Interview de Christophe Lachnitt, fondateur et éditeur du site Superception.fr (blog, newsletter et podcast), consacré aux enjeux de perception à travers la communication, le management et le marketing dans le contexte de la révolution numérique.
Superception est partenaire de la première conférence « Inspirations Marketing », organisée par Comundi X Stratégies, qui se tiendra le jeudi 1er juillet 2021 (100% à distance). Sur Superception, on découvre une mine d’or d’articles, d’épisodes de podcast et de TedX plus passionnants les uns que les autres. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez créé ce site et comment s’articulent ses différentes composantes ?
Le concept de Superception est fondé sur l’idée que ce ne sont pas les faits qui nous font agir mais la perception que nous en avons, c’est-à-dire le sens que nous leur donnons. C’est cette perception, par exemple, qui motive nos actes d’achat, fédère une entreprise ou rallie un peuple à un projet. La perception a donc un super pouvoir et est « superception« .
Je fête cette année les dix ans du site Superception.fr que j’ai créé, d’abord sous la forme d’un blog, pour assouvir ma curiosité sur les enjeux de perception et partager mes réflexions à ce sujet. En 2015, j’ai ajouté au blog une newsletter hebdomadaire de curation de l’actualité sur ces mêmes thématiques. Puis, en 2017, j’ai créé un podcast pour donner la parole, sur la longueur, à des personnalités qui gravitent, dans des domaines très différents, autour des questions de perception. A ce jour, j’ai publié plus de 3 100 articles sur le blog, diffusé plus de 270 numéros de la newsletter et mis en ligne plus de 70 épisodes du podcast. L’accès à ces contenus est entièrement gratuit.
Superception est un hobby qui me permet de toujours apprendre et progresser. C’est aussi une activité complémentaire de mon métier de consultant indépendant.
Quelles intuitions avez-vous concernant le secteur du marketing et son évolution ?
Il faut être modeste en répondant à cette question car le marketing recouvre, notamment en raison de la révolution numérique, des activités de plus en plus nombreuses et complexes.
Cela étant posé, j’observe trois tendances importantes pour le marketing qui ne sont évidemment pas exhaustives.
La première a trait à la fin du tunnel de conversion. Celui-ci est de moins en moins linéaire : les prospects ne commencent plus leur parcours d’achat seulement à son début et sautent souvent certaines de ses étapes dans leur appréhension, à travers de multiples canaux, d’un fournisseur ou prestataire potentiel. C’est une réalité évidente depuis plusieurs années déjà dans les marchés B2C, notamment sous l’impulsion des dynamiques D2C (Direct To Consumer), et qui bouleversent désormais les autres secteurs. Ainsi 57% des processus d’achat B2B sont-ils accomplis avant que les clients n’aient eu un premier contact sérieux avec des équipes de ventes, notamment en raison du rôle des réseaux sociaux : 75% des acheteurs B2B et 84% des cadres dirigeants B2B les utilisent pour étayer leurs décisions d’achat. La bonne nouvelle est que ces pratiques des clients rendent l’impact potentiel des stratégies marketing infiniment plus grand que dans le passé. La moins bonne nouvelle est qu’elles vont opérer un tri implacable entre les entreprises qui savent s’y adapter et les autres. En effet, elles font émerger des enjeux de marketing majeurs, notamment en matière d’écoute prédictive des publics, d’automatisation de la production d’expériences, de déploiement d’un modèle de données unifiées et opérables, de confiance numérique (sécurité et confidentialité), de mesure de la performance et, last but not least, d’alignement des équipes marketing et commerciales dans tous ces domaines.
