Ce professionnel reste un repère inestimable et fait ce que ChatGPT ne sait pas faire. Du moins pas encore…
Face à la première vague impressionnante de l’utilisation des intelligences artificielles (IA) génératives (plus de 100 millions de personnes en quelques mois), il est légitime d’avoir peur et de se questionner sur l’impact qu’elles peuvent avoir sur le travail. Mais que pouvons-nous faire ?
Premier scénario : refuser de les mettre en place en entreprise ? Mais si les Chinois et les Américains les perfectionnent, cela signifie que l’on sortira de la course et qu’on ne comprendra plus, dans quelque temps, le fonctionnement des innovations et des logiciels de productivité que nous serons obligés d’utiliser… Ce scénario est peu probable.
Second scénario : on teste, on investit, on crée des usages, on tisse des partenariats internationaux, on redéfinit le métier de manager augmenté par chatGPT et on reste dans la course.
A-t-on le choix ? Non. La seule solution est d’équiper intellectuellement les managers pour qu’ils créent de la valeur avec ces technologies.
Bataille du contexte
Les IA génératives – dont ChatGPT – permettent d’aller très vite pour gérer de l’information et proposer des mises en forme, mais c’est au manager qu’il revient de donner la direction et le sens des actions. Les IA permettent certes d’augmenter le quotient intellectuel, mais c’est bien le manager qui possède le quotient émotionnel.
Avec ces nouvelles technologies, l’homme a perdu la bataille de la vitesse mais pas celle du contexte. Aussi, les managers qui resteront sur des positions de rétention de l’information seront vite dépassés par ChatGPT, plus performant.
En revanche, ceux qui donneront du sens et mettront en oeuvre un « management par le care » (prendre soin de soi ou « selfcare », de chacun des membres de son équipe « Team Care » et de la planète « Planet Care) ont tout à gagner en utilisant la vitesse des outils fondés sur les IA génératives.
A condition de développer au moins quatre compétences clés.
Pratiquer la synthèse
Premièrement, ChatGPT est très fort pour synthétiser un texte et DALL-E pour créer des images en temps réel et synthétiser un film. Or la capacité de synthèse constitue la base de la réflexion. Quand on synthétise, on catégorise, on fait un choix, on mémorise et on relie.
Même si les IA génératives synthétisent plus vite que l’homme, de son côté, le manager ne doit jamais s’arrêter d’en faire de même, sans quoi sa capacité à penser, à raisonner, à proposer, à décider risque de s’estomper, avec la crainte qu’il développe des comportements plus émotionnels et réactifs.
Manier l’art de la synthèse, c’est digérer l’information pour l’enrichir plus tard et lui donner de l’impact. La crédibilité prend naissance dans l’art de la synthèse.
Managers, même si vous utilisez chatGPT pour synthétiser, continuez à pratiquer cette compétence clé, quand bien même votre résultat serait moins bon que celui de l’IA. C’est très important : les ressources humaines (RH) devraient, du reste, bien davantage reconnaître « l’esprit de synthèse » comme une compétence « socle » à intégrer dans les fiches de poste des managers
Bien utiliser « les prompts »
Deuxièmement, on peut certes utiliser les IA génératives directement mais on s’aperçoit vite que la qualité de la réponse dépend de celle de la question. Or les professionnels qui passent plus de temps à utiliser ChatGPT que Google ont ce point commun : ils apprennent à utiliser les outils qui créent les bonnes questions (les « prompts »).
Les managers vont donc devoir monter en qualifications sur des méta-compétences et ne pas rester au premier niveau des compétences d’usage.
L’objectif est alors d’utiliser les outils qui permettent de créer des « prompts » intelligents et de ne pas se laisser tenter par la facilité d’un questionnement direct aux IA génératives.
Faire preuve d’esprit critique et détecter le faux du vrai
Troisièmement, avec la transformation numérique et l’IA, on est passé d’un monde relationnel fondé sur l’art de convaincre – « vrai-faux » – au monde de la probabilité qu’est celui de l’IA.
Mais avec les IA génératives, on rentre dans le monde du « fake ». Aussi est-il important que l’on sache, dans les entreprises, quand les IA génératives ont été utilisées ou pas.
Les managers doivent apprendre aux collaborateurs que tout ce qui est fait avec des IA génératives doit être questionné et contrôlé. Les « livrables » ne doivent pas être considérés comme des acquis, mais comme des brouillons à vérifier.
Valoriser ce qui est fait par l’homme grâce aux IA génératives
Enfin, quatrième point, dans ce nouveau contexte, le manager devient le garant de l’humanité et du care dans les organisations.
A lui de valoriser l’initiative de ses collaborateurs et ce qui est créé par l’homme grâce aux IA génératives. Seule la complémentarité – qui repose sur le choix que la décision finale est humaine – est la voie du progrès, me semble-t-il.
A l’échelle des comités exécutifs et des conseils d’administration, tirons les leçons de la transformation numérique tout en investissant dans le « test &learn » des IA génératives. Posons-nous la question des coûts cachés liés à la consommation d’énergie, à la maturité d’adoption de ces technologies par les nouveaux talents, au coût de formation pour faire monter en gamme les collaborateurs.
Protection du travail humain
Comme il existe un « Nutri-Score » dans l’alimentation, aurons-nous, demain, un label ou un index indiquant le niveau d’utilisation des IA génératives dans l’entreprise ? Et cette information sera-t-elle transparente ? Le consommateur cherchera-t-il à la connaître ? Pourra-t-on comparer la notion de « bio » et un concept « réalisé par un humain » ?
A l’échelle de l’Etat, après avoir déployé le « quoi qu’il en coûte » sanitaire puis écologique, inventera-t-on un « quoi qu’il en coûte » de la protection du travail humain ? Comment l’Etat entend-il protéger l’homme et l’emploi face à l’accélération de la technologie et de l’IA générative ?
Alors que ce sont les pays qui ont les usines les plus robotisées qui créent le plus d’emplois, comment l’Etat peut-il créer les conditions pour que ce soit aussi vrai avec l’IA ? Sachant que la robotisation des usines n’a pas d’impact direct sur la destruction d’emplois mais sur la création d’emplois plus spécialisés.
Dans ce monde plein de paradoxes, le manager reste un repère inestimable. C’est lui qui choisit et explique – sources à l’appui – la direction, le sens et les éléments de contexte. Tout ce que ChatGPT ne sait pas faire. Pour l’instant…
Par Cécile Dejoux, conférencière, professeure des universités au CNAM et affiliée à l’ESCP Business School, directrice de l’Observatoire des transformations managériales et RH, le Learning Labhuman Change en relation avec JulhietSterwen et Cornerstone