L’étendue du mal-être, qui touche nombre de salariés, est le risque le moins bien anticipé par l’État et les entreprises. Un paradoxe, à l’heure où leur engagement est clé pour soutenir la transformation des organisations.
Alors que le cycle des négociations annuelles obligatoires ( NAO ) se poursuit avec de fortes attentes des salariés, qu’une nécessité de transformation se fait persistante au sein des organisations et que le gouvernement Attal, sur fond de marché de l’emploi ralenti (après une forte baisse du taux de chômage depuis 2017), entend ériger le travail en valeur cardinale, l’étendue du mal-être, qui touche nombre de salariés, est le risque le moins bien anticipé par l’Etat et les entreprises.
Soucis de pouvoir d’achat, ravages de l’hyperconnexion, perte de sens au travail , tensions sociétales inquiétantes, désordres mondiaux (guerre, catastrophes naturelles, crises sanitaires), impact sur les familles du grand âge dépendant , détresse psychologique , transformation à marche forcée des organisations (60 % des dirigeants français estiment devoir repenser leur business model d’ici dix ans, selon PwC)… Les sources d’inquiétude montent chez tout un chacun.
« Autant les apaiser en adoptant une démarche qui se soucie de la qualité de la vie et des conditions de travail (QVCT) des effectifs. Les sociétés qui l’adoptent ont ainsi cinq fois plus de salariés engagés que celles qui ne le font pas », avance Camy Puech, CEO de Qualisocial, épaisse étude à l’appui. C’est dire, certains collaborateurs se montreraient 7,8 fois plus motivés dès lors que leur est laissée la possibilité de pleinement utiliser leurs compétences !
Pas une thématique connexe
Voici de quoi faire passer la qualité de la vie et des conditions de travail d’une thématique connexe aux préoccupations clés de l’entreprise à un sujet de direction générale. Et de lui conférer une dimension stratégique en ne la limitant plus à des cases à cocher, histoire de plaire aux partenaires sociaux, servir l’image employeur et attirer les talents.
Ce, d’autant plus que l’étude que Qualisocial a menée auprès de plus de 3.000 salariés regorge de données susceptibles d’inciter les entreprises, qui hésitent encore à corréler vie professionnelle, engagement et satisfaction des salariés et performance de l’organisation, à agir. Elle pointe ainsi, à de nombreuses reprises, l’impact positif de la QVCT sur la santé des salariés : 5,9 fois plus de salariés engagés au sein des sociétés qui la mettent en oeuvre.
A contrario, toujours à fouiller la même enquête, on comprend que l’absence d’une telle démarche pèse négativement sur le fonctionnement et la performance des organisations ainsi que sur les comptes publics. Ainsi, apprend-on que des relations exécrables au travail génèrent 2,23 plus de collaborateurs en mauvaise santé qu’ailleurs et 3,8 fois plus de « salariés activement désengagés », adeptes de l’absentéisme, du fameux « quiet quitting » ou pis encore – en version bruyante – du « loudquitting ».
Charge de travail inadaptée et contre-productive
Le manque de considération et une mauvaise ambiance au travail sont des facteurs déterminants dans la décision de quitter un poste, comme l’ont fait 45 % des salariés pour le premier motif et 42 % pour le second, indique une récente enquête de l’Apec, qui souligne que plus d’un tiers des cadres seraient prêts à quitter un poste qui ne propose pas une qualité de vie et des conditions de travail satisfaisantes.
Avis à ceux toujours prompts à charger la barque : un volant de travail inadapté se révèle tout bonnement contre-productif, car néfaste à l’engagement des collaborateurs parmi lesquels Qualisocial dénombre, pour cette raison, 3,2 fois plus de salariés en mauvaise santé qu’ailleurs.
De mauvaises conditions de travail pousseraient 32 % des cadres à quitter leur poste, indique l’Apec, alors que 40 % estiment qu’il suffirait d’instaurer des conditions de travail satisfaisantes (bonne ambiance, droit à l’erreur, « feedbacks » ou retours d’appréciation, etc.) pour les retenir.
Un enjeu de santé publique
« En définitive, il faudrait pouvoir procéder autrement avec la QVCT. Au-delà de la contrainte (NAO, responsabilité pénale de l’employeur, etc.), il faudrait davantage jouer sur l’effet incitatif, comme on le fait déjà avec l’investissement dans l’innovation ou les enjeux climatiques », estime Camy Puech.
Quand les risques psychosociaux se tiennent, à ce point, en embuscade, un mot d’ordre s’impose en entreprise : « équilibre ». Avec ni trop de présentéisme ni trop de télétravail , pour ceux qui sont concernés par cette problématique. Et, partout sans exception, de la flexibilité et un souci constant de sécurité psychologique.
L’année 2024 s’annonce difficile, avec un probable surcroît de défaillances d’entreprises et d’inévitables enjeux de transformation organisationnelle, qui requiert des salariés motivés et engagés. Puisque rien ne peut se faire sans ces derniers, autant tout mettre en œuvre pour soigner non seulement la qualité et les conditions matérielles, cognitives et émotionnelles de leur vie au travail, mais aussi leur capital cérébral en protégeant leur santé mentale.
Les organisations ont tout intérêt à prendre enfin au sérieux la démarche QVCT, taxée d’enjeu de santé publique par l’OIT, l’Organisation internationale du travail.
Par Muriel Jasor