Ce sujet n’a jamais autant relevé qu’aujourd’hui de la mission des managers et dirigeants d’entreprise. Pour l’aborder, le cantonner aux seules ressources humaines, au même titre que la rémunération ou la gestion de la carrière, serait une erreur.
En cette rentrée de septembre, nombre d’organisations continuent de faire face à un nombre grandissant de salariés qui, révisant leurs priorités, affichent moins de constance dans leur engagement.
Ces professionnels nourrissent l’espoir de trouver une activité professionnelle plus épanouissante, avec de meilleures conditions de travail et, si possible, moins de risques de conflit entre certaines pratiques professionnelles et leur éthique personnelle. Cette inexorable montée des individualismes et du repli sur soi nourrit-elle une crise manifeste de l’engagement au sein des entreprises ?
« Faire société »
Les entreprises du CAC 40, qui enregistrent depuis deux-trois ans leurs taux d’engagement les plus élevés, répondent par la négative tout en étant bien conscientes que l’implication des salariés s’entretient inlassablement.
« Entreprise très horizontalisée, le groupe Crédit Agricole résiste très bien au phénomène de grande démission car il a posé un diagnostic et effectué de nombreuses expériences pilotes sur la base de thèmes fondamentaux : le sentiment d’utilité au coeur du business et de la motivation des femmes et des hommes qui y travaillent, l’impact de la révolution du digital sur la fin du management tayloriste et le progrès matériel collectif », relève Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA.
Ce dirigeant a participé à un ouvrage collectif – « Engagements – agir, incarner, transmettre », publié aujourd’hui par les éditions EMS – qui offre des clés de compréhension du rôle crucial que joue l’engagement des salariés – les Anglo-saxons parlent d’empowerment – en cette période tout à la fois de transition et de transformation.
S’engager, c’est agir dans le but de « faire société » au sein de divers collectifs, sous différentes formes et avec des degrés variables d’intensité, comprend-on à la lecture de cet opus coordonné par Gilles Bonnenfant, le président d’ Eurogroup , qui regorge des témoignages d’une grande variété d’acteurs et de repères historiques et philosophiques.
Entre exigence et bienveillance
Indicateurs précieux, les études quantitatives de l’engagement des salariés – via le NPS (Net Promoter Score) – ne doivent pas laisser penser que ce sujet, au même titre que la rémunération ou la gestion de la carrière, est du seul ressort des ressources humaines (RH).
Veiller à la qualité de vie des collaborateurs, susciter leur envie de s’impliquer au travail et leur fidélité, encourager leurs progrès, instaurer une saine ambiance de travail… n’a jamais autant relevé qu’aujourd’hui de la mission des chefs d’équipe, managers et dirigeants d’entreprise, qui doivent tout à la fois trouver un équilibre entre exigence et bienveillance et instaurer une relation de confiance et de transparence.
« L’engagement se nourrit d’une multitude d’éléments au nombre desquels figurent, aux premiers rangs, le style de leadership en place »
Fragile toutefois, l’engagement se nourrit d’une multitude d’éléments au nombre desquels figurent, aux premiers rangs, le style de leadership en place. Ce sont en effet les dirigeants qui façonnent la culture interne par leur exemplarité, leurs paroles , comportements et réactions. En bonne place aussi, la reconnaissance et son large éventail d’expressions, qu’il s’agisse de retours réguliers dans une démarche d’amélioration continue (« feedback ») comme de reconnaissances financières, sociales ou symboliques.
Enfin, élément capital : le degré de sociabilité au travail – que le télétravail et les organisations hybrides ne facilitent pas – qui par exemple repose sur de l’écoute, des sollicitations, de l’information, du dialogue, un projet sociétal ou encore une juste allocation des ressources pour bien travailler (les irritants et les dysfonctionnements d’une organisation sont particulièrement démotivants).
« Il revient aux dirigeants de donner la sécurité psychologique nécessaire aux managers pour les ouvrir à des méthodes managériales différentes », confirme Philippe Brassac dont le groupe, à partir de ce mois-ci, va s’employer à déterminer, en plus de son indicateur d’engagement classique, un « indicateur de mise en responsabilité ». « L’idée est d’éviter que la pré-décision prenne le pas sur le discernement. Bien souvent, au lieu de répondre à la complexité par de l’intelligence humaine, on cherche à appliquer des règles prédéterminées avant d’affronter la réalité d’une situation. Et c’est ainsi que des êtres humains en viennent à se comporter comme des robots », déplore-t-il.
Plus qu’une transaction de prestation
S’engager, c’est faire son travail « avec un petit plus » pas si facile à faire éclore quand les emplois du temps sont chargés d’impératifs pratiques et opérationnels. Mais « savoir donner le sens de ce qu’on fait est le b.a.-ba pour les managers […] S’ils ne savent pas faire ça, ils ne peuvent pas être managers », juge Muriel Barnéoud, directrice de l’engagement sociétal du groupe La Poste, qui rappelle que l’on octroie aux entreprises, pour la première fois, des responsabilités sociétales et environnementales qui dépassent leurs frontières. « Ceux qui ne savent pas articuler le sens qu’ils donnent à leur activité économique disparaîtront ou deviendront les sous-traitants de ceux qui l’ont fait. C’est une énergie qui permet de capter les talents et de les fidéliser ». « La marque ne suffit plus, il faut aller au-delà », acquiesce Gilles Bonnenfant.
S’engager, c’est surtout « construire autre chose que la simple transaction de prestations entre un « mercenaire » et son commanditaire. Du reste, l’ouvrage collectif invite tout un chacun à lire Machiavel et à se remémorer que « la loyauté, l’engagement, le dévouement sont liés à l’attachement, à la croyance, au sentiment d’être d’un groupe ».
Les grands concepts de leadership décrivent un management pragmatique de type anglo-saxon. Mais cette tentative de convergence vers un unique modèle de leadership peut être délétère, car « si le terreau culturel n’est pas fertile, on génère chez les managers culpabilité, frustration, démotivation et désengagement », avertit le collectif d’auteurs. « La France, latine et d’une culture analytique, pourrait imposer un modèle intéressant si elle admettait mieux le droit à l’erreur », décode Gilles Bonnenfant.
En cette rentrée, les informations se percutent d’une bien curieuse façon. Quand 520.000 salariés ont démissionné en début d’année, une étude d’UKG, fournisseur mondial de solutions RH, pointe que 65 % des démissionnaires français regretteraient déjà leur ancien employeur. Ecartelées entre des modèles économiques qu’elles croyaient maitriser et un environnement qui – à dire d’experts – de « vuca » (volatil, incertain, complexe et ambigu) tend à devenir « bani » (« brittle » ou fragile, anxieux, non linéaire et incompréhensible), les entreprises et administrations, dont les difficultés à recruter perdurent, sont-elles prêtes à leur accorder une seconde chance ?
Sondage Gallup dans 38 pays
Seulement 6% des employés français seraient « engagés » au travail, d’après le dernier rapport de Gallup. Sondés sur les émotions négatives qui les impactent le plus au quotidien, le stress est le facteur qu’ils citent le plus.