3 questions à Magali Combal, Formatrice et Coach experte en Développement Personnel
On entend beaucoup parler de « charge mentale ». Elle existe aussi dans le contexte professionnel, comment se caractérise-t-elle ?
Dès que nous prévoyons de réaliser une tâche et jusqu’à son accomplissement – parfois après – notre mental réalise toute une série d’opérations : il nous offre des images et des messages, il analyse, structure les pensées, mémorise, propose de nouvelles idées et scénarios et les compare. Il se focalise sur certains points, évalue… et peut répéter maintes fois tout ce processus, qui s’accompagne d’émotions.
Cette remarquable capacité peut devenir épuisante lorsqu’elle est sur-sollicitée par des demandes extérieures ou si elle s’emballe d’elle-même, victime de nos propres exigences. Alors, notre mécanique cognitive entre en surchauffe, et nous passons de l’effort juste à une forme de souffrance, c’est la charge mentale, expression judicieuse et puissante, qui nous parle instantanément.
Il est difficile de faire une description scientifique de la charge mentale, puisque qu’elle comprend une part d’expérience subjective. Mais on peut dire qu’elle s’enracine dans trois dimensions :
1. La tâche elle-même : avec son degré de complexité, sa décomposition en sous-tâches articulées les unes aux autres, les incertitudes et les décisions qu’elle peut engendrer, le volume d’informations à traiter, le degré de précision exigé à chaque étape.
Par exemple, des tests de performance pour évaluer la fiabilité d’un système exigent de l’ingénieur une connaissance de tous les paramètres à tester et leurs valeurs significatives, la séquence des étapes de test, etc. Il aura besoin d’être capable de visualiser son process et sa dynamique, en maîtrisant bien le connu pour repérer les anomalies et leur donner une signification. Avant et pendant les tests, son cerveau va monter en puissance et il est fort probable que des émotions apparaissent, heureuses ou malheureuses. Au-delà d’un certain degré d’excitation ou de préoccupation anxieuse, on appellera cela de la charge mentale.
2. Le contexte de la tâche, en particulier son cadre temporel : quand doit-elle être réalisée ? De quelle durée disposons-nous ? Quel est son degré d’urgence ? Également son caractère critique : le niveau de risque à envisager si elle n’est pas, ou incorrectement, réalisée.
Dans le contexte de la tâche, il faut également considérer les facteurs systémiques qui peuvent conditionner sa définition et sa réalisation : comment se répartissent les responsabilités ? D’où viennent les objectifs et quels sont-ils ? Comment sont définies les contraintes et comment sont allouées les ressources pour réaliser le travail ? La tâche est-elle assortie d’une menace de sanction ou au contraire d’une récompense ?
Dans l’univers professionnel, dont la stratégie, l’organisation et le management président à la définition et l’attribution d’une tâche peuvent concourir à créer, augmenter ou au contraire diminuer la charge mentale d’un individu.
3. Notre perception de cette tâche dans son contexte, et c’est là que nous entrons dans un registre du subjectif : Les deux précédentes dimensions créent une expérience vécue différemment par chaque individu, selon sa situation professionnelle, ses capacités, sa sensibilité, ses valeurs, sa représentation de la tâche « réussie » et son rapport au travail.
Prenons l’exemple d’une prise de parole en réunion. Pour certaines personnes, l’objectif sera simplement de transmettre des informations fiables et convaincantes dans un temps donné, la technique de prise de parole ne représentant pas un défi particulier. Pour d’autres, s’ajoutera la pression d’avoir à se présenter au groupe, se rendre visible et audible et de rayonner une énergie d’orateur. Cela va entraîner plus de travail de préparation, plus d’énergie à mobiliser, et peut-être plus d’anxiété.
Ainsi, la charge mentale se manifeste par l’intensification de l’activité mentale, des efforts de concentration (ou tentative de concentration !), de mémorisation et d’adaptation. Elle s’accompagne d’une pression dont les répercussions nerveuses et émotionnelles seront propres à chacun, tout comme le sera la réponse qu’il va y apporter.
Quels sont les facteurs qui peuvent augmenter la charge mentale au travail ?
D’un point de vu systémique, les excès de notre civilisation sont clairement des facteurs aggravants de la charge mentale. Citons, entre autres :
- L’instantanéité des nouvelles technologies qui crée l’illusion que tout est urgent, voire important. L’injonction du « toujours plus, toujours mieux, toujours plus vite »
- La perte de sens du travail, et pour certains l’impossibilité de réaliser leur travail correctement, le fameux « travail empêché » d’Yves Clot, psychologue du travail
- Le morcellement du travail, les interruptions, le travail en mode multi-tâches
- L’effacement des frontières entre vie personnelle et vie professionnelle
- Les difficultés dans les relations interpersonnelles et la communication au travail, peuvent également augmenter la charge mentale, ainsi que la sensation d’isolement du salarié, observée depuis quelques décennies.
