Relation sexuelle consentie, agression restée sous silence… Sur le terrain, les soignants ne sont pas préparés à gérer ces situations et pourtant, ils devront faire preuve de réactivité pour protéger des personnes fragilisées par la maladie, le vieillissement ou le handicap. Les seules armes dont ils disposent sont l’observation fine et la communication.
« J’AI DU MAL À IMAGINER la sexualité sans notion de consentement, et j’ai du mal à imaginer le consentement éclairé chez les patients Alzheimer. En tout cas chez ceux dont je m’occupais dans les unités. Ça me pose un souci lorsqu’ils se touchent et manifestent leur envie l’un de l’autre ». Voilà une phrase exprimée par un collègue qui n’est ni anodine, ni inhabituelle. Il faut bien se dire que si des résidents sont à l’aise avec leurs envies, ce sont
parfois les soignants qui remettent en question le consentement, et cela sans aucune preuve. Et pourtant, des indices peuvent être repérés à condition d’en parler en équipe et de ne pas rester avec des préjugés ou des interrogations. La difficulté est de déceler « l’anormal » puis de mettre en place des actions connues par tous les professionnels.
Déceler « l’anormal »
Chez les personnes démentes, la communication passe par les émotions.
Il faut donc être très vigilant, bien savoir comment chacun s’exprime
habituellement pour repérer ensuite les éventuels changements.
Chez les personnes démentes, la communication passe par les émotions. Il faut donc être très vigilant, bien savoir comment chacun s’exprime habituellement pour repérer ensuite les éventuels changements. Par exemple, une résidente qui montre son entrejambe en répétant « Aïe, Aïe, Aïe », l’apparition de bleus localisés près du sexe aperçus lors d’une toilette ou encore le rejet des soignants masculins, sont autant d’éléments à prendre en compte et à communiquer lors des réunions d’équipe.
AGRESSION OU RELATION ?
Prenons l’exemple observé au cours de ma précédente carrière dans un Ehpad : c’est l’histoire de Mme Y une résidente qui malgré des problèmes cognitifs parfois lourds, parle et exprime ses besoins. Elle reçoit régulièrement la visite « secrète » de la part du facteur. Mme Y apprécie les visites et a le sourire aux lèvres. Un jour sa fille entre sans frapper dans sa chambre et quelle n’est pas sa surprise de découvrir sa mère en charmante compagnie. « Au scandale », crie la fille ! « Ma mère est victime de viol ! » Elle hurle ainsi dans tout l’Ehpad, dans le bureau de la directrice et dans tous les journaux du secteur. Pauvre Mme Y, son secret est dévoilé. Elle n’ose pas dire à sa fille la vérité ! Car, après tout, on ne parle pas de ça avec ses enfants ! « Je fais ce que je veux, je suis une adulte. » Et c’est ainsi, pour un non-respect de l’intimité de Mme Y que celle-ci perd son sourire et se renferme sur elle-même triste de ne plus recevoir son facteur.
Cette histoire peut vous faire sourire, mais elle est révélatrice de plusieurs réalités :
« La fille de Mme Y entre sans frapper, elle ne respecte pas l’intimité de sa mère. Il y a un manque de communication entre l’Ehpad et les proches des résidents sur les thèmes de l’intimité, de la sexualité alors qu’il existe des solutions faciles pour aborder ces thèmes : réunion famille, café discussion, ou en demandant l’intervention d’un professionnel qualifié (sexologue, psychologue…) pour réduire les tabous ». Les équipes (soignants et direction) ont souffert d’un manque de communication car elles auraient dû intervenir rapidement auprès de la fille de Mme Y pour l’informer (après l’accident bien sûr) que « le facteur » a l’habitude de venir rendre visite à Mme Y. Qu’ils surveillent Mme Y (tests, questions…) mais n’interviennent pas pour préserver l’intimité et les envies de Mme Y.
Que Mme Y est une adulte et que c’est à elle de choisir de parler ou non de ses fréquentations avec ses proches, même si elle a des troubles cognitifs. Il existe des formations en France pour libérer la parole des équipes et agir en conséquence pour le bien-être des résidents.
INTERVENIR, OUI MAIS QUAND ?
Cette histoire est allée loin car elle a fait scandale dans toute la région. Le pauvre facteur âgé a perdu son emploi et a failli aller en prison. Bien sûr, la direction du groupe a pris le relais. Ils sont venus avec un « savoir-faire » et grâce à une médiation avec la famille, ils ont su expliquer leur point de vue et obtenir des excuses. Cette histoire leur a ouvert les yeux et ils ont mis en place des actions et des formations dans les Ehpad. Mais cette résidente âgée a dû dévoiler son histoire aux yeux de tous alors qu’elle était consentante quand d’autres sont victimes d’agressions et se murent dans le silence. Combien de viols ou d’agressions sexuelles ne sont pas détectés
en établissement médico-social ? Combien de relations consenties sont dévoilées par peur de passer à côté d’une agression? Autant d’interrogations que se posent les équipes sans avoir de réponses ni de certitudes.
Rechercher des indices
Parfois, les signes seront beaucoup moins criants et il faudra faire preuve d’écoute et d’une observation fine face à des personnes souffrant de troubles cognitifs, face à ceux qui ne parlent plus. Une chose est sûre : un changement de comportement doit toujours être une alerte. Il ne s’agit pas de le prendre à la légère ou d’apporter une réponse médicamenteuse, sans comprendre quel a été le déclencheur d’un trouble du comportement.
Le soignant ne devra pas garder ces événements pour lui car même s’il s’agit d’une erreur, il faut se dire que c’est la réflexion collective qui permettra de mettre en place des démarches. Alors mieux vaut faire des hypothèses, que de passer à côté d’une agression. Il n’y a pas de mode d’emploi puisque toutes les situations sont à traiter de manière personnalisée pour le bien-être des résidents.
Marie Étienne, pilote plateforme de répit et ancienne responsable vie sociale en Ehpad