Gaëtan de Lavilleon, docteur en neurosciences et président de Cog'X
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Avec le numérique, notre mémoire de travail est vite saturée

Gaëtan de Lavilleon, docteur en neurosciences et président de Cog'X

Cofondateur et président de l’agence Cog’X, Gaëtan de Lavilleon est docteur en neurosciences. Il accompagne les entreprises dans le questionnement, l’expérimentation et la transformation des méthodes de travail et d’innovation de demain.

A l’ère du numérique, sait-on encore apprendre ?

D’un point de vue scientifique, rien n’indique que nos facultés se dégradent. Le fonctionnement de tout cerveau repose sur l’apprentissage ; et ce, tout au long de la vie. Mais que doit-on encore apprendre ?

En entreprise, pendant trop longtemps, les « hard skills », ou compétences techniques, ont prévalu sur les « soft skills », les compétences relationnelles et émotionnelles. Il faut désormais inverser l’importance de la hiérarchie et se reporter sur les compétences clefs d’aujourd’hui : savoir être innovant, attentif, gérer ses émotions…

En d’autres termes, savoir gérer son cerveau. L’impératif est moins d’apprendre que d’apprendre à s’adapter.

 Quel peut être l’impact des sciences cognitives sur le milieu du travail ?

Avec les sciences cognitives, nous nous intéressons au cerveau qui, avec le temps, est devenu quasiment notre seul outil de travail. La plupart des individus passent leur journée devant leur ordinateur ou à « brainstormer » en équipe.

Le cerveau capte, traite, et envoie des informations en permanence et le travail n’est presque plus qu’intellectuel. Les neurosciences essaient d’apporter les réponses mais surtout de soulever des questions pour comprendre l’adéquation possible entre les capacités de cet organe incroyable et les environnements de travail.

Comment un leader peut-il tirer parti des sciences cognitives ?

Il a été prouvé que si un professeur croit que ses élèves sont meilleurs que ce qu’ils sont en réalité, ces derniers obtiennent in fine de meilleures notes.

C’est l’effet Pygmalion : le cerveau des élèves détecte le non-verbal dans l’attitude du professeur, en l’occurrence sa pensée positive à leur égard, et ils se conditionnent alors en conséquence. Cette spirale de confiance est aussi applicable en entreprise.

Les équipes vont augmenter leurs capacités de travail si le leader croit en eux. Cela questionne la collaboration qui se fait de plus en plus à distance. Il est en effet plus difficile d’être empathique dans un mail que dans une relation en face-à-face.

Une remise en cause de l’e-learning ?

Proposer de l’e-learning pour de l’e-learning n’a évidemment pas de sens. Le modèle du MOOC peut être intéressant, mais l’apprentissage y est encore trop passif et le format gagnerait à plus d’interactivité.

Dans l’apprentissage, le rôle du maître reste primordial : il permet de pointer les erreurs des individus et d’identifier les limites de leurs connaissances. Avec l’e-learning, le bât blesse au niveau des contrôles des connaissances en fin d’apprentissage, qui sont parfois insuffisants.

En présentiel, il est plus facile d’apporter un retour efficace à l’apprenant.

En quoi les conditions de travail actuelles peuvent-elles entraver nos capacités cognitives ?

Notre cerveau subit en continu un bombardement d’informations. Or, leur captation représente un coût pour le cerveau qui alloue une attention qu’il ne pourra plus porter à d’autres tâches. Recevoir une notification d’un mail pendant une réunion, par exemple, brouille notre attention, même si le mail n’est pas ouvert.

Les sollicitations internes, elles aussi, sont largement responsables de cette perte d’attention. L’addiction au numérique nous pousse à consulter sans cesse notre boîte mail, même sans notifications. La culture de l’urgence fait qu’aujourd’hui la rapidité de traitement de l’information est assimilée à la performance. Le cerveau rentre dans un automatisme dans lequel il finit par être happé.

Pour se protéger, le cerveau met en place une barrière naturelle. Un filtre attentionnel, disent les neurosciences. Le cerveau réalise une sélection précoce de l’information, mais au-delà de dix éléments qui occupent notre esprit, faire le tri devient alors de plus en plus difficile, et certaines informations inutiles seront parfois traitées au lieu des informations importantes. La totalité de sa mémoire de travail – celle dédiée à l’immédiateté – s’en trouve saturée. Or, dans nos environnements numériques, cette limite de dix éléments est très vite atteinte.

Que se passe-t-il en cas de surcharge cognitive prolongée ?

Si cet état survient de manière continue et répétée, le burn-out peut apparaître. A l’inverse, en cas de sous-charge cognitive prolongée – donc avec trop peu d’informations à traiter -, le cerveau s’ennuie et, là, c’est le bore-out.

Entre les deux, il y a un équilibre cognitif à trouver. Il passe par une adéquation entre l’état interne du salarié, les tâches qu’il réalise et son environnement de travail.

Sous-estimer le poids des éléments quotidiens serait une erreur. Par exemple, le système du « flex office », qui propose à chacun de choisir sa place en arrivant le matin, peut peser sur la charge cognitive. D’apparence anodine, ce choix représente en réalité un coût pour le cerveau.

In fine, quelles sont vos recommandations ? 

Premièrement, mettre un terme au tout-venant numérique : couper les notifications et dédier des plages horaires au traitement de certains flux d’informations. Ensuite, adapter ses activités en fonction des moments de la journée. Par exemple, prendre des décisions en fin de journée n’est pas bénéfique : les fonctions cognitives ne sont alors plus pleinement opérationnelles et l’impulsivité des individus est plus importante.

Enfin, les espaces de travail doivent être aussi adaptés aux activités. Apprendre représente un coût pour le cerveau et le faire en open space n’est pas forcément adéquat. Les entreprises doivent dédier des lieux à l’apprentissage pour favoriser la concentration de leurs collaborateurs.

 Et doper leur créativité ?

La créativité, autrement dit le fait d’avoir une idée originale, est une double injonction à la nouveauté et à l’expertise. Pour devenir expert, il n’y a pas de secret, il suffit de travailler. Etre original, en revanche, requiert de sortir du cadre du travail afin de fuir les biais de fixation de son environnement. Si l’on pense à une chaise, chacun visualise instantanément quatre pieds.

Pour sortir des automatismes, il faut s’abreuver d’éléments provenant d’environnements différents. Ensuite, prendre des temps de pause pour laisser le cerveau incuber les idées. Ce n’est toutefois pas toujours facile dans la précipitation de l’entreprise. C’est pourquoi le rôle du sommeil est primordial. Le cerveau retraite à ce moment-là les informations emmagasinées pendant la journée et tisse des liens fortuits entre elles. Ce processus est le terreau d’une bonne créativité.

 Comment il se ressource

Je m’autorise à faire une courte sieste au milieu de la journée, pas plus de 15 minutes pour éviter l’inertie du sommeil. Il n’est pas automatique de s’endormir à chaque fois, mais rien que le repos participe à la restauration des fonctions cognitives.

 

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