La situation économique de la France génère certaines inquiétudes : perte de chiffre d’affaires de nombreuses entreprises durant plusieurs mois, reprise difficile de certaines activités malgré la levée du confinement, montée en flèche depuis la rentrée des cas de Covid-19 impliquant des absences au travail et l’instauration de nouvelles mesures gouvernementales dont certaines : restrictives d’une reprise normale d’activité, des entreprises sous perfusion de PGE « artificiellement » maintenues en vie, etc…
Quel constat ? Quelles mesures et solutions possibles ?
Laïd Estelle LAURENT, Intervenante Comundi Compétences et Avocate Directeur Associée du Cabinet FIDAL répond à ces questions, pour vous.
1- Quel est globalement l’état des entreprises en France ?
Les avis sont unanimes sur la question et les statistiques parlent d’elles-mêmes. On enregistre en France, selon les sources du Ministère de l’Economie, 2 350 000 entreprises :
– 2.325.540 entreprises de moins de 50 salariés (dont 1 138 500 n’employant aucun salarié) ;
– 27.200 entreprises de plus de 50 salariés.
Au mois de septembre 2020, 575 000 prêts garantis par l’Etat (« PGE ») ont été accordés aux entreprises pour un montant total d’environ 120 milliards d’euros sur 300 milliards d’euros mis à disposition par l’Etat. Ce ne sont pas les 3% de refus de PGE par les banques qui expliquent que moins de 50% des fonds mis à disposition ont été utilisés mais plus certainement que certaines entreprises n’en ont pas fait la demande. En effet, sur la base du nombre total d’entreprises, seulement 25 % des entreprises ont bénéficié d’un PGE, et parmi elles, beaucoup d’entreprises en difficulté du fait de la crise sanitaire ou qui l’étaient déjà avant …
Il est indéniable que les mesures gouvernementales mises en place durant le confinement pour soutenir l’économie (chômage partiel, suspension/exonération des cotisations sociales, déblocage accéléré de crédits d’impôt, fonds de soutien, report ou suspension de délais d’exigibilité de certaines dettes, PGE, etc.) ont produit leur effet et sont une réussite à date.
En effet, les statistiques enregistrent un recul de plus de 20% par rapport à 2019 des défaillances d’entreprises à la même période alors que toute la place prévoyait une immense vague de défaillances des entreprises à la rentrée. Les praticiens parlent de « calme plat », il ne faut toutefois pas comprendre à travers cette expression qu’il n’y a aucune faillite enregistrée aujourd’hui.
Le gouvernement a fait le choix, compréhensible, de favoriser l’endettement à la faillite. En effet, en utilisant l’endettement, sous réserve d’une reprise d’activité et de délais adaptés, l’entreprise peut rembourser ses dettes et survivre avec le maintien de tout ou partie des emplois qu’elle génère, alors qu’en cas de faillite, tout disparaît (activité, emplois, dettes, avec pour ces dernières un effet ricochet et de défaillances en chaîne des créanciers impayés, etc.).
Face à ce « calme plat », il convient d’avoir à l’esprit que les PGE accordés ont servi à pallier la perte de chiffre d’affaires des entreprises, non pas à créer de la valeur, objet même d’un emprunt. Sans être économiste, une entreprise s’endette en principe pour investir, puis transformer sa dette en capitaux propres, ce qui lui permet, sous réserve d’un bon investissement, de rembourser sa dette.
En conséquence et mécaniquement, sauf miracle grâce à un boom de la consommation et une surperformance des entreprises françaises (une perte de chiffre d’affaires étant irrattrapable), le remboursement de la dette d’emprunt (crédits normaux et PGE) sera très long, très difficile, voire peut-être impossible. Le gouvernement a d’ailleurs permis d’amortir les PGE sur plusieurs années (5 ans maximum).
Nous pouvons en tout état de cause anticiper des restructurations d’entreprises massives à partir de 2021 impliquant inévitablement, à mon sens, une mutation des modèles économiques, un redimensionnement des entreprises et une renégociation des plans de remboursement des PGE dont les premières échéances de remboursement devraient tomber mi-2021 pour la majorité.
Des liquidations sèches sont malheureusement également à prévoir pour les entreprises qui étaient déjà vouées à disparaître avant la crise sanitaire et qui ont pu bénéficier malgré tout d’un PGE … (espérons-le peu nombreuses).
Heureusement, tous les secteurs ne seront pas touchés de la même manière au même moment, et certains secteurs au contraire n’ont absolument pas souffert de la crise.
Le temps calme des défaillances d’entreprises, gagné par la mise en place des mesures gouvernementales, devrait être mis à profit pour anticiper la suite et éviter le pire, à tout le moins pour atténuer les effets économiques et sociaux de la crise que nous traversons.
L’objectif devrait être aujourd’hui pour les chefs d’entreprises de trouver des solutions adaptées à leur modèle en utilisant les outils de restructuration possibles. Cette anticipation devrait permettre de pouvoir lisser dans le temps les potentielles défaillances, car si en effet la fameuse « déferlante » n’a été que reportée et que rien n’est fait durant cette période de « calme », l’objectif du gouvernement ne sera finalement pas atteint.