La deuxième tendance marketing qui me semble de plus en plus prédominante est la personnalisation de masse. Elle n’est pas nouvelle non plus mais elle devient incontournable : alors que le déficit d’attention de leurs publics ne cesse d’augmenter, les marques ne peuvent plus se permettre de leur adresser des contenus mal ciblés. Or elles le font encore beaucoup trop. De fait, 5% seulement des contenus diffusés par les entreprises génèrent 90% de leurs interactions avec leurs clients, ce qui induit que 95% de leurs contenus sont au mieux inutiles, au pire préjudiciables pour leur image. Cet impératif de ciblage concerne aussi les canaux utilisés : les clients s’attendent à bénéficier d’une expérience individuelle pertinente quel que soit le canal sur lequel ils se trouvent, et ce dans les univers physique ou numérique. Cela représente un casse-tête pour nombre d’entreprises dans toute leur chaîne opérationnelle, notamment parce que cette approche n’autorise plus l’existence du moindre silo en leur sein. Par ailleurs, la disparition des cookies tiers induit que les marques vont devoir gagner la confiance de leurs clients et mettre en place les processus idoines pour recueillir des données propriétaires (ou first-party data).
Enfin, je voudrais évoquer le sujet de l’intelligence artificielle de manière délibérément optimiste. Nous savons tous combien ces solutions pâtissent de biais sociocognitifs qui peuvent avoir des conséquences dramatiques. Cependant, on observe aussi des progrès vers une empathie technologique permettant de plus en plus à ces systèmes de nous comprendre. L’émergence d’une intelligence artificielle émotionnelle, notamment en vertu de sa capacité de mieux appréhender le contexte dans lequel elle intervient, représentera une révolution sans précédent pour le marketing, en particulier eu égard à la tendance à la personnalisation de masse que j’évoquais à l’instant.
A ces trois tendances, j’ajouterai une quatrième de nature différente : la convergence de plus en plus marquée de tous les types de marketing : B2C, B2B, B2G (Business To Government)… Tous adoptent plus ou moins rapidement les stratégies du marketing B2C. Ce phénomène résulte de la mutation des pratiques des audiences des entreprises : quel que soit leur marché, les individus ont désormais assimilé les us et coutumes généralisés par les technologies et médias numériques. Il ne fait donc plus de sens de s’adresser à eux et d’essayer de les persuader différemment selon qu’ils opèrent dans tel ou tel secteur. En particulier, les entreprises B2B ou B2G qui n’ont pas évolué dans ce sens prennent du retard sur leurs concurrentes qui ont franchi ce pas.
Dans ce contexte, comment les marketeurs doivent-ils s’adapter ?
Aujourd’hui, toutes les entreprises, quelle que soit leur activité, sont des entreprises de nouvelles technologies. La distinction entre spécialistes et non-spécialistes du numérique est caduque. Si une entreprise ne maîtrise pas cette révolution, son espérance de vie est très limitée et il en va de même pour les marketeurs. Mais, à l’inverse, ceux-ci ne doivent pas penser qu’un savoir-faire technique dans ce domaine peut remplacer une clairvoyance stratégique et une sensibilité sur les contenus. De fait, un canal ne suffit à créer ni une expérience ponctuelle convaincante ni une cohérence de marque durable.
Cette dualité entre temps court et temps long est le deuxième enjeu qui me paraît fondamental. De nos jours, les marketeurs doivent être suffisamment agiles pour pivoter au rythme de leur écosystème. Cette agilité est aussi précieuse lorsqu’il s’agit de conduire des expérimentations. Or je considère celles-ci comme les « airbags de l’innovation » car elles permettent d’en limiter les risques. Mais une série de coups ne fait pas une stratégie marketing et vous ne pouvez pas demander à vos publics de reconstituer a posteriori la cohérence du sens de vos prises de parole que vous n’avez pas su définira priori. Ainsi, de même que la maîtrise du numérique n’est pas une garantie absolue de succès, la créativité ne fait pas tout si elle ne s’inscrit pas dans une vision de long terme.
Enfin, le marketing ne peut pas se limiter à des éléments mercantiles : une entreprise ne développe pas un actif immatériel autour de sa marque si celle-ci est uniquement centrée sur des éléments matériels. Aux fameux 4P du marketing, j’aime donc ajouter les 3C : clients, communautés, culture. Un marketing qui ne s’intéresse qu’aux clients passe en effet à côté de deux dimensions déterminantes pour positionner une entreprise : son rôle auprès de ses communautés et sa culture. Ce sont ces deux aspects qui permettent une connexion authentique entre une marque et ses parties prenantes au-delà des impératifs financiers et des outils technologiques et qui, au bout du compte, lui permettent de mieux acquérir et servir ses clients.