Les travailleurs indépendants sont de plus en plus nombreux. Mais surtout, ils sont de plus en plus demandés par les entreprises qui n’arrivent pas à recruter. Et plusieurs secteurs sont affectés.
Face aux difficultés à recruter, 57 % des entreprises françaises ont recours à des professionnels en freelance pour leur expertise particulière. C’est ce que révèle une enquête menée par la plateforme de mise en relation Izyfreelance du 1er juillet au 10 septembre auprès de plus de 500 DRH, CEO et C-level (postes de direction) en France.
On savait que les start-up y faisaient facilement appel : 61 % d’entre elles ont plus de 30 % de freelances dans leurs effectifs, selon cette étude. Ce qui est plus nouveau, c’est sa généralisation à tous les types d’entreprises : plus de quatre sur dix déclarent avoir augmenté le nombre de leurs freelances cette année.
Cette hausse est principalement due aux pénuries de talents, dans les métiers du numérique (développeur, marketing digital, UX designer, traffic manager, community manager, etc.) mais plus que. D’autres secteurs sont en manque de main d’oeuvre : la santé, l’industrie, la banque, l’immobilier… De fait, on retrouve des freelances bien sûr dans les métiers créatifs (graphiste, motion designer, etc.), mais aussi dans les métiers RH (coachs, formateurs, etc.) ou encore de la vente.
Ne pas attendre de recruter « le bon profil »
Ces professionnels indépendants – estimés à 3,5 millions en France – ont l’avantage d’être flexibles, habitués à changer d’environnement et surtout prêts à l’emploi. « On gagne en efficacité car il n’y a pas le même effort de formation technique que lorsqu’on embauche en CDI , explique Audrey Baillet, directrice chargée du recrutement des freelances chez Cooptalis. Avec un indépendant, on doit seulement se concentrer sur son intégration dans les projets. »
Nombre record des micro-entrepreneurs
En 2020, le nombre total de créations d’entreprises en France a atteint un nouveau record avec 848.200 créations, soit 4 % de plus qu’en 2019, selon les derniers chiffres de l’Insee publiés en début d’année. Cette hausse a été portée par les immatriculations d’entreprises individuelles sous le régime du micro-entrepreneur (+ 9 %).
Autre atout : s’affranchir des frontières. Si vous n’arrivez pas à recruter sur le territoire hexagonal, vous pouvez recruter au Liban, au Vietnam ou encore en Géorgie. Une aubaine pour les recruteurs en mal de candidats.
Cet effet de levier peut exister également en France. C’est par exemple le cas de l’entreprise Welmo, une plateforme spécialisée dans l’immobilier qui collabore avec une cinquantaine de freelances et emploie une vingtaine de personnes dans son siège à Paris. Par le recours aux freelances, répartis aux quatre coins du pays, l’entreprise peut revendiquer un important maillage territorial.
Un marché juteux
Que ce soit pour s’implanter dans tel ou tel endroit ou par pénurie, le recours aux travailleurs indépendants est en plein boom. Et les plateformes de mise en relation l’ont bien compris. Elles s’appellent Izyfreelance, Malt, Crème de la crème, Comet, Cherry Pick, 5euros.com ou Off-Works. Dans le sillage d’Upwork, le leader américain, une dizaine d’acteurs en France se disputent le marché – en se finançant sur commissions.
Le revers de cette flexibilité est évidemment le surcoût pour l’employeur. La directrice de Cooptalis l’estime entre 15 à 50 % de ce que coûte un employé classique. Prudente, elle nuance : « Tout dépend du talent recruté, de sa mission, du secteur d’activité, de l’urgence… Parfois, pour des compétences très recherchées, le tarif peut même doubler ! »
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Gagner plus d’argent c’est la raison pour laquelle Julien Carasco, 39 ans, coach et agent immobilier en freelance pour Welmo, a décidé de quitter son CDI entamé en 2018 il y a six mois. Grâce à son nouveau statut, il touche désormais une commission plus élevée sur les contrats qu’il négocie. « Financièrement, c’est bien plus avantageux pour moi », souligne l’indépendant qui travaille à 100 % pour son ancien employeur.
Comme lui, les employés – même les plus installés – sont de plus en plus attirés par le freelancing. Selon la récente étude d’Izyfreelance, 58 % des sociétés qui font appel à des indépendants disent avoir eu des demandes de leurs salariés en CDI pour devenir freelance.
Des freelances volants mais installés
Pourtant les indépendants s’apparentent de plus en plus à des salariés lambda. Ils prennent une place plus importante dans l’entreprise, étant parfois majoritaires en nombre et collaborant sur le long terme. Chez Cooptalis, la durée moyenne des collaborations est passée de quelques semaines à huit mois aujourd’hui.
D’ici janvier 2022, le gouvernement a promis la mise en oeuvre d’une vingtaine de mesures dédiées aux indépendants pour « protéger », « accompagner » et « simplifier » leurs activités. Parmi elles : la protection du patrimoine personnel afin de ne pas allier faillite personnelle à la faillite professionnelle ou encore l’élargissement de l’accès à l’Assurance-chômage.
« Il y a six ans, un freelance était un collaborateur d’appoint, analyse Alexandre Morel, directeur de l’étude commanditée par Cooptalis, pour qui il travaille en indépendant. Cela existe toujours mais tend à disparaître car le recours aux indépendants aujourd’hui s’installe sur le long terme. » Avant d’ajouter : « Et dans certains secteurs en pénurie, ce sont maintenant les entreprises qui risquent d’être précarisées par le manque de freelances disponibles et compétents. »
Freelance + CDI = < 3
Bâtir une organisation hybride est une voie explorée par certains employeurs. « Sans remplacer le salariat, le schéma peut être le suivant : un salarié pilote (par exemple un manager) à la tête d’une flotte de travailleurs externes », explique Alexandre Morel, qui tout au long de sa carrière a oscillé entre indépendant et CDI.
« Il ne faut pas opposer freelance et CDI », explique Lise Slimane, 32 ans, « freelance entrepreneuse » depuis sept ans et autrice de l’ouvrage « Tout pour être un freelance » (Ed. Caliopéa, 400 pages, 2021). La jeune femme dit ne pas « être allergique » au salariat mais n’y a jamais goûté. Aucune mission ne lui a pour l’instant donné assez envie de s’engager à 100 % pour le compte d’un employeur unique.
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La consultante rappelle toutefois que le statut d’autoentrepreneur est dans certains cas imposé par l’entreprise au détriment du travailleur. « A ce moment-là c’est un non-choix », avertit Lise Slimane.
Du freelancing à deux vitesses
Il existe une économie freelance à deux vitesses : celle des petits boulots mal rémunérés et celle des carrières bâties sur un métier choisi, avec une rémunération correcte. Ce constat a été théorisé par l’Américain Paul Estes qui désigne la première sphère comme la « Gig economy » et la seconde telle que la « Talent economy ». Dans la première sphère les indépendants sont des « pricetakers » (leurs tarifs sont imposés) alors que dans seconde, ils sont des « pricemakers » (ils déterminent eux-mêmes leurs tarifs).
Marion Simon-Rainaud