L’autre constat concerne l’emploi. En six mois d’une crise intense, les réductions d’effectifs sont devenues la norme dans certains secteurs, en particulier l’automobile, l’aéronautique, l’habillement ou le tourisme. Dans d’autres secteurs, la mesure de chômage partiel ou l’octroi d’un PGE a permis de repousser à plus tard ces décisions difficiles, qui, pourtant, reviennent désormais au cœur des discussions stratégiques. Face au réflexe des « coupes budgétaires », il est essentiel de réfléchir de façon pertinente à l’analyse de la situation précise de l’entreprise afin de faire naître d’autres solutions pour éviter d’entrer dans un cycle de repli souvent préjudiciable à court terme mais plus gravement encore à plus long terme.
2- Préconisations et solutions possibles ?
Des solutions procédurales, parfois méconnues des dirigeants d’entreprises (mandat ad hoc, conciliation, sauvegarde, redressement judiciaire… cession judiciaire si le redressement est impossible) existent et permettent d’accompagner l’entreprise dans sa restructuration, ses négociations avec ses créanciers, sa mutation ou sa passation.
La prévention étant le premier réflexe à avoir afin justement d’analyser la situation dans un cadre totalement confidentiel et de négociations purement amiables, et de préparer une éventuelle restructuration plus profonde si celle-ci s’avère nécessaire.
De nouvelles mesures ont également été mises en place :
- La prolongation jusqu’au 31 décembre 2021 de l’application de certaines mesures prévues par l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 « portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid-19». Ces mesures portent à la fois sur la simplification, l’assouplissement et l’accélération des procédures et plans applicables aux entrepreneurs, entreprises ou exploitations agricoles en difficulté ;
- Le plan de relance ;
- Les nouveaux dispositifs envisageables en droit social : aménagement du chômage partiel post confinement/l’activité partielle de longue durée, la rupture conventionnelle collective, etc.
Il est aussi possible d’envisager que les 170 milliards de fonds disponibles sous forme de PGE non utilisés par les entreprises, soient affectés au financement d’investissements que les entreprises refusent de faire aujourd’hui, à juste titre, car dans l’attente d’avoir plus de visibilité sur l’avenir. Ceci afin de relancer la croissance et maintenir la qualité et le niveau de performance des entreprises françaises de manière à rester compétitives après la crise sanitaire.
Stratégiquement, des virages sont à prendre en considération par les dirigeants d’entreprises : externalisation, internalisation, diversification, mais aussi cession à des tiers ou à soi-même.
Sur cette dernière solution stratégique, le sujet défraie la chronique : faire faillite et racheter son entreprise nettoyée de ses dettes.
L’ordonnance n°2020-596 du 20 mai 2020 « portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid-19» est venue faciliter la reprise d’une entreprise en procédure collective par son propre dirigeant.
Alors que l’article L. 642-3 du Code de commerce (en vigueur) énonce que seul le ministère public peut demander au tribunal d’autoriser la cession de l’entreprise au débiteur, à ses dirigeants de droit ou de fait (il faut comprendre à l’actionnaire majoritaire), à leurs parents ou alliés jusqu’au deuxième degré, ainsi qu’aux contrôleurs, directement ou par personne interposée, l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020 dispose que le débiteur lui-même ou l’administrateur judiciaire peuvent désormais saisir le tribunal d’une requête à cette fin.
Cette mesure, qui suscite des réactions controversées, traduit la volonté, louable, du gouvernement d’aider les entreprises en difficulté à réussir leur retournement. De fait, en cette période de crise, les entreprises ont plus que jamais besoin d’outils juridiques favorisant la sauvegarde de leurs activités et de leurs emplois.
Or, quand seul le dirigeant ou l’actionnaire historique est à même de poursuivre l’activité et donc de sauver les emplois de l’entreprise en procédure collective, il serait regrettable de fermer systématiquement cette porte par dogmatisme. Encore faut-il que ce dispositif d’exception soit assorti de garde-fous efficaces permettant de détecter et d’empêcher les opérations douteuses.
Le dispositif prévu par l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020 a été utilisé dans plusieurs procédures récentes, sans qu’il soit aisé de dire s’il répond en pratique aux attentes du gouvernement, autrement dit s’il a permis de sauver les entreprises concernées lorsque seul le dirigeant ou l’actionnaire était en position de le faire, ou si ces derniers ont simplement profité de la crise sanitaire pour relancer une entreprise structurellement affaiblie, une fois délestée de ses dettes et d’une partie de ses salariés.
Dossiers : Orchestra, Presstalis, Alinéa, Camaïeu, BVA, Phildar, Inteva, etc.
Seul l’avenir dira si les garde-fous prévus par l’ordonnance du 20 mai 2020 sont efficaces pour écarter les dirigeants excessivement opportunistes.
Reste qu’à mon sens, il est essentiel de donner au dirigeant ou à l’actionnaire, comme à tout autre candidat, les moyens procéduraux de présenter au tribunal son projet de reprise dans de bonnes conditions.
Particulièrement en ces temps de crise, il serait désastreux d’écarter par dogmatisme des solutions de reprise viables.
A cet égard, il est regrettable que le dispositif de l’article de l’ordonnance du 20 mai 2020 soit l’un des seuls que le gouvernement a choisi (pour l’instant ?) de ne pas reconduire au-delà du 31 décembre 2020.