Tendance – Quels ont été les impacts de la vague #MeeToo dans le monde du travail ?
L’affaire Weinstein qui porte le nom du producteur américain reconnu coupable de viol et d’agression sexuelle a causé une onde de choc et entraîné diverses conséquences :
- libération de la parole des victimes,
- tolérance zéro face au harcèlement sexuel,
- fin de l’omerta sur le sexisme dit ordinaire… Des répercussions qui ont également frappé la sphère économique.
« Les entreprises ont toujours été la caisse de résonance des problématiques sociétales.
Après #MeeToo et #BalanceTonPorc, des situations jusqu’alors perçues comme des rapports de domination, de séduction ou d’humour propres aux relations interpersonnelles au travail ont été prises pour ce qu’elles sont, à savoir des pratiques irrespectueuses et inadmissibles », pointe Eric Goata, directeur associé d’Eléas, cabinet de conseil spécialisé dans la qualité de vie au travail.
Comme de nombreux experts en prévention des RPS – risques psychosociaux, il est sollicité par un nombre croissant de directeurs des ressources humaines (DRH) appelant à la rescousse, soit pour prévenir, soit pour guérir.
« La culpabilité et la honte changent de camps. Les langues se délient. On voit des organisations où des collaboratrices unissent leurs témoignages pour dénoncer des faits parfois prescrits d’un point de vue pénal », explique Christophe Nguyen, psychologue du travail, président du cabinet Empreinte Humaine, qui rappelle que la lutte contre le harcèlement sexuel figurait à l’agenda des DRH bien avant l’affaire Weinstein.
Sensibiliser grâce à la formation
« Les viols et les agressions sexuelles étaient déjà pris en compte. Ce qui a changé avec #MeeToo, c’est que les actes moins graves, tels les remarques, gestes et blagues sexistes, ne sont plus acceptables », souligne Laetitia Ternisien, avocate du cabinet Jeantet, spécialisée en droit social. Elle n’a pas constaté « une explosion des contentieux en matière de harcèlement sexuel », en revanche elle observe une tolérance zéro de la part des employeurs face aux comportements déviants.
« Les entreprises n’hésitent plus à sanctionner :
- cela va du rappel à l’ordre à l’avertissement écrit,
- en passant par la mise à pied ou la rétrogradation,
- jusqu’au licenciement pour faute simple ou grave », dit-elle.
Pour éviter d’en arriver là, de nombreux DRH entendent agir en amont, en sensibilisant les membres des équipes. « L’un des dispositifs les plus fréquemment utilisés est la formation. Le problème est que ce type de cursus peut se révéler moralisateur et stigmatisant, et se concentre le plus souvent sur le contexte réglementaire. Or, il ne s’agit pas que d’un sujet juridique : c’est la culture et les mentalités qu’il faut faire évoluer ! », insiste Eric Goata, prônant notamment les formats décalés pour aborder la thématique du sexisme, comme les ateliers participatifs ou les forums théâtralisés.
Enquêter de manière impartiale
Il alerte toutefois sur les précautions nécessaires. « Ce type d’interventions nécessite de recourir à des experts aguerris car le fait d’en parler, même sur un ton ludique, peut réveiller des traumatismes enfouis », prévient-il.
« Les dispositifs et interlocuteurs dédiés aux victimes peuvent être divers :
- hotline avec numéro vert,
- formation référent harcèlement,
- personnels RH et managers formés au sujet,
- partenaires sociaux,
- structure de signalement éthique tel que définit par la loi Sapin 2… Les collaborateurs doivent savoir où trouver une écoute et une aide », poursuit Christophe Nguyen, ajoutant que les campagnes d’information et les outils d’écoute ne sont pas suffisants.
« L’employeur doit pouvoir immédiatement enquêter de façon impartiale et prendre les mesures conservatoires de manière à protéger la victime, faire cesser les agissements et par la suite mettre en oeuvre des actions de prévention amont », remarque-t-il. « Sans même parler de l’article L. 1153-1 du Code du travail qui porte sur le harcèlement sexuel, l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité, et de protéger la santé physique et mentale des collaborateurs », rappelle Laetitia Ternisien.
Des comportements non genrés
Eric Goata et Christophe Nguyen, tous deux spécialistes des risques psychosociaux, connaissent dans le détail les dégâts causés par le harcèlement sexuel et les agissements sexistes au travail. « C’est une vraie violence qui créé un état de stress profond avec des conséquences psychologiques très importantes », indique Eric Goata. « Cela est extrêmement destructeur et il est compliqué de retrouver la santé psychique après avoir été victime. Ainsi, la prévention n’est pas seulement une façon de respecter la loi mais aussi une condition de reconstruction psychologique pour les personnes », complète Christophe Nguyen.
La nécessité d’en finir avec la banalisation du sexisme gagne peu à peu du terrain. Mais certains préjugés restent tenaces. Ainsi, dans l’inconscient collectif, le harceleur est un homme manager, et la victime une femme assistante. « Dans les faits, le harcèlement n’est pas genré, il n’a pas d’âge et ne fait écho à aucun code hiérarchique », conclut Eric Goata.
JULIE LE BOLZER