Ressources humaines

Pourquoi les seniors font tellement peur aux entreprises ?

Pourquoi les seniors font tellement peur aux entreprises

Alors que la réforme des retraites est lancée, les organisations continuent de peu investir dans les plus de 50 ans. Or seule une combinaison de dispositifs étatiques et de volontarisme, côté entreprises, peut remonter le taux d’emploi des seniors au travail.

« Ces dernières années, les entreprises ont mieux appris à garder leurs salariés seniors, mais elles ne savent toujours pas les embaucher et le nombre de ceux qui ne retrouvent pas d’emploi reste élevé », constate Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des directions des ressources humaines (ANDRH). A l’heure où le gouvernement entend reculer l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans en 2030 et où les organisations se heurtent à des difficultés à recruter , la question de l’employabilité des seniors demeure un sujet épineux en France où, l’âge est un des principaux motifs de discrimination au travail.

Évoluant en U, le taux d’emploi, d’abord en baisse dès les années 1970 jusqu’à la fin des années 1990 (alors à 29 %), est remonté. Mais, en fin d’année dernière, toujours en France, seulement 56 % des salariés âgés de 55 à 64 ans étaient encore en poste contre 61 % dans la zone euro (71,8 % en Allemagne), selon l’OCDE. « La France est l’un des pays où le taux d’emploi des 60-64 ans [ 35,5 %, NDLR ] les plus bas », a souligné la Première ministre Elisabeth Borne, mardi 10 février lors de la présentation de la réforme des retraites à la presse, critiquant ces plans « qui consistent à faire partir les salariés à quelques années de leur retraite ». « Un point révoltant, un gâchis d’expérience, un gâchis collectif », a renchéri le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire.

Vision court-termiste

La grande majorité des entreprises ont une vision court-termiste du sujet. « Les considérant moins productifs, chers, moins adaptables, elles n’investissent pas ou peu dans les plus de 50 ans, se lancent dans des pratiques discriminatoires quelques années avant les départs à la retraite et créent ce qu’elles redoutent : de l’aquoibonisme chez une bonne partie d’entre eux et de la perte de talents », analyse Magaly Siméon, fondatrice quinquagénaire de la start-up Lily facilite la vie .

« La différence de traitement est nette entre les seniors qui ont grimpé haut dans la hiérarchie et les autres – y compris les managers – dont l’expérience n’est valorisée que jusqu’à un certain point », observe la dirigeante en pointant l’invisibilité progressive des seconds : « C’est encore plus vrai si le travail fatigue les corps. Quant aux femmes, c’est pour elles la double peine ! »

Point notable : trop souvent, les managers de 45-50 ans ont été promus en raison de leur expertise puis, débordés par leur quotidien, n’ont guère eu de temps pour se maintenir à niveau, notamment en matière d’aptitudes comportementales ou « soft skills ». Ils se retrouvent ainsi dans une situation sans issue puisqu’« une certaine logique de l’honneur empêche, en France, de revenir à un poste d’expertise ou de transfert d’expérience », confiait aux « Echos », Hippolyte d’Albis , professeur à l’Ecole d’économie de Paris, en fin d’année dernière.

Quelques initiatives d’entreprises

Pour remonter les taux d’emploi des seniors et doper les finances publiques, améliorer les conditions de travail de tous grâce à la formation, la mobilité interne, l’octroi de nouvelles missions et la réduction de la pénibilité s’impose. Le temps presse : en 2035, 50 % de la population en Europe aura plus de 45 ans.

Ainsi, pour valoriser la place des plus de 50 ans au travail en investissant davantage dans leur formation et leur employabilité, il y a un peu moins d’un an, à l’initiative du groupe L’Oréal et du club de réflexion Landoy, a été lancé Génération 50. Un premier acte d’engagement interentreprises signé par 32 organisations au ministère de l’Économie.

D’autres initiatives favorisant le maintien en emploi ou l’embauche de seniors ont vu le jour chez SAP France, Damart, etc. et une « mission sur le maintien en emploi des seniors », confiée à Sophie Bellon, PDG de Sodexo, a notamment préconisé des bilans de compétences à partir de vingt ans d’expérience, un accès facilité aux statuts de tuteur ou de maître d’apprentissage avec formation préalable ou encore le déplafonnement du compte personnel de formation au-delà de 45 ans par accord d’entreprise.

Une nouvelle génération de 53-64 ans

Des initiatives d’autant plus bienvenues que, selon une étude de ChooseMyCompany , la motivation au travail des 53-64 ans est en hausse, malgré nombre de clichés à leur encontre. Une nouvelle génération de seniors – très qualifiés, motivés, férus de mentorat et d’intergénérationnels et, pour certains, technophiles – change la donne. Dans son ouvrage, « Les Seniors et l’Emploi » (Presses de Sciences Po), Hippolyte d’Albis, souligne leur longévité et leur santé considérablement améliorées, leur ​qualification profondément modifiée et le grand nombre de femmes figurant dans leurs rangs (depuis 2000, à l’origine de 60 % de la hausse du taux d’emploi des seniors).

La création d’un index senior par branche professionnelle va-t-elle suffire à relever le taux d’emploi des plus de 50 ans ? La seule chose certaine est que seule une combinaison de dispositifs étatiques et de volontarisme, côté entreprises, peut améliorer le sort des seniors au travail.

« Le souci premier est d’amener ceux qui sont en fin de carrière vers une retraite à taux plein », insiste Benoît Serre. Pour ce faire, la réforme annoncée prévoit de faciliter l’accès à la retraite progressive. Un dispositif ainsi que d’autres (temps partiels, etc.) qui, jusqu’ici, coûtent très cher et sont surtout accessibles aux grands groupes. Autres mesures : le gouvernement entend aussi faciliter le cumul emploi-retraite avec une possibilité de revaloriser les pensions, réformer le compte épargne temps et mutualiser le coût des maladies professionnelles à effet différé pour éviter de pénaliser les employeurs qui embauchent des seniors.

Par Muriel Jasor

 

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