En ces temps troublés, il n’est pas inutile de faire un point d’actualité sur la transmission d’entreprises : Quels sont les grands enjeux , comment protéger l’entreprise, quelles sont les nouveautés 2020 autour de la transmission ?
Pierre CENAC, Intervenant Comundi Compétences et Notaire Associé fondateur – C&C Notaires et Professeur affilié à l’Université Paris-Dauphine répond à nos questions.
1- Quels sont les grands enjeux de la transmission de l’entreprise familiale ?
Les 4 grands enjeux techniques (civil, financier, sociétaire et fiscal) sont désormais connus des praticiens, bien que souvent imparfaitement appréhendés. Si les problématiques fiscales et financières (Dutreil/financement du coût de transmission) sont essentialisées, très souvent la protection du dirigeant et de son conjoint (enjeu civil) et l’organisation du pouvoir au sein de l’entreprise (gouvernance) sont mis de côté. L’équipe technique en charge de la transmission se satisfait la plupart du temps d’avoir limité le coût de transmission grâce au Dutreil et au paiement différé et fractionné… C’est, certes, déjà un pas significatif dans la transmission de l’entreprise puisque le « trésor de guerre » qui sous-tend le développement de l’activité est alors préservé. On peut en outre se réjouir quand cette partie est gagnée tant le Dutreil s’est complexifié depuis 20 ans.
La marginalisation ou la méconnaissance des enjeux civils et sociétaires entraîne cependant souvent une impasse sur l’enjeu véritable de la transmission qui est plus profond et plus secret, au fond très personnel au dirigeant et à sa famille : l’organisation de la gouvernance de l’entreprise à court, moyen et long terme. Transmettre une entreprise c’est en effet lui donner les moyens de poursuivre son développement et de sécuriser sa croissance au-delà de la personne du dirigeant actuel. Ceci implique nécessairement un travail de plusieurs mois, voire de plusieurs années, difficile et exigeant pour le dirigeant et ses proches et qui s’accorde mal avec l’objectif souvent fixé de sécuriser rapidement le bénéfice du dispositif Dutreil.
Les complexités du dispositif Dutreil ou comment un avantage fiscal inventé pour préserver l’entreprise familial focalise l’attention au détriment de la passation réelle du pouvoir.
2- Comment protéger efficacement la transmission ?
Vous avez raison de souligner la nécessité de protéger la transmission. On peut même aller au-delà en insistant sur l’importance de protéger tant l’entreprise que son dirigeant. On l’a vu, le processus de transmission s’inscrit nécessairement dans un temps long puisque de nombreux sujets doivent être traités en profondeur. Il est donc impératif de s’assurer que l’activité sera préservée tout au long du processus.
Cela passe par différentes mesures de protection au titre desquelles notamment la conclusion rapide de mandat de protection future et à effet posthume par le dirigeant et la rédaction si nécessaire de dispositions testamentaires.
Au sein de l’entreprise, la préservation du processus de transmission passe par un bilan rapide des compétences au sein de l’équipe dirigeante et un audit des organes de direction (forme, missions, composition, etc.). L’entreprise doit en effet pouvoir compter sur une équipe solide pour accompagner sa transformation.
La communication s’avère enfin déterminante tant au sein de la famille que de l’entreprise : le processus de transmission implique une tectonique des plaques sur plusieurs années qui déstabilise nécessairement les groupes humains. Prévenir des changements à venir, rassurer chacun sur le fait qu’il sera écouté, entendre les inquiétudes, cela fait partie du processus de transmission du pouvoir. Une blitzkrieg menée tambour battant par un dirigeant omniscient entouré de barons en place depuis 30 ans a peu de chances d’aboutir à l’émergence d’un nouveau dirigeant offrant une vision novatrice pour le groupe… Ce sont malheureusement ces familles qui finissent par se déchirer à la disparition du pater familias et/ou qui se révèlent incapables d’offrir un nouveau souffle à l’entreprise.
3- Actualité et jurisprudence 2020 ?
L’actualité 2020 de la transmission d’entreprise s’est ouverte le 23 janvier avec un arrêt du Conseil d’Etat en forme de coup de tonnerre puisque la doctrine administrative relative à la prépondérance a été purement et simplement annulée, ce qui a ouvert des perspectives en matière de transmission.
Après cela, confinement oblige, la vie judiciaire a tourné au ralenti et nous n’avons pas eu de décision de justice modifiant en profondeur nos réflexes de praticiens. D’une manière générale, les décisions qui nous parviennent depuis 2016 transforment souvent en certitudes ce que nous pressentions déjà, preuve que même sans doctrine administrative précise sur des sujets comme l’animation ou la prépondérance, le bon sens et la prudence prédominent.
La grande nouveauté – et l’incertitude – liée à l’état d’urgence sanitaire touchent à la solidité et corrélativement à la valorisation des entreprises. A cet égard, la crise s’annonce comme un accélérateur de tendances : Les groupes solides, mobiles, à l’écoute du marché traverseront la crise et en sortiront renforcés. 2020 voire 2021 doivent dès lors conduire le dirigeant à envisager une transmission anticipée tenant compte d’années en demi-teinte offrant des opportunités en terme de valorisation. A contrario, les entreprises dédiées à des activités déclinantes devraient malheureusement plonger plus vite que ne le laissait entendre le marché avant la Covid-19.