Les conséquences économiques de l’intelligence artificielle sont encore difficiles à évaluer, notamment en matière de productivité, car les salariés sont encore peu nombreux à l’utiliser. Si l’IA est une aide précieuse pour certaines tâches, elle va aussi détruire des emplois, donc rebattre les cartes des inégalités au travail, explique Guillaume Bazot.
L’arrivée de ChatGPT soulève de nombreuses interrogations, que ce soit pour ses effets sur la croissance, le marché du travail ou les inégalités. Outre les questions éthiques, l’essentiel est de déterminer si ceci favorise, ou non, le bien-être social.
Plusieurs mécanismes sont susceptibles de jouer ici. Le premier concerne la productivité. L’IA nous permet d’accomplir un plus grand nombre de tâches sur le temps qui nous est imparti. Ensuite, bien utilisée, elle réduit le risque d’erreur dans de nombreux procédés. Enfin, elle est un complément à la créativité des individus et accélère l’innovation. L’ensemble des gains obtenus peuvent alors servir à accroître la consommation ou le temps libre selon les préférences des agents.
Une employabilité différenciée
Toutefois, ces technologies peuvent nuire si elles génèrent un accroissement trop important des inégalités. Ceci nous amène au deuxième mécanisme : certaines tâches vont être automatisées, donc réalisées par des machines plutôt que par des travailleurs. En conséquence, une moindre part des revenus sera consacrée aux travailleurs. Or, les revenus du capital étant plus inégalitairement distribués et davantage concentrés en haut de la distribution, ce remplacement conduit à augmenter les inégalités. A l’inverse, les gains de productivité et les transformations du tissu économique vont conduire à la création de nouveaux métiers et, ce faisant, à l’apparition de nouvelles tâches. Autrement dit, la robotisation des tâches peut être nuisible en matière d’égalité capital-travail si l’effet de productivité est trop faible pour compenser l’effet de remplacement.
La machine conduit l’homme à se spécialiser dans l’humain.
Jean Fourastié, économiste français
Troisièmement, certains métiers vont se développer de manière complémentaire à l’IA alors que d’autres vont disparaître. Alors qu’une pénurie de main-d’oeuvre dans les métiers en tension sera de nature à augmenter les salaires des premiers, les seconds risquent de perdre leur principale source de revenu. C’est pourquoi les inégalités peuvent aussi s’accroître entre les travailleurs du fait de l’employabilité différenciée des individus selon les professions.
Deux raisons d’être optimiste
Est-ce que les effets positifs seront supérieurs aux effets négatifs ? Même s’il est encore trop tôt pour répondre catégoriquement à cette question, voyons ce que la littérature économique nous apprend. D’après Acemoglu et Restrepo (« Automation and New Tasks : How TechnologyDisplaces and Reinstates Labor ? », 2019 ), l’automatisation des tâches semble avoir été la cause d’une baisse de la part des revenus dédiée au travail depuis les années 2000, du moins aux Etats-Unis. La raison en serait la faiblesse des gains de productivité associés à la robotisation. De fait, comme disait Solow : « On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de la productivité. »
A l’inverse, comme le montre une récente étude expérimentale ( S. Noy et W. Zang : « Experimental Evidence on the ProductivityEffects of GenerativeArtificial Intelligence », 2023 ), il y a au moins deux raisons d’être optimiste. D’une part, les gains de productivité sont bien plus élevés que depuis vingt ans. D’autre part, les développements technologiques actuels tendent à être davantage complémentaires que substituables aux travailleurs, en particulier lorsque le niveau de qualification est faible. Autrement dit, l’IA augmente surtout la productivité des travailleurs les moins qualifiés.
Enfin, et sans doute plus que jamais, gardons en tête les mots de Jean Fourastié : « La machine conduit l’homme à se spécialiser dans l’humain. »
Guillaume Bazot est maître de conférences à l’université Paris-VIII.