Il revient aux entreprises, en pleine transformation, de répondre aux besoins inédits des collaborateurs, de ressouder le collectif et de prendre leur part aux grands défis du siècle. Vaste programme…
Nous sommes déjà en 2025, à en croire les experts qui se penchent sur le futur du travail . En accélérant des mutations professionnelles en préparation, la pandémie de Covid-19 les a rendues légitimes aux yeux du dirigeant d’entreprise et de son directeur financier, binôme indéboulonnable et cardinal de l’organisation, en dépit de la forte montée au front, depuis deux ans, du directeur des ressources humaines (DRH). A tel point qu’à présent nombre d’entreprises cherchent à se transformer pour mieux assumer leurs nouvelles responsabilités. Car il leur revient non seulement de répondre aux besoins inédits des collaborateurs par le biais d’un management plus engageant, transparent et responsabilisant, de ressouder les équipes et d’accompagner – ni plus ni moins – les grands défis du siècle, qu’il s’agisse du réchauffement climatique ou des inégalités. Pas une sinécure.
En cette période de transformation technologique et sociétale, les symposiums et études sur le télétravail, l’organisation hybride (un mix de travail sur site et à distance), le nouveau rôle des sièges sociaux et autres aspirations à la « grande démission » et à quitter Paris se multiplient. En France, The Boson Project, NextGen, Welcome to the Jungle, quantité de consultants, pros des ressources humaines, professeurs en stratégie et management, auteurs, producteurs, psychologues, sociologues, philosophes et journalistes se penchent sur le sujet.
A l’étranger, les travaux de Lynda Gratton ou d’ Amy Edmondson , pour ne citer qu’eux, font florès. Une nouvelle étude mondiale, menée par le cabinet de conseil en stratégie Bain & Company auprès de 20.000 salariés, issus de dix pays industrialisés et en développement (65 % du PIB mondial) et divulguée en exclusivité aux « Echos », met en avant cinq ruptures, qui redessinent le travail.
1. Les frontières de l’entreprise se brouillent
Le plus frappant réside dans l’évolution même du concept d’entreprise – qui n’est plus circonscrit à ses seuls salariés. Les entreprises, poussées par leurs collaborateurs et/ou « contraintes par un État tenté de se défausser de certaines de ses responsabilités », prennent ce train en marche « parce que la densification des interactions avec leur écosystème est désormais une condition de leur survie », décode Erell Thevenon, déléguée générale de l’Institut pour l’innovation économique et sociale (2IES), dans « Vertiges du télétravail » (Les Ozalids d’Humensis).
« Free-lance, CDI, CDD, ‘gig economy’ [économie des petits boulots, NDLR], contracteurs. Mais aussi écosystème de partenariats entre grandes entreprises et PME ou Gafam… L’une des cinq ruptures pointées par l’étude se concrétise par un brouillage des frontières de l’entreprise », observe John Hazan, associé responsable de la solution Talents en Europe chez Bain &Company.
2. Le « good job » est désormais à géométrie variable
Pas étonnant, dans un tel environnement, que la notion même de « bon travail » ou de « good job » change du tout au tout et se fragmente en six archétypes.
Ainsi, nous apprend l’étude de Bain & Company, un « operator », dans une logique de travail alimentaire, trouvera du plaisir hors de son travail, contrairement à un « giver » qui y cherche continuellement plus de sens que de rémunération, à un « explorer » qui valorise liberté et variété d’expériences, à un « artisan » qui guigne continuellement la reconnaissance de son expertise ou encore un « striver », assoiffé de statut et de valorisation sociale. Quant au sixième archétype, celui du « pionneer », il se donne pour ambition de… changer le monde !
3. Retour en grâce des compétences humaines
« Autre rupture : en gagnant du terrain, l’intelligence artificielle (IA), la robotisation, la digitalisation, à la fois diffusent de l’anxiété et rendent encore plus nécessaire la valorisation des compétences humaines », analyse John Hazan.
Ce retour en grâce de l’humain pousse les entreprises à travailler à l’employabilité de leurs collaborateurs plutôt qu’à se contenter de constituer des viviers de talents puisés à l’extérieur. A elles aussi de renforcer les valeurs communes et le sentiment d’appartenance des collaborateurs. Une gageure à l’heure, où 65 % des salariés plébiscitent le télétravail ?
4. Face à l’incertitude, gros malaise des jeunes
La chose certaine, c’est que le variant Omicron pousse au télétravail par défaut ; ce qui renforce le malaise des plus jeunes . Leur grand trouble face à l’incertitude invite les managers de proximité à renforcer leur compagnonnage.
Point notable : quand la prise de risque est jugée à 94 % nécessaire, selon la dernière étude annuelle de Grandes écoles au féminin (GEF) , elle est, dans le même temps, perçue d’une façon plutôt négative. Tout particulièrement par les moins de 35 ans, qui partagent ce point de vue à 65% !
5. Émergence de motivations multiples et inédites
Ces jeunes rejoignent les rangs de tous ces collaborateurs dont les postures et motivations, multiples et nouvelles, bouleversent la donne et poussent le fonctionnement de l’entreprise à s’articuler autour d’une décentralisation de l’autorité, plus de transparence et de confiance, ainsi que davantage de responsabilisation des équipes.
« Reconstruire du lien social, en contexte hybride, c’est par exemple utiliser les économies gagnées sur les rationalisations de l’immobilier de bureau pour créer des espaces de travail plus inclusifs, pour favoriser le maillage territorial en sortant d’une logique de siège social géant », illustre John Hazan. C’est aussi investir dans une expérience collective forte destinée à souder l’affectio societatis. « Comme se rassembler dans un gîte, du côté du Mont-Blanc, pour se déconnecter du tout-digital et renforcer le collectif », suggère l’expert.
Ce chantier tentaculaire rend essentielle la présence de managers. Mais pas n’importe lesquels : des coachs, des mentors. Des professionnels capables de favoriser toujours plus de dialogue et d’inclusion, d’ingénieusement rythmer les tâches des équipes à distance, de résoudre les conflits éventuels et, en appui sur une forte raison d’être , de concilier de la façon la plus judicieuse sens collectif, impact positif et attentes individuelles. Vaste programme…
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Muriel Jasor