IDEES ET OPPORTUNITES – Donner du sens à son travail, à son entreprise… Peu importe le secteur, de plus en plus d’entrepreneurs cherchent à répondre à un besoin social ou environnemental. Des activités souvent ancrées dans les territoires.
A peine le temps de répondre au téléphone, Cyril Noury doit reprendre la route vers un énième parking de supermarché. Depuis 2021, cet ex-électronicien sillonne les routes de campagne pour amener son atelier mobile de maintenance informatique au plus de ceux et celles qui en ont besoin. « Tous les week-ends, j’allais voir mon grand-père pour régler ses problèmes avec sa télévision, son téléphone, etc. Ça m’a donné l’idée de créer Informa’truck », se remémore le trentenaire.
Cette utilité sociale tirée de son expérience personnelle donne du sens à son entreprise. Et du succès. Ciryl Noury vient de recevoir le Grand Prix 2023 et le Prix du Vivre Ensemble du concours Innovez à la campagne, du réseau Initiative France.
Avec 2,6 millions d’emplois en France – 1 emploi sur 7 dans le secteur privé – dont 67 % occupés par des femmes, l’économie sociale et solidaire (ESS) incarne une dynamique, à l’oeuvre notamment dans les territoires ruraux isolés ou les quartiers populaires. « Il y a des besoins sociaux partout. L’important est de se pencher sur un projet qui nous touche, auquel on tient », observe Cécile Leclair, directrice générale de l’Avise, agence nationale d’ingénierie pour développer l’économie sociale et solidaire (ESS).
Parmi les tendances de fond dans les démarches de solidarité, la ruralité fournit un terreau propice à l’innovation. « Les enjeux dans la ruralité sont énormes, clame Jérôme Saddier, président d’ESS France et de l’Avise. Il faut soutenir l’entrepreneuriat dans ces territoires. » A l’instar de la foncière solidaire Villages vivants, labellisée Entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS) qui achète, rénove et loue des locaux pour installer de nouvelles entreprises. De cette manière, les habitants retrouvent des services de proximité et du lien social.
L’insertion par l’emploi devient un enjeu économique
Avec Informa’truck, Cyril Noury a souhaité pousser la démarche solidaire au-delà de l’accès à des services informatiques en zone rurale. Il veut aussi combattre l’exclusion numérique avec des personnes en situation de handicap, elles-mêmes touchées par l’exclusion. « Le métier peine à recruter, d’autant que le travail est plus rare en zone rurale », souligne l’entrepreneur originaire de l’Oise.
Informa’truck a déjà embauché huit techniciens dans les zones couvertes par ses tournées, afin d’assurer la rotation de ses ateliers. « Nous les formons comme réparateurs pour intervenir sur leurs territoires. Chaque véhicule est aménagé sur mesure pour correspondre aux besoins relatifs à leur handicap. » L’entreprise est la seule TPE à avoir obtenu le Trophée de l’entreprise inclusive en 2022.
L’insertion par l’emploi devient prioritaire dans un contexte économique tendu où la question sociale – pouvoir d’achat, inégalités, retraites, pauvreté – était perçue comme la plus urgente par 48 % des Français fin 2022, en lien avec l’urgence écologique.*
« En raison des fortes tensions sur certains métiers, nous avons besoin d’innovation sociale pour employer rapidement des personnes éloignées du travail », analyse Denis Dementhon, directeur général de France Active. Formation, adaptation des outils de travail ou de recrutement… autant de « portes d’entrée » à investiguer.
Boost est une entreprise d’insertion dans la logistique basée à Sète. Elle recrute en se libérant des poncifs des lettres de motivation et CV. « Nous préférons mettre les candidats en situation de production, pour observer leur capacité à apprendre un système, leur minutie, et voir s’ils sont à l’aise avec les tâches répétitives », décrit Anthony Lecossois, fondateur de la société. En tant qu’entreprise d’insertion, Boost consacre un investissement important pour entretenir la solidarité dans son modèle économique.
Avancer petit à petit vers la démarche de solidarité
Le vivre ensemble consiste parfois à susciter de l’engagement auprès de ses employés. Hara Consulting s’est donné cette mission depuis deux ans. « Pour nous, c’était important de participer à des actions solidaires pendant le temps de travail », assure Geoffrey Jaegle, président de cette société à mission dans le conseil en ingénierie informatique.
Ainsi, la soixantaine de salariés consacre cinq jours par an à l’une des associations partenaires de leur entreprise. Une forme parmi d’autres de l’intégration du lien social dans un projet entrepreneurial. « Soit le business n’est pas totalement transformé, et alors c’est de la RSE. Soit la finalité sociale est au coeur du projet mais avec une recherche de lucrativité, c’est la société à mission. Soit c’est une entreprise de l’ESS », expose Cécile Leclair de l’Avise.
De nombreux débats idéologiques entourent cette catégorie d’entreprises, en particulier la définition de ses critères. « L’un des points de vue défendus, c’est qu’il est impossible d’assurer une finalité sociale si la rentabilité n’est pas limitée et si la gouvernance n’est pas partagée. » Des outils existent pour mesurer aussi leur impact social, dans un contexte de plus en plus concurrentiel.
Autant de manières d’avancer petit à petit vers la démarche de solidarité. « Il faut se faire accompagner, car se lancer dans l’entrepreneuriat social, c’est aussi redéfinir la raison d’être de sa société », avertit Cécile Leclair.
Plusieurs incubateurs et accélérateurs de l’ESS conseillent et soutiennent les porteurs de projets sociaux, à l’image de Makesense et de La Ruche. Plus de 160.000 entreprises se sont déjà engagées dans une démarche d’utilité sociale, selon les derniers chiffres de l’ESS France.
* Source : « Baromètre des solutions solidaires », IFOP pour Solutions solidaires, janvier 2023.
PAR JULIETTE SOULIGNAC