Mode d’emploi – Transition écologique, protection de la biodiversité, égalité femmes-hommes, diversité, les défis de la société sont majeurs. Les entreprises, dont certaines ont fait la preuve de leur utilité sociale pendant la pandémie, peuvent, doivent même, contribuer aux grands changements qui s’annoncent.
Les résultats d’un sondage Ifop, réalisé pour le Cercle de Giverny, ont montré que les attentes à l’égard de la dimension sociétale des entreprises étaient encore plus fortes après qu’avant la crise sanitaire.
Ici et là, les organisations ont déployé diverses initiatives en faveur du bien commun. « Ce capital d’utilité sociétale des entreprises doit maintenant être préservé », invite Hélène Valade, la présidente de l’Orse, l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises.
« Cette crise nous rappelle l’importance et l’urgence de réinventer la transformation de nos organisations », analysait récemment l’institut Society & Organizations d’HEC Paris.
Plusieurs leviers sont à disposition des entreprises ; la difficulté est de les actionner en même temps.
1. Travailler encore et encore sur la raison d’être
« La démarche pour formuler sa raison d’être est un des principes sur lesquels il faut insister après cette crise, sans tomber dans un processus purement communicationnel », défend Hélène Valade en encourageant une formulation qui exprime « une logique de contribution ».
Faire sérieusement l’exercice donne des idées de développements différents, de partenariats par exemple pour entrer dans des logiques d’économie circulaire, explique celle qui est aussi la directrice Développement Environnement de LVMH (propriétaire des « Echos »). La raison d’être d’une entreprise signifie que celle-ci est en écosystème, en interactions et dialogue avec les acteurs d’un territoire, notamment.
2. Reconsidérer les risques
La crise sanitaire plaide pour un regain de l’analyse des risques et de l’analyse par scénario pour agir pour la société. « Il y a deux ans, le World Economic Forum avait mis en tête des risques internationaux le risque pandémique, rappelle Hélène Valade.
Je pense aujourd’hui aux conséquences du réchauffement climatique et à l’approche par scénario que pourraient mettre en oeuvre les entreprises dans leurs politiques de prévention. » Car l’urgence est d’abord bel et bien environnementale pour Fabrice Bonnifet , le président du C3D, le Collège des directeurs du développement durable.
3. Intégrer des « gestes barrières climat » à la stratégie
- Etablir une stratégie climat compatible avec l’Accord de Paris,
- Faire preuve de sobriété énergétique et recourir à des énergies décarbonées pour les principaux usages de l’énergie,
- Réorienter les modèles d’affaires pour tendre vers le net zéro impact et accompagner les acteurs de sa chaîne de valeur vers le zéro carbone…
« Quel conseil d’administration d’entreprise un tant soit peu lucide à propos du défi climatique peut s’opposer à ces gestes barrières climat ? », interpelle Fabrice Bonnifet.
« La crise du Covid-19 a permis de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 7 % à l’échelle mondiale, explique ce dernier. C’est ce que nous devrions réaliser chaque année, d’ici à 2030, pour atteindre les objectifs du GIEC (+ 1,5°), et ces 3.600 jours vont passer à une vitesse extraordinaire », prévient ce militant d’une prospérité sans croissance des flux physiques carbonés, qui appelle de ses voeux des décisions à l’échelle européenne et une consultation des entreprises.
4. Assurer une politique de parité et de diversité
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L’organisation ne peut pas être citoyenne sans ses propres salariés. Une politique efficace de parité est indispensable, mais pas suffisante. Elle doit être l’un des piliers d’un programme de diversité bien plus vaste. Le groupe Spie, par exemple, l’a ainsi complété d’un comité handicap pour sensibiliser l’ensemble des salariés à ces situations.
AXA, Vivendi, BNP Paribas, L’Oréal et Publicis ont quant à eux décidé de rejoindre, en 2019, le réseau Têtu Connect afin d’agir sur la transidentité en milieu professionnel.
