Monoprix est une marque connue de tous. Et cela dure depuis 1932. Avec 800 magasins (Monoprix, monop’, Naturalia) implantés dans 250 villes en France, le groupe Monoprix, détenu à 100 % par Casino depuis 2013, emploie 23 000 collaborateurs. Comme ses homologues, Monoprix connait une transformation d’ampleur de son secteur. Tout est à repenser, de la manière de vendre à celle de livrer et d’être livré, des choix marketing et de communication à l’organisation de l’entreprise dans son ensemble. La dimension humaine est omniprésente.
Sandra Hazelart, directrice des Ressources Humaines du groupe, a accepté de nous parler de tout cela, et plus encore. Arrivée par hasard dans la grande distribution à la fin de ses études il y a vingt ans, en devenant directrice de magasin pour le groupe Auchan, elle y est restée par goût du commerce, des produits et des clients.
Le moment traversé est historique. D’un point de vue professionnel, par quoi avez-vous été la plus surprise depuis mars 2020 ?
Sandra Hazelart : Passé le choc des trois premières semaines, ce moment nous a montré, à tous, que de nombreuses choses qui semblaient impossibles ne l’étaient pas vraiment. Que nous avions, chacun et ensemble, des capacités de résilience que nous ne soupçonnions pas. Est née de tout cela une émulation collective très positive où ce qui importait était non plus l’appartenance à tel service ou tel réseau, mais l’obtention d’une efficacité concrète face aux problèmes rencontrés. Le nôtre était d’assurer l’ouverture des magasins et le service à nos clients. La mobilisation spontanée de nos salariés a été sans faille.
Votre secteur a-t-il su faire preuve de solidarité à cette occasion ?
S. H. : Le premier confinement a provoqué une grande désorganisation de nos équipes. Pour accompagner une partie de nos salariés dans l’obligation de rester à domicile pour garder leurs enfants, nous avons été obligés de trouver au pied levé des effectifs, pour les remplacer et assurer l’ouverture de nos magasins, qui était essentielle. Comme cela était particulièrement difficile, j’ai alors pris contact avec mes homologues de plusieurs enseignes comme Etam, Zara, Galeries Lafayette, Fnac-Darty et d’autres, dont les magasins étaient fermés, afin de leur proposer de nous mettre en contact avec leurs salariés, mis en activité partielle pour qu’ils puissent, s’ils le désiraient, venir travailler chez nous, dans ce moment de crise. Ils ont fait preuve d’une grande solidarité et près de 200 de leurs collaborateurs nous ont rejoint ponctuellement, en CDD, nous permettant de faire face aux besoins de nos clients.
Quelles évolutions de votre secteur sont le plus porteuses de changement d’un point de vue des ressources humaines ?
S. H. : Avant la crise, le secteur est passé en quelques années d’un état
d’équilibre – caractérisé par des acteurs connus et inchangés depuis longtemps, une activité organisée autour des magasins – à une rupture majeure, avec de nouveaux venus, des nouvelles pratiques des consommateurs et l’émergence d’une activité omnicanale. Ces mutations appellent des changements dans l’organisation des magasins, la conception des métiers, la connaissance et l’évaluation des compétences dont l’entreprise a besoin. Et comme les évolutions sont majeures, les effets sur les équipes sont, eux aussi, majeurs.
« NOUS AVIONS, CHACUN ET ENSEMBLE, DES CAPACITÉS DE RÉSILIENCE QUE NOUS NE SOUPÇONNIONS PAS »
Comment les pratiques RH ont-elles dû évoluer ?
S. H. : Nous passons d’une approche centrée avant tout sur des métiers à des approches qui, pour être efficaces, doivent reposer bien plus sur des savoir-être et des compétences. Avec la crise, nos clients ont pris l’habitude d’acheter en ligne ce que nous appelons le « fond de placard ». Nous repensons la complémentarité entre le magasin physique et le magasin digital pour répondre aux besoins du client qui changent selon qu’il fait ses courses depuis son canapé ou dans nos magasins. Il ne recherche plus la même chose. Notre rôle de commerçant s’appréhende dorénavant de manière multicanale sans opposer le magasin et le site internet, en utilisant toutes les technologies possibles pour faire évoluer notre façon de travailler et focaliser toute notre attention au service de l’expérience client. C’est un changement de pied pour l’entreprise et de posture pour nos managers et nos collaborateurs. Sur de nombreux points, la crise nous a fait réaliser en huit mois ce qui aurait pris sans doute davantage de temps dans un autre contexte.
Qu’est-ce qui est le plus exigeant ?
