Jean Corneille a un parcours singulier. Enfant de la télé, il a été grand reporter à France Télévisions avant d’être secrétaire général de la direction de l’information de TV5MONDE. Il en est depuis 10 ans le DRH. Jean Corneille nous parle de son tropisme pour le monde des médias, des spécificités propres à la seule chaîne internationale de télévision francophone, du nécessaire virage digital, etc.
Quels atouts votre background de journaliste vous donne-t-il dans votre rôle de DRH notamment auprès des journalistes ?
Jean Corneille : J’ai passé 40 ans dans le secteur de l’audiovisuel public et c’est la somme de toutes mes expériences qui me donne cette appétence pour les métiers, ainsi que pour les femmes et les hommes de la télévision. C’est vrai que cela me rend proche des journalistes parce que je l’ai été moi-même. Ce qui est assez rare pour un DRH ! Connaître les codes des journalistes tout en étant compris par eux est un véritable atout. En général, les journalistes fréquentent très peu les bureaux des DRH. Chez TV5MONDE, ils n’hésitent pas à venir me voir, d’autant que j’ai été leur secrétaire général. Je serai toujours journaliste. On ne quitte jamais vraiment ce métier.
Comment est organisé le service des ressources humaines ?
J. C. : Nous sommes 9 à la DRH. TV5MONDE compte à peine 300 salariés permanents donc tout le monde se connaît ! Cela fluidifie les relations.
Quelles sont les valeurs que TV5MONDE véhicule ?
J. C. : TV5MONDE est unique en son genre. Nous sommes la seule chaîne de télévision qui promeut et diffuse la culture et la création francophones sous toutes leurs formes. Le respect du droit de l’information, le pluralisme, l’indépendance, le dialogue des cultures, la promotion des pratiques démocratiques font partie de nos fondamentaux. Et nous portons ces valeurs, qui sont celles de la francophonie, dans près de 200 pays et territoires. Cette éthique et la dimension multilatérale de notre mission se reflètent dans les programmes, les journaux d’informations et les magazines que nous diffusons, que ce soient ceux de nos partenaires ou nos programmes propres. Quel que soit le pays où l’on émet, l’information reste identique, fiable et vérifiée, elle est le reflet d’une analyse francophone de l’actualité mondiale.
Vous êtes DRH depuis 2014. Comment avez-vous vu évoluer votre fonction depuis près de 10 ans ?
J. C. : Les changements portent surtout sur la manière de gérer l’entreprise au niveau humain. Lorsque je suis devenu DRH, nombreux étaient les salariés qui étaient là depuis très longtemps, parfois depuis la création du média en 1984. Deux événements ont changé la donne. D’abord, la crise du Covid-19 : un vrai déclic pour des salariés qui ont décidé de quitter leur entreprise et d’entamer une reconversion. Chez nous, qui étions extrêmement proches d’un turnover de 0, les collaborateurs ont commencé à oser partir. Ensuite, le renouvellement s’est également accéléré parce que nous étions à la recherche de nouveaux profils, de compétences pointues pour accompagner le lancement de notre plateforme de vidéos à la demande TV5MONDEplus. Pour poursuivre le virage numérique, nos recrutements ont également porté sur des journalistes spécialisés dans l’écriture web et réseaux sociaux. On ne remplace pas un profil par un autre avec les mêmes compétences, cela ne sert à rien. Chez TV5MONDE, nous misons sur la formation des salariés dans le cadre de l’évolution et de la transformation des métiers. Aujourd’hui, notre taux de rotation s’élève à 9 %. Selon moi, l’augmentation du turnover est un vrai signe de vitalité. Le renouvellement représente un véritable enrichissement pour l’entreprise ! C’est un brassage d’idées et un accélérateur d’innovation.
Chez TV5MONDE, nous misons sur la formation des salariés dans le cadre de l’évolution et de la transformation des métiers.
Quelles sont les particularités du management des ressources humaines dans un média de service public ?
J. C. : TV5MONDE est financé par 6 gouvernements bailleurs de fonds : la France, la Suisse, le Canada, le Québec, la Wallonie-Bruxelles et Monaco. La grande différence par rapport au secteur privé, c’est que nous sommes financés par de l’argent public et que nous devons respecter des objectifs qui sont cadrés au niveau budgétaire et au niveau des effectifs, mais l’exigence de performance reste la même. Paradoxalement, le fait de fonctionner avec moins de moyens que dans le privé nous rend plus agiles et inventifs. Nous venons, par exemple, de lancer un appel d’offre pour un outil SIRH innovant. Ce qui nous fera gagner énormément de temps sur des tâches répétitives et permettra ainsi de nous consacrer davantage au recrutement. Nous travaillons également avec nos partenaires des LMFP (les Médias francophones publics) au développement de l’IA dans nos activités.
Autre particularité de TV5MONDE, l’âge moyen des collaborateurs est élevé : 47 ans. Comment réussissez-vous à faire coexister les différentes générations aux codes et aux usages contrastés ?
J. C. : Nous organisons des formations pour l’ensemble des salariés, notamment sur ce qu’on appelle les “micro-agressions”. Et dans ce cadre il y a beaucoup d’éléments qui rejoignent le travail intergénérationnel. Par exemple, un collaborateur depuis 30 ans dans la maison peut s’estimer extrêmement compétent du fait de son ancienneté, et se trouver confronté à un jeune salarié qui va lui dire : “Ce n’est pas comme cela qu’il faut faire”. Cela provoque des tensions. Les questions abordées lors de ces formations concernent la manière de s’adresser à l’autre : comment dire les choses ? Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Comment mieux écouter l’autre ? Et puis, il s’agit aussi de déverrouiller cette contre-vérité, encore ancrée dans les mentalités : “Aujourd’hui, on ne peut plus rien dire”.
La qualité de vie au travail est un enjeu majeur d’attractivité et de rétention des talents. Comment est-elle mise en œuvre au sein de TV5MONDE ?
J. C. : Nos moyens sont modestes par rapport au secteur privé, mais les initiatives en faveur du bien-être de nos salariés sont nombreuses. Les locaux de TV5MONDE sont situés en plein cœur du 17e arrondissement de Paris avec une terrasse végétalisée sur le toit. Niveau santé, ils bénéficient d’une mutuelle avantageuse prise en charge intégralement par l’employeur. TV5MONDE œuvre également pour la parentalité en proposant des congés allaitement, adoption et paternité.
Quelle place pour la quête de sens ?
J. C. : Nous défendons au quotidien nos valeurs, et nos collaborateurs en sont les premiers témoins. Dans l’exercice de leurs métiers, ils prennent pleinement conscience de l’utilité de notre chaîne dans sa mission d’information, dans sa défense de la diversité culturelle et dans son rôle pédagogique, notamment dans le cadre de l’apprentissage du français. Nous aimons dire que nous sommes une émanation d’un service public mondial. Toutes ces missions sont le socle de TV5MONDE. C’est important car l’entreprise n’est plus seulement un espace où gagner un salaire, mais un lieu de réalisation personnelle. La notion et les moyens d’engagement ont changé. On ne choisit pas de travailler à TV5MONDE comme on choisirait de travailler pour n’importe quelle autre chaîne.
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