En pleine guerre des talents, inutile de se priver de 7 à 10 % des actifs. IBM fait vivre son programme d’identité de genre grâce à d’« out executives », des cadres de haut niveau qui ont levé le voile sur leur vie privée. Ils sont coachs de salariés LGBT + hésitant sur la démarche, ou mentors de managers en demande d’acculturation.
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Au-delà de l’entreprise, le point de départ reste les managers, leur engagement humain et leur sensibilité personnelle. Le Medef a conçu avec de grandes banques un programme pour promouvoir l’intégration des réfugiés.
- Convaincues par la cause ou contraintes de diversifier leurs effectifs, de plus en plus de sociétés se tournent vers ces profils atypiques.
« Je cherchais un juriste arabophone maîtrisant les sujets opérationnels d’un opérateur de télécommunications. Le poste était ouvert depuis plusieurs semaines et je n’arrivais pas à trouver un tel profil », témoigne Alban Lo Gatto, general counsel et secrétaire général de la filiale Moyen-Orient Afrique d’Orange. A la lecture du CV d’Hani Almashnouk et après un entretien, il décide de le recruter directement en CDI comme responsable juridique de la zone Maroc, Tunisie, Egypte, Jordanie.
5. Réaliser au quotidien des actions d’intérêt général
Selon l’Ifop, 67 % des salariés engagés dans du mécénat de compétences ressentent un plus fort sentiment d’appartenance à leur entreprise.
30 % des salariés d’Accenture, soit plus de 7.000 personnes, se sont engagés dans une telle démarche. « C’est le sens qui gouverne tout », rappelle Olivier Girard, président d’Accenture France et Benelux.
Chez Microsoft, l’impulsion vient du comité exécutif. Le directeur juridique monde, Brad Smith, a lancé il y a maintenant plusieurs années un programme pour accompagner juridiquement les mineurs réfugiés non accompagnés arrivant aux frontières américaines et britanniques. La filiale française, quant à elle, a mis en place un mécénat de compétences, « Share IA », afin d’aider les immigrés.
6. Utiliser des moyens de financement vertueux
Au-delà des « obligations vertes » qui permettent aux entreprises de financer des projets vertueux, les prêts à impact peuvent offrir un puissant levier pour mêler performances financière et extrafinancière.
La logique ?
Souscrire un crédit à taux variable qui pourra évoluer au gré d’audits fondés sur des dizaines d’indicateurs – de la composition du conseil d’administration à l’écoconception des produits, en passant par le partage des bénéfices.
Déjà engagée dans une démarche de transformation positive – elle compte devenir une entreprise à mission en 2021 -, Cetih a fait ce choix et souscrit un prêt à impact de 3 millions d’euros auprès d’Arkéa Banque Entreprises et Institutionnels. Au terme de sa première évaluation, cette ETI spécialisée dans la menuiserie industrielle a déjà gagné 10 points de base sur le taux de son crédit. « Surtout, le rapport nous a permis d’identifier des axes d’amélioration pour aller plus loin », se réjouit son dirigeant, François Guérin.
7. Accueillir un investisseur à impact au capital
Pour aller encore plus loin et lier leur destin à celui d’un acteur engagé, les entreprises peuvent accueillir un investisseur à impact à leur capital.
« Au contraire de la dette, dont les approches sont plus passives, l’equity constitue la forme la plus aboutie pour engager un mouvement sociétal au sein d’une entreprise », assure, en toute logique, Laurence Méhaignerie.
Et la présidente de Citizen Capital de citer l’exemple de Camif – l’une des premières entreprises à mission françaises – où le fonds a investi en 2013.
« Grâce à notre business plan d’impact préalable, nous avons vérifié que les projets économique et sociétal étaient bien corrélés, avec des objectifs clairs dont la finalité n’est pas seulement de vendre des meubles, mais de proposer des meubles locaux, durables et traçables, explique-t-elle.
Par notre présence au sein de la gouvernance, nous pouvons les challenger sur l’accomplissement de cette mission dans la durée. »
VINCENT BOUQUET, VALERIE LANDRIEU ET DELPHINE IWEINS