La crise économique accélère l’ouverture des services de santé au travail aux dirigeants non salariés. Anticipant la réforme de la santé au travail, plusieurs initiatives voient le jour.
Bercy a annoncé, il y a quelques temps, la prolongation de la cellule d’écoute et de soutien psychologique pour les chefs d’entreprise, mise en place en avril dernier. Cette opération est ponctuelle, mais un mouvement plus profond s’opère discrètement : le rapprochement entre les services de santé au travail et les patrons.
Ces organismes qui surveillent la santé des salariés n’ont pas, dans leurs attributions, le suivi de leurs employeurs, un comble que la crise économique, qui fragilise la santé des patrons de PME, est en train de pointer.
Certains services pionniers les reçoivent désormais en visite médicale, sans attendre la réforme en discussion de ce secteur. A Rouen, par exemple, l’AMSN, un centre de santé au travail qui intervient auprès de 83.000 salariés, a décidé d’ouvrir ses services aux employeurs « à partir de 2021 », annonce Corinne Emo, la directrice générale.
« Le climat actuel des affaires est terriblement anxiogène pour les dirigeants de petites entreprises , relève Pierre-François Canet, président de l’Aipals, une entité qui suit 40.000 salariés et 3.600 entreprises dans l’Hérault. « Ils ne savent pas où ils vont : un troisième reconfinement ? Fermer ou pas l’entreprise s’il y a un cas de Covid ? Comment gérer l’instabilité réglementaire, lorsqu’on est restaurateur ou petit commerçant ? » Dans la période actuelle, « un dirigeant doit rassurer ses équipes, alors qu’il est lui-même en pleine incertitude », résume Christophe Laguerre, dirigeant d’une PME industrielle de 50 salariés à Rouen, dont l’activité est liée au risque chimique.
Les travailleurs salariés doivent devenir acteurs de la prévention
Fer de lance du mouvement, le Pôle Santé Travail 66, dans les Pyrénées-Orientales, déploie une application numérique, Apptiv, qui inclut les dirigeants dans son protocole. « On ne peut plus exclure les travailleurs non-salariés du parcours de santé au travail, analyse Pierre-François Canet. A ce jour, ils subissent les services de santé au travail ; nous souhaitons qu’ils deviennent acteurs de la prévention, en portant un véritable plan de prévention pluriannuel. »
Autre entité en pointe sur le sujet, le Service interentreprises de santé au travail du bâtiment et interprofessionnel (SISTBI) qui suit, à La Réunion, 36.000 salariés. Son directeur, Claude Millasseau, regrette que « ces plans de prévention soient l’apanage des grandes entreprises. Le patron non salarié est le seul qui n’a pas de visite médicale, et ne bénéficie pas de prévention primaire. Il paie un service auquel il n’a pas accès, et dont il ne sait pas à quoi il sert. »
En février prochain, le SISTBI lancera, à La Réunion, une campagne de promotion du déploiement de l’application Apptiv. «Les patrons nous disent de plus en plus vouloir un suivi médical. Pour eux-mêmes, mais aussi pour faire des enjeux de prévention un outil de management et de cohésion interne », explique Claude Millasseau.
Projet de centre dédié à Montpellier
L’ Aipals projette à terme la création d’un centre dédié à la prévention pour les travailleurs non salariés. Les dirigeants sont, en effet, exposés à des risques spécifiques. L’organisme a envoyé mi-octobre un questionnaire fourni (120 questions) portant sur l’état de santé des dirigeants des sociétés adhérentes. Le but est de les « faire entrer dans le process, en connaissant mieux leurs attentes, tout en restant dans la prévention : préconisations, accompagnement, aménagements de postes… », explique Pierre-François Canet.
Christophe Laguerre a testé Apptiv en début d’année, avec ses salariés. Son retour est positif : « Apptiv peut être consulté au quotidien, donne des conseils, apporte une visibilité globale sur les actions de prévention. Cet outil rebat les cartes vis-à-vis de la médecine du travail traditionnelle, et permet de sortir de la relation vieillissante salarié/médecin, avance-t-il. Il y a de quoi faire. Aujourd’hui, mon banquier se soucie bien plus de ma santé que le médecin travaillant avec mes salariés ! »
HUBERT VIALATTE