En fonction de sa personnalité, de sa situation professionnelle et personnelle, de sa relation au travail, chacun vit une charge mentale différente et peut passer, d’une façon qui lui est propre, de l’effort à la souffrance.
Il est clair que les anxieux seront davantage sujet à la charge mentale, mais toute personne, à un moment donné de sa vie, peut s’y trouver confrontée.
Quels conseils donneriez-vous pour alléger son quotidien professionnel et se canaliser face au stress ?
Bien sûr, il y a tout ce qui peut objectivement améliorer la situation d’une personne en termes de définition de poste et d’objectifs, moyens de réaliser sa mission, reconnaissance et relations interpersonnelles au travail. Dans le cadre d’un stage gestion du temps, nous pouvons clarifier ces facteurs, et encourager des négociations, mais pas changer directement l’environnement professionnel du stagiaire.
Cela étant dit, que peut faire une personne, par elle-même, pour alléger sa charge mentale ?
1. D’abord, elle peut reconsidérer son organisation, ses outils de performance et les processus de réalisation de ses tâches, en identifiant ceux qui favorisent de l’anxiété :
Si nous focalisons notre organisation uniquement vers le « faire plus en moins de temps, plus vite et mieux » – intention nécessaire et respectable qui devient dangereuse au-delà d’un certain point – en niant les différences entre humains et machines, nous créons les conditions de l’épuisement et du désespoir.
Il s’agit de revoir son organisation et sa façon de faire, pour, lorsque c’est possible, restructurer certaines tâches, leurs enchaînements ou leur temporalité, afin de réduire les facteurs anxiogènes. Là, on ne change pas le « quoi », mais le « comment » de la tâche.
Pour cela il faut s’observer, repérer les variations d’énergie, de pensées, d’humeur et chercher de nouvelles façons de faire, celles qui nous permettront de travailler l’esprit plus léger. On pourra, par exemple, fractionner une tâche en deux étapes pour la réaliser avec plus de recul, ou au contraire veiller à ce qu’elle ne soit pas interrompue pour l’accomplir en une seule fois avec toutes les données en tête.
2. Ensuite, tout ce qui relève d’une formation gestion du stress est bienvenu pour apaiser la charge mentale : Le conseil que je puis donner, c’est de prendre soin de son corps, physiquement : le sommeil, l’alimentation, la respiration, l’activité physique, les temps de pause etc., avec le but très concret de décontracter le corps. La charge mentale provoque la réponse somatique du stress, et l’inverse est vrai : en détendant le corps, on apaise le mental, et favorise une meilleure créativité face à la tâche et aux agents stressants. (Cela reste néanmoins insuffisant, car il faut s’attaquer aux causes de ce stress)
3. Enfin, l’observation et la compréhension des pensées et des émotions vont permettre de déjouer les pièges de notre propre mental. L’Intelligence Émotionnelle et une connaissance minimum du fonctionnement du cerveau donnent des clés pour désamorcer la charge mentale, qui assombrit notre monde interne :
Quelles croyances président en filigrane à notre vision de notre travail ? Qu’est-ce que nous nous disons à nous-mêmes ? Et sur quel ton ? Quels commentaires, quelles conclusions formulons-nous à propos d’une tâche, d’un projet, d’une situation ? Comment fabriquons-nous le stress auto-généré ?
Comment pouvons-nous prendre notre mental en flagrant délit d’auto-sabotage, pour au contraire devenir une source de protection et d’encouragement pour nous même ?
Résoudre cette problématique est l’un des défis d’une vie humaine !
Et l’on peut s’y exercer dans la vie professionnelle pour gagner en sérénité.
Lorsqu’ils sont possibles, deux états permettent de travailler hors du joug de la charge mentale :
La concentration optimale, et l’état créatif. Ce ne sont pas des panacées universelles, on ne peut pas y séjourner en permanence – soyons réalistes – mais les visiter, les développer, est très bienfaisant. Il constitue de bons contre-poisons à la charge mentale.
Dans la concentration optimale – « optimale », car on n’y est pas en état de crispation – la relation entre le sujet et la tâche est immédiate, sans interférences intempestives de pensées parasites. L’attention est portée à ce que l’on fait, et le mental est plus silencieux et bienveillant. Cela permet de vivre en état de confiance envers soi-même et envers les résultats à venir.
L’état créatif nous permet d’intégrer les contraintes – à condition qu’elles ne soient pas mortifères ! – comme des supports : Parce que nous explorons autant que nous produisons, nous sommes dans une relation plus ludique à notre travail. Et plus pédagogique aussi : « Qu’est-ce que je vais pouvoir apprendre de cette situation ? ».
L’état créatif a le génie de nous faire accepter nos limites et les limites, sans nous décourager. En nous inspirant.