A la manoeuvre, les directeurs des ressources humaines jonglent avec, d’une part, des problématiques d’inflation, de pouvoir d’achat et donc d’évolution des politiques de rémunération et, d’autre part, des difficultés de recrutement et le souci de consolider le collectif de travail. La dernière enquête de l’ANDRH étaie cette situation avec de toutes récentes données.
Les stress tests ne concernent pas que la bancassurance. « Sachant que la seule certitude est l’incertitude, nous étudions, chez Engie, nombre d’hypothèses, des cas de pénurie de matières premières aux impacts climatiques, en passant par l’arrêt brutal de l’activité de fournisseurs d’infrastructure. Autant de scénarios qui rejaillissent également sur la direction des ressources humaines (RH) dans la manière d’accompagner et de développer nos leaders, qui passent d’un environnement certain à des environnements de plus en plus en crise », explique Jean-Sébastien Blanc, directeur général adjoint en charge des ressources humaines du groupe Engie.
« Dans une période que certains qualifient de « permacrise », il nous faut redonner du sens et des perspectives aux salariés-citoyens qui s’interrogent sur les conséquences de la crise, la question climatique et la sobriété énergétique ainsi que les mesures à prendre », insiste Cécile Deman-Enel, DRH Unités en charge des nouvelles façons de travailler chez Allianz France.
Primes
En pleine incertitude économique, 39 % des membres de l’Association nationale des DRH (ANDRH) anticipent une dégradation des relations sociales quand 38 % tablent sur leur stabilité. Bien évidemment, tous ces DRH sont, pour l’heure, occupés par des problématiques d’inflation , de pouvoir d’achat et donc d’évolution des politiques de rémunération .
Nombre d’entreprises – ordinairement férues d’individualisation des politiques salariales – réagissent les unes après les autres : mise en avant d’éléments accessoires au salaire comme les avantages en nature ou la prévoyance, primes de mobilité en réponse à la hausse du prix du carburant, primes Macron, primes de partage de la valeur comme chez Renault , LVMH, Matmut, Nexans ou encore ADP, qui prévoit, en plus, une augmentation générale des salaires de 5 %. « Nous avons opté pour du concret et une inscription dans le temps, donc privilégié l’augmentation de salaire pour tous, selon le niveau de rémunération et sans exclure personnes », indique de son côté Hélène Gemähling, la DRH de Nespresso en France.
Selon une toute récente enquête, menée du 6 au 22 septembre derniers par l’ANDRH, la moitié des membres de l’association jugent ces primes pertinentes dans le cadre d’une démarche intégrée. Et 18 % indiquent avoir avancé leur calendrier de NAO (négociations annuelles obligatoires).
Outils et évolution des métiers
Au-delà de ces préoccupations, ce qui mobilise le plus ces professionnels est la consolidation du collectif et surtout – pour 88 % d’entre eux, toujours selon l’ANDRH – les difficultés de recrutement et la guerre des talents.
« On demande de plus en plus de valeur ajoutée aux services RH, qui se doivent d’anticiper les conséquences de la transition énergétique en termes de besoins en compétences, de talents pour le futur et d’anticiper les métiers qui vont disparaître », explique Jean-Sébastien Blanc. Si, comme ce dernier, Hélène Gemähling ne déplore pas de grande démission au sein de son entreprise, elle reconnaît se battre sur un marché de l’emploi tendu pour recruter ou retenir des managers de boutique ou des spécialistes du marketing digital. Combat d’une nature similaire chez Allianz France pour ce qui concerne les métiers de l’actuariat, de la data et de la souscription. « Il nous faut être très en proximité, car nos collaborateurs – l’expertise digitale de Nespresso étant fort reconnue – sont régulièrement chassés », prévient Hélène Gemähling.
Après avoir travaillé sur la flexibilité et mis en pratique le télétravail , (l’ANDRH indique que 74 % de ses membres constatent une bonne acceptation du travail hybride ), des réflexions se portent à présent sur les outils RH . « Sur ceux qu’il faut repenser en termes aussi bien d’ergonomie que pour une meilleure utilisation des données comme, par exemple, celles relatives à la diversité et l’inclusion », précise Bénédicte Bahier, DRH de Legrand.
Autre axe capital : repenser l’évolution des métiers et du collectif. Ce qui revient à dépasser les seules conditions de travail et à s’intéresser de près aux enjeux non seulement liés au contenu du travail mais aussi à la qualité des emplois et au contrat social. « Les DRH et leurs équipes doivent doper leurs compétences organisationnelles sans quoi cela équivaut à cultiver un jardin… sans terre », préconise Marie-Pierre Fleury, consultante et ex-DRH.
Chercher l’adhésion
Bien entendu, « l’expérience employé » et le bien-être au travail sont clés. « Cela permet de retravailler les trajectoires des carrières mais aussi de tout simplement mieux fonctionner en équipe grâce à l’instauration de rituels clairs et de pratiques nouvelles », décode Cécile Deman-Enel en insistant tout à la fois sur la valeur à apporter à l’entreprise et le sens à partager avec les équipes.
Un sens qui, au sein de nombreuses organisations, passe par la participation à diverses actions sociétales, comme chez Bouygues Immobilier en faveur d’une soixantaine d’associations, en cette semaine européenne du développement durable qui prend fin le 8 octobre. Ou chez Nespresso qui, de Café Joyeux au Refuge en passant par bien d’autres structures, multiplie les engagements. « Nous avons compris que les réponses traditionnelles ne comblent plus les attentes des salariés, qu’il faut désormais montrer des signaux d’écoute et, par touche, répondre à leurs besoins émotionnels . C’est bien sûr plus facile dans une entreprise déjà dotée d’une culture du bien-être », pointe Bénédicte Bahier.
Moments de convivialité , accompagnement managérial, travail sur la qualité de vie et l’environnement de travail… « Une bonne qualité du collectif de travail tant sur place qu’à distance suppose des réunions d’échanges – régulières mais plus courtes et entre 9 et 18 heures -, plus de formations et beaucoup moins d’e-mails… C’est très pragmatique mais difficile à mettre en place. Voici pourquoi il est essentiel de mener ces actions pour le bien-être de tous », explique la DRH de Nespresso France en pointant l’existence d’un engagement écrit du comité de direction « pour l’exemplarité ».
« Moins imposer les choses et plutôt chercher l’adhésion des collaborateurs » semble bel et bien être le mantra de cette rentrée sociale. « En RH, je le répète, si vous n’êtes pas en proximité des équipes et ne questionnez pas, vous passez à coup sûr à côté de tout », martèle Hélène Gemähling. La manière de travailler devient aujourd’hui aussi importante que le travail lui-même.
Formation des salariés : 4 attentes des DRH
1) Une simplification du système (64 %)
2) Une meilleure prise en charge (54 %)
3) Un système de financement pérenne (52 %)
4) Une harmonisation des services des opérateurs de compétences ou Opco (39 %)
Source : ANDRH
Par Muriel Jasor