S. H. : Tout d’abord, nous basculons collectivement dans un nouveau monde, où nos repères traditionnels disparaissent. Prévoir ce que sera demain devient de plus en plus complexe et c’est insécurisant. Ainsi, dans le même temps, nous savons que de nouveaux métiers vont apparaitre, mais sans avoir encore une idée précise de chacun d’eux alors que certaines évolutions sont établies et déstabilisantes. C’est le cas avec la décroissance de certains métiers, comme ceux liés au paiement en magasin. Il faut donc accompagner chacun, prendre le temps de le faire et de le faire bien. Le défi est, par exemple, d’aider les hôtesses et les hôtes de caisse à prendre du recul sur leur métier pour qu’il ne les enferme pas dans une fonction. Leur permettre d’identifier toutes les compétences qu’ils maitrisent et qui sont transposables dans d’autres fonctions au sein de l’entreprise, leur faire prendre conscience de leur niveau d’employabilité et élargir ainsi leurs champs des possibles en fonction des besoins de l’entreprise. Nous accompagnons donc aussi l’évolution des modes de management, en donnant plus de place à la confiance, en promouvant un pilotage aux objectifs, en apprenant à faire du feed-back. Ces évolutions, structurelles, ont d’ailleurs été accélérées par la crise du Covid-19.
Comment y faites-vous face ?
S. H. : Pour y parvenir, il faut mieux connaitre chacun. Passer du métier à la compétence, c’est changer de regard et aller du collaborateur vers l’individu. Un exemple : Monoprix désormais vend et répare des vélos. Nous nous sommes naturellement rapprochés des collaborateurs qui étaient des cyclistes pour concilier leur métier et leur centre d’intérêt, c’est une méthode que nous utilisons à chaque nouveau service ou concept. L’adhésion au changement est remarquable et ils sont de très efficaces ambassadeurs de cette nouvelle activité. Mais pour réussir, il faut qu’il y ait une confiance partagée car sinon vous donnez l’impression d’être intrusif.
« D’UNE APPROCHE CENTRÉE AVANT TOUT SUR DES MÉTIERS À DES APPROCHES QUI DOIVENT REPOSER BIEN PLUS SUR DES SAVOIR-ÊTRE ET DES COMPÉTENCES »
Pour l’employeur, pour l’équipe dirigeante, ces évolutions majeures provoquent-elles aussi une remise en cause ?
S. H. : Bien entendu. On passe de la position du sachant à celle d’explorateur, d’entrepreneur. C’est un exercice d’humilité, face à un contexte qui change extrêmement vite car cela conduit à dire plus que par le passé « je ne sais pas » parce que nous devons sans cesse nous adapter et imaginer ce que sera notre métier demain, sans perdre sa puissance de conviction, son enthousiasme à réinventer, à innover, à faire. Certaines compétences sont plus que jamais indispensables, comme la résilience face au changement, l’empathie ou encore l’agilité.
La transformation du secteur et la crise actuelle ont-elles eues un effet sur le dialogue social pour votre groupe ?
S. H. : Il a beaucoup changé. Les partenaires sociaux, eux aussi, ont été affectés par ces changements et ont pu éprouver la puissance des facteurs d’évolution qui s’imposent à nous. Cette avancée collective nous a permis, ensemble, d’innover et de poser de nouvelles bases. Si l’on reprend l’exemple des hôtesses et hôtes de caisse, nous avons officialisé, avec tous les syndicats, le constat de la décroissance progressive de ce métier, tout comme nous avons constaté ensemble que nous allions perdre plus de postes que nous aurions de solutions à proposer sur certains métiers et certaines compétences. Dès lors, nous avons regardé hors de l’entreprise et trouvé des débouchés sûrs dans d’autres secteurs, bénéficiant de croissance et confrontés à des pénuries de compétences. Nous avons ainsi rejoint le dispositif Transitions collectives avec le groupe Korian, en créant des passerelles pour nos salariés, intéressés par le métier d’aide-soignant. La phase test permet à 62 collaborateurs de rester en CDI chez nous, de suivre une formation de 14 mois au terme de laquelle ils deviendront des salariés de Korian.
L’impact du digital concerne aussi la fonction RH. Sur quels aspects pensez-vous qu’il sera le plus source de valeur ?
S. H. : En matière de recrutement, les outils aidant à trier les CV, organiser les rendez-vous et mettre en place des phases de préqualification en ligne permettent de gagner un temps important et précieux, qui est réinvesti dans les entretiens avec les personnes identifiées. Nous constatons beaucoup moins d’erreurs de recrutement. Dans la gestion des données issues des entretiens annuels, cela nous permet d’identifier des compétences et des intérêts très rapidement, dès lors qu’il faut lancer un projet et organiser des équipes de collaborateurs sans doute les plus compétents et les plus motivés. Enfin, sur la formation, j’espère que des outils nous permettront à l’avenir de mieux en mesurer l’impact sur le business.
« POUR L’ÉQUIPE DIRIGEANTE, ON PASSE DE LA POSITION DU SACHANT À CELLE D’EXPLORATEUR, D’ENTREPRENEUR »