Avec le ralentissement de la croissance, les salariés perdent peu à peu la main face aux employeurs. Cela devrait bientôt se ressentir dans les négociations salariales et les pénuries de main-d’œuvre.
Les chefs d’entreprise vont-ils encore s’arracher les cheveux cet automne pour trouver du personnel ? « Mon sentiment est que les pénuries se calment. Le nombre de postes vacants recule depuis six mois. On trouve davantage de personnel », constate Roland Gomez, le patron de Proman, le numéro quatre de l’intérim en France.
Le résultat de l’évolution de la conjoncture économique, d’abord. « Les chefs d’entreprise nous parlent moins de pénurie. Leur préoccupation première est désormais le manque de visibilité sur leur carnet de commandes, le flou sur leurs plans de charges », ajoute ce spécialiste.
Pour beaucoup, c’est également l’heure des choix en matière d’organisation du travail. « Depuis le Covid, les différents modes ont été testés, et il faut maintenant choisir son modèle : 100 % de télétravail ? Le plus possible au bureau ? Système à la carte ? C’est le moment de trancher », juge un patron appartenant au monde du conseil.
Accalmie sur les salaires
Voilà la tonalité générale du moment sur le front RH en France. « Les entreprises sont plus attentistes, confirme Frédéric Coirier, le président du Meti, la fédération des entreprises moyennes. La création d’emploi se poursuit, mais à petit rythme », dit-il. De plus de 10.000 créations nettes par mois l’an dernier, les entreprises qu’il représente sont tombées à moins de 3.000 en ce moment.
Concrètement, la balance qui penchait sérieusement en faveur des salariés l’an dernier s’est recentrée en faveur des entreprises. Cela se ressent sur l’aspect salarial. Cette saison, les négociations ne devraient pas conduire à de fortes augmentations, du moins pas autant que l’an dernier, qui avait abouti à des hausses de 4-5 % de la masse salariale en moyenne. L’essentiel de la vague de l’inflation est passé, juge le patronat.
Situation nuancée
« Nous avons fait le job l’an dernier pour aligner les salaires sur l’inflation. A priori, et sauf mauvais chiffres sur la hausse des prix à la rentrée, les clauses de revoyure ne donneront rien », tranche un dirigeant industriel.
Dans le détail, la situation est souvent plus nuancée et les tensions sur le recrutement restent parfois vives. Le manque de main-d’oeuvre se fait toujours ressentir dans l’industrie, et chez les cadres, par exemple. « Les métiers pénibles physiquement et mal rémunérés dans la construction, la sécurité, la propreté, ou ceux aux horaires chargés à l’instar de l’hôtellerie et de la restauration, restent peu attirants » et en mal de bras, souligne Roland Gomez, chez Proman.
« C’est un peu moins tendu dans l’hôtellerie car les salaires ont augmenté l’an dernier » tempère Vanguélis Panayotis, le président du cabinet MKG Consulting. Cela a mis un peu de temps à produire ses effets, mais le métier est désormais plus attractif. Mais nous n’avons pas retrouvé les anciens collaborateurs, notamment dans les établissements de luxe », dit-il. Dans l’événementiel, en prévision des Jeux Olympiques, les acteurs ont sécurisé les recrutements en proposant de meilleurs salaires et en s’engageant sur la durée, pointe Gérard Pont, cofondateur de Morgane Production (Les Francos, le Printemps de Bourges…).
Le contexte reste aussi complexe dans le bâtiment, où le manque de main-d’oeuvre persiste, malgré la crise de la construction de logements. Selon une récente note de l’Insee, « la proportion de chefs d’entreprise déclarant faire face à une insuffisance de personnel est quasi stable (42 %) à un niveau bien supérieur à sa moyenne de longue période ». En parallèle, les perspectives de création d’emplois du secteur continuent de se dégrader, un mouvement enclenché en début d’année. Pour mémoire, le bâtiment a créé, à la fin 2022, près de 100.000 postes en trois ans, et plus 120.000 en incluant les non-salariés, selon la fédération professionnelle FFB.
Par Martine Robert, Yann Duvert, Christophe Palierse, Julien Dupont-Calbo