtant demandeurs de plus de flexibilité.
La culture du présentiel est encore très forte en France. Et les salariés qui préfèrent travailler depuis chez eux ne bénéficient pas de la même latitude que leurs alter ego canadiens ou britanniques. C’est ce qu’indique une étude de l’institut Ifo et de Econpol Europe, portant sur un échantillon de 42.400 répondants dans 34 pays développés.
Les pays anglo-saxons sont à la pointe du travail à distance. Au Canada, les employés bénéficient de 1,7 jour de télétravail par semaine en moyenne. C’est près d’un jour et demi au Royaume-Uni et aux États-Unis. A l’opposé du spectre, certains pays asiatiques sont beaucoup moins portés sur le travail à domicile (0,5 jour au Japon ; 0,4 en Corée du Sud).
Les employeurs français réfractaires
La France se classe parmi les pays les plus réfractaires, derrière la plupart des pays européens, avec en moyenne seulement 0,6 jour de télétravail par semaine. Pourtant, les travailleurs français plébiscitent le travail hybride : selon l’étude, ils souhaiteraient en moyenne bénéficier de 1,4 jour par semaine en télétravail. Les employeurs français, eux, se prononcent contre la généralisation du travail à domicile.
« Il y a en effet une vraie demande du côté des salariés, confirme Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises, chargé des affaires sociales. Mais il n’y a pas d’engouement de la part des chefs d’entreprise. C’est plutôt ressenti comme une contrainte à l’embauche : il est difficile de recruter s’il n’y a pas de télétravail sur l’offre d’emploi.»
« Un problème de grandes villes »
D’après l’étude, les trois bénéfices principaux du télétravail évoqués par les salariés sont le gain de temps, en évitant les trajets pendulaires, les économies sur les coûts de transport ou de restauration, et la flexibilité. A l’inverse, le travail en entreprises faciliterait les échanges et la socialisation avec les collègues, permettrait de mieux cloisonner vie professionnelle et vie privée tout en ayant accès à du meilleur matériel.
« Il y a aussi une question d’égalité d’accès : deux tiers des postes ne prêtent pas au télétravail, indique Eric Chevée. Il peut être intéressant au cas par cas, pour des contraintes de transports ou familiales. Pour économiser l’espace aussi. Au final, c’est surtout un problème de grandes villes. »
Les syndicats méfiants
« Il y a aussi des réticences au niveau syndical, explique Emmanuelle Lavignac, secrétaire nationale de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (UGICT-CGT). Le télétravail oui, mais… Il faut qu’il soit encadré et à tout prix éviter le brouillage entre vie professionnelle et vie privée. »
Du côté des employeurs, la crainte d’une baisse de productivité est un obstacle supplémentaire : « le cadre privé n’est pas forcément adapté à une ambiance de travail sereine, justifie Eric Chevée, de la CPME. Et ça complique la vie en termes de communication et de rapidité. Les chefs d’entreprise des PME aiment avoir leur collectif autour d’eux. »
Fantasmes
« Il y a deux fantasmes : celui du salarié qui pense reprendre la main sur son travail avec une autonomie totale, et celui de l’employeur qui pense que les salariés chez eux ne vont plus rien faire et ne peuvent pas être contrôlés », répond Emmanuelle Lévignac.
L’UGICT-CGT, qui est à l’origine d’un Observatoire du télétravail, note pour l’instant au contraire une augmentation de la productivité en télétravail.
Au-delà de l’aspect économique, le télétravail pose aussi la question de l’isolement et du rapport au collectif dans l’entreprise. « C’est un vrai bouleversement de la façon de travailler et ça peut vite devenir une trappe à burn-out quand on ne mesure pas les conditions ou le temps de travail », poursuit Emmanuelle Lavignac.
« En plus des risques d’isolement, il y a aussi le risque d’une externalisation complète du travail ». A l’heure des « travailleurs nomades », les bureaux et autres open spaces n’appartiennent donc pas encore tout à fait au passé.
Par Hadrien Valat