Pour la gestion de leur carrière, de nombreux jeunes cadres privilégient « l’expérience » à la stabilité ou même à la sécurité. En quête d’impact, de collectif et de nouveauté, le « mode projet » devient une formule courante pour gérer son parcours professionnel.
La crise sanitaire ainsi que les incertitudes géopolitiques et environnementales, combinées jusqu’ici à la reprise d’une croissance forte, ont bousculé la dynamique relationnelle entre les entreprises et certains de leurs employés. Les perspectives à long terme sont incertaines aux yeux de tous. La carrière ne sera pas un long fleuve tranquille pour ces générations qui placent l’utilité et la qualité de vie au centre de leurs décisions d’emploi.
Rejetant plans de carrière et autres mobilités internes, de nombreux jeunes cadres prennent désormais leur trajectoire professionnelle en main pour arbitrer entre temps et mode de travail, rémunération, impact ou encore liberté. Déçus par des promesses managériales non tenues et des pratiques de gestion des ressources humaines souvent rigides – il est par exemple généralement plus facile d’évoluer en quittant l’entreprise qu’en lui étant fidèle – ils n’hésitent plus à imposer leurs désirs de contribuer à des activités qui assouvissent leur quête de « sens ».
Au moins tous les trois ans
Alors que la traditionnelle approche administrative de la gestion des ressources humaines (RH) peine à répondre à ces nouvelles aspirations, les directions RH font ainsi face à un dilemme cornélien : proposer une gestion de carrière sur mesure ou prendre le risque de voir des ressources clés quitter l’entreprise, voire, pire encore, les « ghoster » (c’est-à-dire disparaître en silence).
Fini donc la carrière de plusieurs décennies au sein d’une même entreprise, cette dernière devient le vecteur, temporaire, des aspirations de ces jeunes (pro)actifs. En Amérique du Nord, où le phénomène est d’ampleur, certains directeurs des ressources humaines (DRH) et consultants constatent eux-mêmes qu’en termes d’apprentissage, de flexibilité du travail et même de rémunération, il est bon de changer d’employeur au moins tous les trois ans. A peine entrés en relation avec l’employeur, ces collaborateurs ont déjà un plan de sortie en tête. A l’image des applications de rencontres à la mode, on « swipe ». Et pour l’employé, le projet dure trois ans.
Pour saisir ces nouvelles logiques d’action avec un employé « manager de sa carrière », il convient de comprendre comment ces jeunes cadres pensent leur trajectoire professionnelle « en mode projet ». Leur choix de rejoindre une entreprise repose ainsi sur trois principes.
Un triptyque pour base
D’abord, la mission. En quête d’impact, ces collaborateurs rejoignent des projets à la finalité desquels ils adhèrent et qui répondent à leur besoin de constater l’impact immédiat de leur propre contribution. En outre, contribuer successivement à de nouveaux projets, au sein d’organisations différentes, permet d’assouvir leurs aspirations de flexibilité et de nouveauté, entravant la routine, souvent considérée comme synonyme d’ennui .
Ensuite, l’équipe. On ne rejoint plus seulement une entreprise, on intègre surtout une équipe. L’intégration et l’épanouissement de l’individu dans un collectif de travail sont des dimensions incontournables des choix de carrière en mode projet. Dans cette perspective, la relation avec le manager est clé, une raison de rejoindre comme de quitter une équipe. Au Québec, il est commun de parler « d’écuries » pour désigner les stratégies de gestion des talents. Le manager compose son écurie, et il évolue avec d’un employeur à l’autre.
Enfin, le retour d’expérience . Dans leurs choix, les jeunes cadres prennent en compte ce que leur apporteront ces projets en termes d’expérience et de compétences. En mode projet, on pense toujours à la prochaine étape.
Si le mode projet appliqué à la gestion de leur carrière surprend, il est pourtant inculqué aux jeunes cadres, incités dès leurs stages d’études à varier les expériences et à les choisir en fonction de ce qu’ils en retireront pour la suite.
Alors que la manière dont les jeunes collaborateurs gèrent leur carrière s’impose comme un casse-tête pour nombre de directions RH, il apparaît pertinent d’engager une double réflexion. D’abord, le triptyque mission, équipe, retour d’expérience proposé ici permet de décrypter les attentes incontournables de ces collaborateurs. Ce travail doit être la base de la refonte de l’expérience collaborateur qui se mue directement en expérience managériale. Par conséquent, il est essentiel pour les directions des ressources humaines de reprendre la main sur la transformation du management ainsi que sur la stratégie de marque employeur trop souvent encore le pré carré des directions de la communication.
Ulysse Dorioz, directeur conseil au sein d’Enza, cabinet de conseil en organisation et en conduite du changement