Découvrez l’interview de Sandrine CORMARY, Présidente, Syndicat du Conseil en Relations Publics (SCRP) & DG, Omnicom Public Relations Group et François GOBILLOT, Directeur France et Benelux, Axicom (agence RP spécialisée dans la tech), qui nous parlent l’impact de l’IA sur les RP.
Quel sera le rôle clé des professionnels des RP à l’ère de l’IA ?
François Gobillot : La récente Agora du SCRP a permis de progresser vers un consensus sur la réponse à cette question : la confiance ! Qu’il s’agisse des médias ou des parties prenantes dans la chaîne de l’information, la confiance s’impose comme la clé quand il s’agit du traitement d’une information fiable, vérifiée et enrichissante.
A l’heure actuelle, une IA est capable de mimer une interface de média et de produire de soi-disant articles parlant à peu près de n’importe quoi : il y a donc un gros travail d’éducation aux médias à faire ; les enquêtes de terrain, les interviews, la documentation, la vérification des sources, les échanges de réunions de rédaction, tout cela participe à la qualité de l’information.
Les professionnels des RP vont continuer leur travail d’orchestration de campagnes, de mise en perspective, de contextualisation et d’intermédiation. Par chance, ils vont gagner en productivité grâce aux IA, et les RP vont aussi devenir plus lisibles pour les directions du marketing et de la communication : en s’appuyant sur de nouveaux processus, elles vont continuer d’occuper une place prépondérante dans le mix de communication des entreprises.
Comment les professionnels des RP peuvent-ils utiliser l’IA de manière responsable et transparente sans trahir la confiance de leurs publics et partenaires ?
François Gobillot et Sandrine Cormary : Les professionnels des RP ont souvent été à l’avant-garde de l’adoption des nouvelles technologies pour améliorer leurs pratiques et l’impact de leurs communications à l’instar d’Ivy Lee, précurseur des RP qui a été l’un des premiers à utiliser les communiqués de presse pour diffuser des informations au début du 20e Siècle, l’essor d’Internet qui a vu les premiers site web et blogs pour gérer la relation avec les médias, les réseaux sociaux rapidement intégrés dans les stratégies de RP ou encore récemment les outils de social listening qui embarquent de l’IA. Leurs utilisations ont toujours été guidées par des chartes, codes déontologiques et bonnes pratiques.
En tant qu’organisation professionnelle, nous nous sommes penchés sur cette question en priorité, l’idée étant en premier lieu d’inviter les communicants à se saisir du meilleur des technologies. Mais il leur fallait aussi des réponses aux questions que peuvent poser leurs clients, leurs collaborateurs, et leurs interlocuteurs, journalistes ou influenceurs. La réflexion a abouti à la signature d’une Déclaration d’Engagements en matière d’utilisation des IAG, structurée autour de 10 principes fondamentaux. La responsabilité et la transparence y figurent au premier rang, suivies de recommandations autour de la supervision, de l’intégrité, etc.
Si l’IAG est un accélérateur indéniable pour libérer du temps pour des tâches plus stratégiques, tout l’enjeu pour les agences sera de se poser les bonnes questions comme il y a 35 ans avec Internet :
- Quels types de clients seront probablement intéressés ?
- Qu’apporte la nouvelle solution et qu’est-ce qu’elle remplacera ?
- Quel est le modèle commercial pour que l’agence investisse (des revenus supplémentaires, une capacité transformée, une prise de position dans un domaine prioritaire…) ?
- Quel est le haut retour sur investissement en termes de temps, d’investissement financiers et d’efforts de gestion du changement ?
- Comment maintenir l’employabilité des collaborateurs, l’évolution des tâches et l’arrivée de nouvelles compétences ?
Certains dirigeants intègrent l’IA sur toute la chaîne de valeur, d’autres l’hybrident à leur proposition de valeur initiale ou la testent en partie.
Quel que soit le modèle retenu, les professionnels des RP devront faire « œuvre critique » : les communicants restent garants de l’information diffusée, qu’elle soit formulée par une réflexion humaine ou par une IAG. Il est donc primordial d’être transparent sur l’utilisation de ces technologies au même titre que l’on mentionne l’usage d’outils d’analyse ou de plateforme de social listening, par exemple. L’intégration des IAG dans les pratiques courantes des RP implique une évolution des responsabilités, où la transparence devient un gage d’éthique et de confiance.
