Une consécration de l’attractivité du droit du travail.
Le projet de loi relatif à la transformation de la fonction publique présenté en Conseil des ministres le 27 mars 2019 est arrivé le 2 mai devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Le gouvernement veut faire voter le texte avant l’été.
Porté par Gérald Darmanin, Ministre de l’Action et des Comptes publics et Olivier Dussopt, son secrétaire d’Etat, ce texte de 36 articles a pour ambition de « refonder le contrat social qui lie nos agents publics au service de leur pays » sans toucher au « statut » tel qu’issu des lois majeures de 1983 et 1984.
En l’état, il ne fait écho à aucune des annonces récentes d’Emmanuel Macron : ni refonte de la haute fonction publique, ni suppression de l’ENA (Frédéric Thiriez étant chargé de mener à bien une réflexion de fond sur ces deux sujets) ni chiffres précis de suppression de postes de fonctionnaires d’ici à 2022 (les 120 000 suppressions initialement annoncées sur la durée du quinquennat n’étant désormais plus un objectif et encore moins une priorité).
Une volonté de rapprocher le droit de la fonction publique du droit du travail
A date, le projet qui reprend en partie les thèmes du Comité Action publique 2022 (CAP 2022) est articulé autour de 5 titres :
- Le titre 1 est consacré au dialogue social et vise notamment à créer une instance unique de concertation. Actuellement, les représentants du personnel siègent dans des commissions administratives paritaires (CAP) pour les sujets relatifs aux carrières individuelles, dans des comités techniques (CT) pour les sujets liés à l’organisation du travail ainsi que dans des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Le gouvernement propose la création d’un Comité social d’Administration, issu de la fusion des Comités techniques et des CHSCT actuels, sur le modèle du Comité social et économique (CSE) en droit du travail, issu des ordonnances Macron du 22 septembre 2017.
Point contesté, parmi d’autres, par les organisations syndicales : les syndicats n’auraient plus voix au chapitre sur la carrière des agents avec la fin de l’avis obligatoire des CAP.
- Le titre 2 élargit le recours aux contractuels dans le secteur public, notamment dans les emplois de direction. Le gouvernement entend ainsi bousculer les règles du recrutement.
Historiquement construite en proposant l’accès à une hiérarchie, un grade et une carrière composée de plusieurs échelons après un concours, l’accès à la fonction publique fait la part belle de longue date au recrutement de contractuels face à un besoin ponctuel ou à la recherche d’une expertise pointue. Le recrutement au Statut n’est plus depuis longtemps l’alpha et l’omega de l’entrée dans la fonction publique.
La réforme consacre cette tendance en proposant par exemple de créer un « contrat de mission », équivalent du contrat de projet du droit privé, d’une durée maximale de 6 ans, conclu pour des opérations qui sortent des missions habituelles ou s’inscrivent dans le cadre d’une durée limitée.
- Le titre 3 vise à garantir la transparence et l’équité du cadre de gestion des agents publics en réformant en particulier le code de déontologie applicable aux agents publics (l’accent serait mis sur le contrôle des fonctionnaires et contractuels « pantoufleurs » à leur retour dans le secteur public).
Ce thème répond directement au phénomène croissant de passage des fonctionnaires et agents publics au sein du secteur privé avec en ligne de mire le retour dans leur administration d’origine.
- Le titre 4 favorise justement la mobilité au sein même de la fonction publique et accompagne par ailleurs la transition professionnelle des agents publics en estompant les frontières entre le secteur public et le secteur privé.
En instituant un mécanisme de rupture conventionnelle dans le secteur public, directement inspiré du dispositif en vigueur en droit du travail depuis 2008, et en créant un dispositif global d’accompagnement des agents dont l’emploi est supprimé à l’occasion de la restructuration d’un service ou d’un corps, le gouvernement ne cache pas sa volonté de faciliter les passerelles.
Une agence de reconversion serait enfin créée pour soutenir les agents en cas de restructuration de leur service. L’indemnité de départ volontaire (IDV) qui existe depuis 2008 serait plus séduisante (2 ans de rémunération) et d’un accès plus aisé.
- Enfin, le titre 5 transpose notamment les mesures du protocole d’accord sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, l’égalité de rémunération ainsi que les mesures visant à favoriser l’égalité professionnelle pour les travailleurs en situation de handicap.
En dépit des avancées de la loi Sauvadet, il est constant que les employeurs publics ont toujours, aujourd’hui, moins d’obligations et de contraintes que les entreprises privées, notamment en matière d’égalité de rémunération
Les points de blocage
Deux points de blocage majeurs, deux « irritants » diraient d’aucuns :
- à savoir la rémunération au mérite (directement inspirée du droit du travail dans le secteur privé)
- et les retraites, sont quant à eux renvoyés à la grande réforme des retraites en cours, autre chantier emblématique de l’année 2019.
Le nouveau droit de la fonction publique à venir subit ainsi de façon incontestable l’attractivité du droit du travail au travers de la contractualisation renforcée du lien entre l’agent public et son administration, de la mobilité facilitée vers le secteur privé ou encore d’une rationalisation de la représentation des personnels au travers d’instances regroupées, pour ne citer que quelques illustrations de ce phénomène.
La « travaillisation » du droit de la fonction publique ne doit toutefois pas occulter la capacité du droit du travail à accueillir une influence « publiciste », l’administration et le juge administratif étant de plus en plus amenés à intervenir, à des degrés divers, dans la rupture du contrat de travail des salariés de droit privé (rupture conventionnelle homologuée en 2008, plans de sauvegarde de l’emploi en 2013, rupture conventionnelle collective en 2017). A la « travaillisation » du droit de la fonction publique, répond donc comme en miroir une « publicisation » du droit du travail.
Stéphane Bloch est associé au sein du Pôle « Droit social du secteur public » du Cabinet d’avocats Flichy Grangé Avocats.