Une étude de l’Institut Montaigne dément l’idée d’une rupture majeure dans la façon dont les Français appréhendent le travail depuis la crise sanitaire. Le télétravail est toutefois devenu un facteur de clivage entre salariés.
Les Français sont heureux au travail, dans leur grande majorité. Et l’épidémie de Covid-19, qui aurait selon certains entraîné une « épidémie de flemme », n’y a rien changé. Une étude de l’Institut Montaigne, réalisée par l’économiste Bertrand Martinot et parue ce jeudi, entend « dépasser les idées reçues » sur les « Français au travail », alors que la question est revenue au premier plan à l’occasion de la réforme des retraites.
Ainsi, plus de trois quarts (77 %) des plus de 5.000 actifs interrogés se disent satisfaits de leur travail – ils expriment un degré de satisfaction supérieur ou égal à 6/10 -, soit une proportion « remarquablement stable dans le temps », note l’étude. Les points de satisfaction sont également inchangés, que ce soit l’intérêt et le contenu des missions exécutées, la qualité des relations avec les collègues et le temps de travail.
Pas de plébiscite pour le « droit à la paresse »
L’auteur de l’étude se dit « frappé de la permanence des trois principaux motifs générateurs d’insatisfaction : la rémunération, la reconnaissance du travail et les perspectives de carrière ». Le fait de « gagner de l’argent » est la deuxième motivation des travailleurs, juste derrière le contact avec d’autres personnes, et 46 % des sondés se disent insatisfaits du niveau de leur rémunération .
Autre idée à la mode également battue en brèche, le « droit à la paresse » défendu par Sandrine Rousseau ne serait pas plébiscité par les Français à la suite de la crise Covid. Pour preuve, l’étude met en avant le fait que la durée annuelle du travail ne diminue plus depuis 2004 et qu’il n’y a plus aujourd’hui qu’une minorité de Français qui travaillent aux « heures de bureau ».
Deux salariés sur cinq seulement ne travaillent jamais le week-end ou après 20 heures. Les « horaires atypiques » ont particulièrement progressé chez les cadres : 32 % ont travaillé au moins une fois le soir dans le mois précédant l’enquête (+5 points entre 2015 et 2021) et 20 % ont travaillé le dimanche (+8 points).
Charge de travail excessive
En matière de temps de travail, les aspirations seraient au final « très contrastées ». Si l’on regarde les grandes masses, 31 % des sondés voudraient « travailler plus pour gagner plus », notamment chez les plus faibles revenus. Soit plus du double de ceux (15 %) qui seraient prêts à « travailler moins quitte à gagner moins ».
Bertrand Martinot considère par ailleurs que « le rejet massif du recul de l’âge légal de départ à la retraite , qui n’est pas une nouveauté, est sans doute davantage le fruit d’une crise politique plus générale qu’une manifestation d’un effondrement soudain de la ‘valeur travail’ ».
Au-delà de ces permanences, le rapport des Français au travail a toutefois connu des évolutions. Cela vaut notamment pour la montée en puissance de la « charge psychique ». Sur ces cinq dernières années, 60 % des travailleurs ont le sentiment que leur charge de travail s’est accrue, et un quart (26 %) d’entre eux estime que cette charge de travail est excessive . Mais il semblerait que ce sentiment soit surtout « lié à une intensification du travail ou à ses nouvelles formes d’organisation ».
« Cette charge psychique est à mettre en relation directe avec le ressenti par rapport au management, beaucoup plus qu’avec d’autres variables souvent mises en avant comme la ‘perte de sens’ », estime l’auteur. En clair, les acteurs du monde du travail doivent repenser les méthodes de management en lien avec la qualité de vie.
Une rupture, le télétravail
Autre rupture, l’ explosion du recours au télétravail , avec 40 % des acteurs le pratiquant au moins occasionnellement fin 2022, contre seulement 7,4 % en 2017, selon l’Insee. Ce qui provoque des clivages. La moitié des salariés (49 %) sont insatisfaits du télétravail , parce qu’ils ne peuvent pas le pratiquer ou pas autant qu’ils le voudraient. Pour les 60 % n’ayant pas accès au télétravail, en majorité des professions pour lesquelles ce n’est pas possible, c’est un « motif de forte frustration », note l’Institut Montaigne.
Pour ceux qui y ont recours, le télétravail a des impacts positifs sur la vie familiale et professionnelle, et sur l’efficacité et l’autonomie au travail.
Reconversion et emploi des seniors, des enjeux clefs
Outre « l’ampleur de la question salariale », l’auteur souligne plusieurs défis clés pour l’avenir. Les sujets de la promotion sociale par le travail et de la reconversion professionnelle sont une nécessité « à la fois économique et politique ». Et ce, alors que 55 % des salariés souhaitent évoluer dans leur entreprise vers un poste différent et 60 % ont déjà envisagé ou envisagent une reconversion professionnelle.
Autre sujet, l’emploi des seniors. Seuls 7 % des sondés jugent l’âge minimum légal de départ à la retraite de 62 ans « pas assez élevé », contre 47 % le jugeant « excessif » et 45 % « approprié ». Une majorité relative (41 %) des actifs souhaite des « conditions de travail aménagées quelques années avant de prendre leur retraite ». Une partie d’entre eux (14 %) sont même prêts à réduire leur rémunération avant leur retraite pour travailler moins ou avoir des fonctions différentes en fin de carrière.
Par Paul Turban