Vers une nouvelle ère deco-création grâce aux IAG ?Les IAG offrent de nouvelles possibilités de collaboration en temps réel entre humains et machines. Imaginez-vous des scénarios où les professionnels des RP cocréeraient avec une IA des campagnes, des slogans ou du storytelling de manière interactive ? Quels seraient les avantages et les défis ?
François Gobillot : Les Intelligences Artificielles Génératives (IAG) s’imposent comme de précieux alliés pour les professionnels de la communication, notamment pour générer des contenus et proposer des formulations percutantes. Leur capacité à traiter d’énormes volumes d’informations et à apprendre en continu laisse entrevoir un futur où ces « compagnons numériques » deviendront encore plus intelligents et interactifs.
Cependant, si les IAG excellent dans l’exécution de tâches précises et la production de contenus à partir de directives claires, elles peinent encore à égaler la créativité humaine. La pensée non linéaire, l’imagination et la capacité à surprendre, éléments clés d’une communication réussie, restent encore à l’heure actuelle l’apanage des professionnels. L’enjeu est donc de combiner la puissance des IAG avec l’ingéniosité humaine pour créer des campagnes de communication toujours plus percutantes.
L’IA, un rempart contre les fake news en RP ?
Sandrine Cormary : L’IA va générer une explosion des contenus qui va modifier en profondeur la manière de consommer de l’information. Le « rapport des risques mondiaux 2024 » de Davos place la désinformation et la multiplication des fakes news avec l’IA parmi les plus grands risques pour l’humanité dans les deux années à venir. La bonne nouvelle pour les professionnels des RP et les médias est que ChatGPT ne sait pas faire la différence entre le vrai et le faux, faire preuve d’une réflexion profonde. C’est le travail des RP : apporter une information utile et crédible avec une analyse approfondie, des éléments sourcés et vérifiés. Sa valeur ajoutée résidera toujours dans ses capacités humaines, augmentées aujourd’hui grâce à la performance d’outils comme l’IA.
Les IAG, un accélérateur de la personnalisation à grande échelle ? L’un des atouts majeurs des IAG est leur capacité à générer du contenu personnalisé et contextualisé en quelques secondes. Pensez-vous que cela permette aux professionnels des RP de déployer des stratégies de communication hyper-ciblées et sur-mesure pour chaque public ou personne influente ?
François Gobillot : Les IAG permettent en effet d’identifier des champs lexicaux spécifiques et de personnaliser leurs réponses en « s’adaptant » au style, à l’historique et au contexte de leurs « interlocuteurs ».
Cette capacité est déjà largement utilisée par les services de relation client, pour qui les échanges sont, dans la plupart des cas, relativement standardisés. Des principes similaires s’appliquent bien sûr pour les relations avec les journalistes ou les influenceurs, pour qui l’IA peut aider à contextualiser avec pertinence des sujets, à anticiper des thématiques voire à adapter son style à celui des lignes éditoriales des publications ciblées. Il est ainsi possible de dimensionner de façon de plus en plus précise la diffusion d’annonces en fonction des publics qui auraient spécifiquement couverts des thématiques similaires ou connexes, voire inverses ! Il est aussi possible d’apporter des suggestions ciblées de formules type ou d’accroches.
De tels scénarios sont en cours de déploiement, mais malgré un potentiel indéniable, ne semblent pas encore généralisés – les propositions techniques (et notamment les jeux de données disponibles sur les bases médias – qui plus est en temps réel) sont encore limitées. Autres limites, les droits d’auteurs, l’éthique, le respect de la vie privée et la créativité. La communication relève de l’art de convaincre, et si des rapprochements sémantiques sont au cœur du processus, il reste un part de magie dans l’émergence des sujets que nous continuons de cultiver !
Retrouvez Sandrine CORMARY et François GOBILLOT sur la conférence Tendances Communication mardi 26 novembre 2024 à Paris (ou en visio) : « L’intégration de l’IA dans le secteur des Relations Publics : quels impacts, opportunités et nouveaux défis ? »