Le débat politique peut parfois s’inviter au bureau. Nous avons posé quelques questions à un spécialiste pour savoir s’il était légal de tout dire sur son lieu de travail. Et si non, quels sont les risques.
A quatre mois de l’élection présidentielle, il est possible que les langues se délient au bureau. Certains pourraient profiter des pauses-café pour afficher leurs convictions politiques, voire convaincre leurs collègues. Face à ce prosélytisme, les uns hausseraient le ton, les autres les épaules. Mais, est-il seulement légal d’aborder ces sujets sensibles et personnels sur le lieu de travail ?
Comme partout, au bureau, la liberté d’expression est un droit. Il est garanti par la Constitution française et par la Convention européenne des Droits de l’Homme. Le Code du travail réaffirme ce principe : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »
On peut tout dire, sauf…
Pourtant, il existe des limites à cette liberté d’expression. Le salarié en jouit sous réserve de respecter ses obligations de loyauté et de discrétion. Dit autrement il peut donc tout dire, sauf ce qui entraverait le bon fonctionnement de l’entreprise.
« Si un salarié est expansif sur ces convictions, et que cela gêne l’activité de l’entreprise et de ses collègues, autrement dit qu’il est lourd et qu’il mine les conditions de travail, alors oui, l’employeur peut demander à ne pas parler de certains sujets », décrypte Philippe Wagner, fondateur et CEO de Captain Contrat une plateforme de services juridiques aux entreprises.
Comment ? Par l’insertion d’une clause de neutralité dans le règlement intérieur de la structure (règlement qui est obligatoire à partir de 50 salariés). Il est également possible d’introduire une telle clause dans le contrat d’un employé en particulier. C’est assez courant notamment dans les métiers où la personne représente l’entreprise – tels que les commerciaux à qui l’on peut interdire de parler politique avec leurs clients.
Si limitation il y a, elle doit être « proportionnée au but recherché ». « C’est souvent le bon sens qui s’applique », nuance l’expert juridique. Cette ligne de crête n’est pas simple à tenir, mais l’objectif est bel et bien là : garantir la bonne marche de l’entreprise.
Et si jamais le bon sens ne suffisait pas ?
De facto, la ligne rouge est bien identifiée sous le label des « abus ». Il s’agit de propos dits « excessifs » (par exemple : de la malveillance à l’égard d’une personne), « injurieux » (insultes) ou « diffamatoires » (remettre en cause l’honneur de l’autre).
« S’agissant de la tractation politique par un salarié cela s’apparenterait à du prosélytisme politique. Cela peut être considéré comme une manifestation excessive des convictions du salarié », poursuit Philippe Wagner. Concrètement, il est interdit de déposer des tracts politiques ou encore d’envoyer un mail à toute son entreprise sur un sujet politique.
Si ces limites venaient à être franchies, l’employeur pourrait recourir à un arsenal de sanction : avertissement, blâme, mise à pied disciplinaire ou encore licenciement pour faute grave.
Aux Prud’hommes, un tas de paramètres entreraient alors en jeu pour évaluer la gravité de la faute ou des propos : quelle est la relation hiérarchique entre le plaignant et l’accusé ? quel a été le canal de diffusion des propos : en interne, en externe ? quel moyen d’expression a été utilisé : l’oral ? l’écrit ? quel est le statut de l’accusé dans l’entreprise de l’accusé ? avait-il un rôle de représentation ? etc.
95 % des affaires se régleraient en amont
Toutefois, selon l’expert, 95 % des affaires se règlent en amont des sanctions disciplinaires. Côté salarié, il ne faut pas hésiter à mettre au courant les différentes instances garantes du bon fonctionnement de l’entreprise : d’abord son manager, puis ses supérieurs, éventuellement le président de la structure mais aussi les RH, et en parallèle ses représentants du personnel élus au CSE.
Côté employeur, généralement la mise en garde est crescendo : notification de l’abus (à l’oral puis à l’écrit), puis si répétition il y a, menace de sanctions, enfin mise à exécution de celle-ci. Pour les deux parties, et de manière systématique, il faut des preuves : document Cerfa rempli sur l’honneur, captures d’écrans, messages archivés, etc.
Conclusion, le salarié est assez libre de parler de ce qu’il veut, notamment de politique, néanmoins dans un périmètre précis. La logique à l’oeuvre derrière est explicite. Tout est O.K. tant que ça n’affecte pas la bonne marche de l’entreprise, et donc le travail des autres.
A ne pas confondre avec le « droit d’expression »
La liberté d’expression se distingue du droit d’expression. Au regard du Code du travail, « les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail ». Ils peuvent donc s’exprimer sur les conditions d’exercice et l’organisation de son travail, même de proposer les améliorations.
Dans ce cadre-là, il est possible pour un délégué syndical et toute personne adhérente ou mandatée par le syndicat de diffuser des tracts aux salariés dans l’enceinte de l’entreprise mais uniquement aux heures d’entrée et de sortie du personnel (ce qui exclut les temps de repas dans la cafétéria de l’entreprise, les temps de pause, etc.). A la différence d’une tractation politique, la tractation syndicale porte essentiellement sur les sujets en lien avec les conditions de travail des employés.
Par Marion Simon-Rainaud – Les Echos Start